MYKOLAIV: "Rockstar" traine sa carcasse dégingandée à la recherche de cigarettes dans le village du sud de l'Ukraine où il est basé, à une quinzaine de kilomètres de la ligne de front où l'armée ukrainienne affirme avoir lancé une contre-offensive.
Difficile de croire, en voyant l'allure grunge qui lui a valu ce surnom, que Gideon Rinehardt a servi quatre ans dans la Garde nationale américaine.
C'est pourtant, sûrement, cette expérience qui lui a permis de rejoindre l'unité des "forces très spéciales" où le garçon de 26 ans, au sens de la formule aiguisé, sert sous commandement ukrainien, avec deux Américains, un Français, un Britannique et un Finlandais.
Il raconte avec détachement "l'histoire marrante" qui l'a mené dans cet escadron, depuis son centre de recrutement de la région de Lviv (ouest), en juillet.
"Je suis pas en super forme mais j'étais le meilleur là-bas. Ils me disent: tu veux rejoindre l'infanterie régulière ou les 'badass' ("durs" en français)? Je ne suis pas un SOF (les forces spéciales), mettez-moi dans l'armée régulière. Et ils m'envoient ici quand même".
Sa baraque, à la sortie d'un village toujours peuplé, regorge de matériel, d'armes allant du fusil d'assaut tchèque au lance-missile anti-char, et de munitions russes ou américaines.
S'il est seul ce jour-là, à attendre que la journée passe en écoutant le groupe de métal Def Leppard, c'est d'ailleurs parce que son groupe est parti se réapprovisionner à Mykolaïv, la grande ville ukrainienne la plus proche.
Alors que des volontaires ayant rejoint la Légion internationale pour la Défense de l'Ukraine (LIDU) constituée à l'appel du président Volodymyr Zelensky se sont plaints d'être mal équipés, "Rockstar" jure que "les Ukrainiens nous traitent très bien".
« Pas l'Irak ou l'Afghanistan »
Gideon vient de Caroline du Sud et n'a pas l'air de regretter sa vie passée. Je faisais des "activités de jardinage", évacue-t-il.
Il redevient sérieux, voire profond quand il évoque sa guerre dans son unité.
"C'est beaucoup de déplacements dans les tranchées, dans les zones que nous pensons que les Russes vont prendre. Il y a quelques missions d'embuscade (...) On les voit passer en voiture et on les allume".
"Il y a eu quelques fois où ils nous ont tiré dessus, on a tiré en retour. Je ne sais pas si j'ai tué quelqu'un là-bas. J'essaie de ne pas y penser".
Selon lui, beaucoup d'étrangers n'étaient pas prêts et sont surpris par l'intensité des combats.
"Rien ne te prépare à cette guerre. Certains font genre, 'j'ai servi en Irak ou en Afghanistan', mais ça n'a rien à voir. C'est une guerre de tranchées, du type de la Première Guerre mondiale, et certains soldats russes sont horriblement bons, leurs snipers par exemple".
« Peur des éléments »
Lundi, l'Ukraine a annoncé avoir lancé une contre-offensive sur l'ensemble du front Sud pour reprendre le contrôle de la ville de Kherson et sa région.
Dans une ville proche du front, on croise les soldats qui montent au front, comme cet équipage d'un blindé dont le moteur a surchauffé, en attente de réparation
Et ceux de retour de première ligne, se reposant comme ils peuvent à l'ombre des arbres. Blason ukrainien tatoué sur le bras, le soldat Victor, originaire de l'ouest de l'Ukraine, dit sa hâte de retrouver Zalizny Port, station balnéaire aujourd'hui sous contrôle russe où il a été en poste.
"On les a bien enfoncés hier", sourit-il. Son commandant, qui ne donne que son prénom, Oleksandr, temporise. La reconquête de Kherson sera "un processus long et difficile", dit ce vétéran de l'Afghanistan.
"Rockstar" approuve aussi l'offensive: "Je suis heureux qu'ils l'aient lancé. Je pense que nous devons prendre des initiatives, c'est la meilleure option pour le moment".
Venu combattre parce que les images des atrocités de guerre en Ukraine qu'il voyait dans les bulletins télévisées étaient "dégoûtantes", il se donne deux mois pour décider s'il restera plus longtemps, selon qu'il reçoive ou non l'équipement d'hiver demandé.
Sans parler un mot d'ukrainien, il assure, en attendant, mettre un point d'honneur à entretenir de bonnes relations avec les habitants du village où il est basé.
"Cette guerre, c'est une guerre de morale et d'opinion publique. Il faut se comporter avec respect envers eux. Nous on va partir, et eux resteront".