WASHINGTON: Les Israéliens l'appellent «la guerre entre les guerres». Une campagne concertée contre les mandataires de l'Iran en Syrie, qui n'atteint pas le seuil d'une guerre totale, est devenue la pièce maîtresse du programme de sécurité et de défense d'Israël.
Tout indique que l'Iran intensifie son engagement en faveur d'une présence militaire à long terme en Syrie, qui peut être utilisée pour menacer non seulement Israël mais aussi ses adversaires arabes.
Le gouvernement israélien est déterminé à empêcher l'Iran d'atteindre son objectif, quelle que soit l'opinion de l'administration Biden ou de l'Union européenne à ce sujet.
Ces dernières semaines, l'armée israélienne a accentué la pression sur le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) en Syrie, dans l'espoir de perturber l'acheminement de munitions sensibles à guidage de précision, de drones et de matériel électronique haut de gamme vers le Hezbollah, la milice libanaise, via des bases iraniennes en Syrie.
Ce mardi, une attaque aérienne israélienne lancée depuis la Méditerranée sur l'aéroport d'Alep a endommagé la piste et l'a mise hors service, selon des sources militaires syriennes. La semaine précédente, des roquettes tirées par Israël sur l'aéroport ont causé des dégâts matériels, selon les observateurs de guerre, juste avant l'arrivée d'un avion en provenance d'Iran.
Les stratèges militaires israéliens ne s’inquiètent pas seulement de l'utilisation par le CGRI d'installations secrètes dans le nord-ouest de la Syrie et autour de la capitale Damas pour réapprovisionner l'arsenal de missiles du Hezbollah. Ils craignent que l'Iran ne cherche à établir un nouveau front pour une future guerre avec Israël sur le plateau stratégique du Golan.
Le CGRI s'y prendrait de deux manières: En augmentant considérablement le front existant entre le Hezbollah et Israël et en mettant de plus larges étendues du territoire israélien à portée des attaques de missiles et de drones.
En réponse, Israël a augmenté la fréquence de ses frappes aériennes contre les installations du CGRI en Syrie et, dans le même temps, a considérablement élargi la portée de ses cibles.
Selon des responsables occidentaux de la défense, en raison des perturbations des transports terrestres, l'Iran dépend de plus en plus des entreprises de transport aérien civil, telles que Mahan Air, pour livrer les armes et le matériel qui assurent la préparation au combat du Hezbollah et d'autres groupes militants chiites, en Syrie.
Avant les dernières frappes sur les aéroports de Damas et d'Alep, les services de renseignement israéliens auraient détecté une augmentation notable des vols clandestins d'armes impliquant des avions commerciaux.
La piste de l'aéroport de Damas a subi les dommages les plus graves au début de l'été, mais quelques semaines seulement après sa réparation, l'armée de l'air israélienne a frappé à nouveau la semaine dernière, le 31 août. Le même jour, l'aéroport d'Alep et sa piste ont été endommagés lorsqu'un avion soupçonné d'appartenir au Corps des gardiens de la révolution islamique a tenté d'utiliser les installations après avoir échoué à atterrir à Damas.
Alma Research Center, un groupe de réflexion israélien, a suivi de près la guerre de l'ombre qui se déroule actuellement dans le ciel syrien. Il indique que l'armée de l'air israélienne a frappé à plusieurs reprises une base iranienne à Masyaf, située à côté du Centre de recherche scientifique syrien, une organisation soupçonnée d'être impliquée dans la production de missiles, le développement de munitions guidées, ainsi que la production et le stockage d'armes chimiques.
Bien que les frappes aériennes israéliennes aient détruit au fil des ans de nombreux entrepôts et dépôts de missiles, ainsi que de grandes quantités d'équipements militaires, le CGRI serait toujours déterminé à utiliser sa présence en Syrie pour lancer des attaques contre Israël.
Une branche d'élite de la Force Al-Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique, l'unité 840, a été chargée de préparer des attaques extérieures contre Israël, selon le chercheur israélien Tal Beeri.
