PARIS: L'avènement de la nouvelle Première ministre britannique Liz Truss devrait s'accompagner d'une persistance des relations houleuses avec la France, en raison à la fois de la proximité des deux pays et de l'imbrication de leurs intérêts, selon des experts.
Mme Truss n'a pas fait mystère de ces tensions, en réservant sa réponse en août devant les militants de son parti sur le fait de savoir si elle considérait le président français Emmanuel Macron, Européen convaincu, comme "un ami ou un ennemi", déclarant qu'elle le jugerait "sur ses actes".
"Le Royaume-Uni est une nation amie, forte et alliée, quels que soient ses dirigeants, et parfois malgré et au-delà de ses dirigeants ou des petites erreurs qu'ils peuvent faire dans des propos d'estrade", avait répliqué M. Macron.
Après la désignation de Liz Truss lundi, il s'est déclaré à sa "disposition pour pouvoir travailler entre alliés et amis", relevant notamment les "coopérations énergétiques" entre les deux pays.
De nombreux contentieux opposent la France et le Royaume-Uni, notamment la gestion des dossiers de l'après-Brexit, comme la pêche ou l'Irlande du Nord.
En tenant ce discours de "très grande fermeté envers l'Europe et particulièrement envers Macron", Mme Truss flatte d'abord sa base, estime Peter Ricketts, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris.
"A cause de la proximité et de l'énorme circulation de personnes et de marchandises, les irritations et les agacements du Brexit ont tendance à se produire surtout entre la Grande-Bretagne et la France", souligne-t-il.
Environ 55 % du fret par camion sortant de Grande-Bretagne en 2020 est passé par le ferry ou le rail entre Douvres et Calais, selon les statistiques gouvernementales britanniques.
Et en 2019 la France a accueilli 12 millions de touristes britanniques, pour 3,6 millions de visiteurs français en Grande-Bretagne, selon les données officielles des deux pays.
Depuis 2020, les restrictions dues à la pandémie de coronavirus ajoutées aux changements de règles provoqués par le Brexit ont abouti à d'énormes embouteillages de fret et files d'attente aux frontières, souvent imputés par les responsables politiques et les tabloids britanniques à une intransigeance française.
«Pas à la hauteur»
"On peut tabler sur le maintien d'un niveau élevé de tensions et de frictions à la frontière", notamment en raison de l'entrée en vigueur l'année prochaine du nouveau système européen ETIAS pour le contrôle des voyageurs exemptés de visas pour leurs courts séjours dans l'UE, ajoute M. Ricketts.
Des disputes frontalières opposent aussi publiquement les deux pays sur la pêche -- litige apparemment réglé pour le moment -- ou l'immigration clandestine vers la Grande-Bretagne à travers la Manche.
Londres menace régulièrement de cesser ses versements annuels de dizaines de millions d'euros à Paris pour lutter contre ces traversées, qui ont déjà dépassé cette année le nombre de 27 000 personnes, soit presque autant que le total enregistré sur l'ensemble de 2021 (28.526).
A l'échelle planétaire, les deux pays adoptent néanmoins beaucoup de positions communes.
Les deux capitales "ne parviennent pas toujours aux mêmes solutions mais partagent beaucoup d'instincts", observe Georgina Wright, chercheuse à l'institut Montaigne, à Paris.
Elles sont aussi liées depuis 2010 par les traités de Lancaster House, scellant leur coopération en matière de défense, notamment dans le développement de missiles.
La ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna a indiqué lundi sur la radio RTL espérer "un nouveau départ dans les relations franco-britanniques", déplorant qu'elles ne soient pas, "du fait de l'attitude du Royaume-Uni sur les questions européennes, à la hauteur du rôle que nos deux pays devraient jouer".
Pour l'heure, les dirigeants britanniques semblent surtout vouloir démontrer que le pays peut assumer son statut de puissance incontournable sur la scène internationale malgré le Brexit, sous le slogan de "Global Britain".
Leur volonté de se poser en meilleurs alliés européens de l'Ukraine face à l'invasion russe agace la France, qui leur reproche de discréditer sa position de maintenir le dialogue avec Moscou, et particulièrement échaudée par la crise du partenariat Aukus en 2021.
Ce partenariat noué entre l'Australie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni s'était soldé par l'annulation par Canberra d'un gigantesque contrat d'achat de 12 sous-marins français.
Mais pour Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) "l'affaire Aukus, simplement, c'est Global Britain appliqué en Asie" et s'inscrit "dans la logique" du Brexit.
"La vraie difficulté, c'est qu'un Royaume-Uni qui n'est plus dans l'UE, pour le moment, joue contre l'UE", poursuit Jean-Pierre Maulny, qui n'anticipe pas de changement à court terme sous Liz Truss.