«Le concept stratégique iranien consiste à «créer» une frontière commune avec Israël à travers les fronts syrien et libanais. Au Liban, ils ont le Hezbollah. Dans le sud de la Syrie, ils opèrent par le biais d'établissements civils et militaires», a indiqué Beeri.
«Les Iraniens disposent de plusieurs options dans le sud de la Syrie. Les plus fiables d'entre elles sont les unités du Hezbollah (le Fichier Golan et le Commandement Sud), les milices mercenaires locales et les milices chiites.
«Il est tout à fait possible qu’aujourd’hui encore, dans un désir de vengeance, les Iraniens tentent de rendre une action contre Israël depuis le sud de la Syrie opérationnellement faisable, par l’infrastructure locale de l’unité 840.»
EN BREF
• Le stock d'uranium enrichi de l'Iran est désormais plus de 19 fois supérieur à la limite fixée dans l'accord nucléaire de 2015.
• En date du 21 août, son stock était estimé à 3 940 kg, soit une augmentation de 131,6 kg par rapport au dernier rapport trimestriel de l'AIEA.
(Source : AIEA)
Israël serait à l'origine de l'assassinat, en mai, de Hassan Sayyad Khodaei, le chef de l'unité 840 à Téhéran. La dernière fois que l'unité a mené des attaques transfrontalières limitées le long de la zone neutre séparant les hauteurs du Golan contrôlées par Israël et la frontière syrienne remonte à 2020. Depuis lors, les Iraniens n'ont pas été en mesure de mener à bien une attaque majeure contre les intérêts israéliens et américains.
Toutefois, les analystes estiment que l'interaction synergique entre les agents du CGRI en Syrie et les agents terroristes à travers le Moyen-Orient constitue une menace pour la sécurité des autres pays.
Le lien entre les deux groupes est incarné par le commandant de la Force Al-Qods, le général Javad Ghaffari, qui est soupçonné de diriger la mission de l'Organisation des renseignements du CGRI visant à cibler les Israéliens à l'étranger, notamment le complot raté de cet été visant des diplomates israéliens, qui a été déjoué dans le cadre d'une opération conjointe du Mossad et des services de renseignement turcs.
Ghaffari était l'ancien commandant en chef de la Force Al-Qods en Syrie, où il a été surnommé le «boucher d'Alep» pour son rôle de coordination avec le Hezbollah et la brigade des Fatimides. Les deux mandataires iraniens ont installé plusieurs bases dans la province de Deir Ezzor, dans l'est de la Syrie.
Selon des informations en provenance de Syrie, Ghaffari a été expulsé du pays pour avoir été trop agressif dans la préparation et le lancement d'attaques contre Israël depuis le territoire syrien, ce qui a alimenté les inquiétudes de Damas, qui craignait que la campagne de la «guerre entre les guerres» ne soit sur le point de devenir une confrontation directe.
La crainte d'une guerre totale ne semble toutefois pas avoir dissuadé les faucons du régime iranien de préparer des attentats terroristes à l'étranger, la Syrie n'étant qu'un nœud d'un réseau transcontinental.
«On estime que dans la liste des priorités de l'Iran, la Turquie et l'Azerbaïdjan sont les endroits les plus préférables pour ses activités», a signalé Beeri à Arab News. «L'unité 840 (Khodaei) était responsable d’avoir récemment planifié et tenté de mener des activités terroristes contre des cibles israéliennes et juives (diplomates, hommes d'affaires et institutions) à Chypre, en Colombie, au Sénégal, en Tanzanie, en Turquie et en Inde.»
On ne saurait trop insister sur le lien entre les opérations militaires régionales de l'Iran et les activités terroristes internationales, selon Behnam Ben Taleblu, chercheur à la Fondation pour la défense des démocraties, basée à Washington.
«Le cœur de la région reste la source des opérations terroristes soutenues par l'Iran», a-t-il souligné à Arab News. «Ce que le régime a montré, c'est sa volonté d'intensifier les opérations de terrorisme, d'assassinat, d'intimidation et d'enlèvement à l'étranger et dans un grand nombre de régions.»
La mission de Téhéran en Syrie, selon Ben Taleblu, est conçue pour faire avancer son objectif plus large de cibler Israël et les intérêts israéliens sur plusieurs fronts.
«Il est clair que la République islamique supervise de multiples missions en Syrie», a-t-il jugé. «Il s'agit non seulement de soutenir le régime d'Assad et les combattants du Hezbollah opérant dans le pays, mais aussi d'utiliser la Force Al-Qods pour constituer une menace claire et actuelle pour Israël. C'est là que les rapports sur ce que fait l'unité 840 en Syrie sont les plus importants.»
Autrement dit, il a affirmé: «Si le passé, plus l'évolution des capacités militaires iraniennes, est un prologue, alors l'espace des menaces aériennes sans pilote est quelque chose que la Force Al-Qods cherchera à approfondir en Syrie.»
L'évaluation par Ben Taleblu de la stratégie du CGRI correspond à celle de Jason Brodsky, directeur de United Against a Nuclear Iran, un groupe de réflexion non partisan de New York.
Brodsky croit que la Force Al-Qods et ses unités spécialisées chargées de mener des attaques terroristes contre des Israéliens dans le monde entier continueront à considérer la Syrie comme une base d'opérations essentielle, alors que la présence militaire russe en Syrie est réduite à cause de l'impasse militaire en Ukraine.
Toutefois, Israël a formulé une doctrine spécifique destinée à déborder et à déjouer les Iraniens, selon Brodksy.
«Il est fort possible que la Force Al-Qods, notamment l'unité 840, cherche à étendre sa présence en Syrie. Cela s'explique par le transfert en cours par la Russie de moyens militaires vers l'Ukraine, qui créera un vide que l'Iran cherchera à exploiter», a-t-il déclaré à Arab News.
«L'opération Khodaei visait à faire comprendre à Téhéran qu'Israël n'hésitera pas à pénétrer profondément le territoire iranien pour faire payer le prix d'un comportement malveillant non nucléaire comme le terrorisme. Il s'agit d'une mise en œuvre de stratégie dite de la tête de la pieuvre, défendue depuis longtemps par le Premier ministre israélien».
Bien qu'ils auraient préféré rester en dehors de la guerre de l'ombre entre Israël et l'Iran, les États-Unis se sont souvent retrouvés dans la ligne de mire des mandataires du CGRI aux côtés de leurs partenaires régionaux.
En août, une série de frappes américaines a visé les installations de la brigade des Fatimides à Deir Ezzor et la base d'un groupe militant soutenu par le CGRI, juste à l'ouest de l'Euphrate, qui serait à l'origine d'une série d'attaques de drones et de missiles contre les bases militaires américaines dans l'est de la Syrie.
Ces derniers temps, les milices chiites semblent être de plus en plus audacieuses lorsqu'il s'agit de frapper les bases américaines dans le paysage aride et plat de la frontière syro-irakienne.
Par rapport à Israël, les représailles militaires américaines en Syrie contre les attaques des mandataires iraniens sont généralement moins agressives et plus précises géographiquement. Pourtant, les Américains et les Israéliens se coordonnent lorsqu'ils lancent des attaques contre le CGRI en Syrie, selon un rapport du Wall Street Journal.
Les réseaux militaires et de renseignement de l'Iran en Syrie ont été mis en place avec un soin méticuleux par le commandant assassiné de la Force Al-Qods, Qassem Soleimani.
«Soleimani avait la capacité unique de gérer le réseau de mandataires et de partenaires de l'Iran», a déclaré Brodsky à Arab News. «Plus de deux ans après sa mort, Téhéran s'efforce toujours de reconstruire une structure de gestion durable pour ce réseau.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com