LUANDA: Les Angolais sont appelés aux urnes mercredi 24 août pour des élections législatives qui décideront du prochain président, dans un scrutin qui s'annonce serré entre aspiration au changement et peur de fraudes électorales.
Huit partis politiques sont en lice, avec un duel attendu entre les deux principaux partis: le Mouvement populaire de libération de l'Angola (MPLA), parti au pouvoir depuis l'indépendance en 1975 et le plus grand parti d'opposition, l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita).
L'enjeu est élevé pour le MPLA, dirigé par le président Joao Lourenço, élu en 2017 et candidat à un deuxième mandat. Le président du parti ou de la coalition dominant l'Assemblée devient automatiquement président de la République.
Mais beaucoup d'Angolais se détournent du parti au pouvoir dans un pays en grande difficulté économique. L'Angola, qui compte 33 millions d'habitants, est riche en pétrole mais une grande partie de sa population vit sous le seuil de pauvreté.
"Il y a beaucoup d'attentes dans la société", a estimé Claudio Silva, commentateur politique à Luanda. "Les gens sont très enthousiastes car il y a une perspective de changement", a-t-il ajouté.
Pour beaucoup, le changement peut venir du dirigeant de l'Unita, Adalberto Costa Junior, surnommé "ACJ", qui a revigoré l'opposition depuis son arrivée à la tête du parti en 2019.
Depuis un peu moins d'un an, cet homme de 60 ans, réputé bon orateur, a réussi à rallier plusieurs partis d'opposition. Il a rassemblé de jeunes électeurs urbains autour de promesses de réformes et de lutte contre la pauvreté et la corruption.
Angola: dates-clés depuis l'indépendance
Dates-clés depuis 1975 en Angola où le président Joao Lourenço, dont le parti dirige le pays depuis l'indépendance, brigue un second mandat mercredi 24 août.
Indépendance et guerre civile
Le 11 novembre 1975, l'Angola devient indépendant après une guerre engagée en 1961 contre les colonisateurs portugais.
Une guerre civile oppose le parti au pouvoir, pro-soviétique, à l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita) et au Front national de libération de l'Angola (FNLA), pro-occidentaux.
L'Afrique du Sud de l'apartheid soutient l'Unita contre le Mouvement populaire de libération de l'Angola (MPLA), lui-même aidé par un contingent cubain.
Dos Santos au pouvoir
A la mort du premier président angolais, Agostinho Neto, José Eduardo dos Santos est investi chef de l'Etat le 20 septembre 1979 par le MPLA.
Multipartisme et espoir déçu de paix
L'année 1991 marque la fin du régime de parti unique. Le 31 mai, un accord de paix prévoyant des élections est signé entre M. dos Santos et le chef de l'Unita, Jonas Savimbi.
Le MLPA remporte le premier scrutin multipartite en septembre 1992. L'Unita conteste les résultats. La guerre reprend, entraînant l'annulation du second tour.
De janvier à mars 1993, les combats pour la prise de Huambo (centre) par l'Unita font 12.000 morts. Selon l'ONU, 25 000 personnes ont été tuées en 1993 à Kuito (centre).
En novembre 1994, de nouveaux accords de paix sont signés. En 1997, les députés de l'Unita prennent leurs fonctions et un gouvernement d'unité est formé, mais la guerre civile reprend l'année suivante.
L'"Angolagate", un scandale de ventes d'armes illégales au gouvernement de Luanda en 1994, éclabousse de nombreuses personnalités politiques françaises.
Mort de Savimbi
Le 22 février 2002, Jonas Savimbi est tué au combat. Un cessez-le-feu est signé le 4 avril pour mettre fin à 27 ans d'une guerre civile qui a fait au moins 500 000 morts.
En septembre 2008, le MPLA remporte les législatives, les premières depuis la fin de la guerre. Nouvelle victoire quatre ans plus tard.
Selon la Constitution, modifiée en 2010, le chef du parti vainqueur devient automatiquement président. En septembre 2012, M. dos Santos est investi.
Répression et fin de règne
Après un début timide, les manifestations se multiplient en 2011 pour réclamer davantage de liberté d'expression, de démocratie et de meilleures conditions de vie.
En juin 2013, le président fait nommer son fils, Jose Filomeno, à la tête du fonds souverain du pays. L'opposition et des membres de la société civile critiquent un népotisme et des risques de corruption.
Des ONG dénoncent les persécutions contre des opposants, comme les pressions sur journalistes et militants des droits humains.
En juin 2016, le président nomme sa fille Isabel, puissante femme d'affaires et femme la plus riche d'Afrique, à la tête de la compagnie pétrolière publique Sonangol.
Le 3 février 2017, il confirme qu'il ne briguera pas de nouveau mandat, désignant un fidèle pour lui succéder, le ministre de la Défense Joao Lourenço.
Lutte anti-corruption
Président depuis septembre 2017, Joao Lourenço crée la surprise en lançant une campagne de lutte contre la corruption pour récupérer des milliards soupçonnés d'avoir été détournés sous la présidence de son prédécesseur.
Il limoge les proches que dos Santos avait placés à des postes clés, sa fille Isabel est accusée de corruption par la justice et les "Luanda Leaks". Son fils, Jose Filomeno, est condamné en 2020 à cinq ans de prison pour avoir détourné de l'argent d'un fonds souverain.
Décès de dos Santos
Jose Eduardo dos Santos décède le 8 juillet 2022 à Barcelone, où il était hospitalisé après un arrêt cardiaque. Après une autopsie, la justice espagnole confirme le 17 août une "mort naturelle".
La dépouille doit être remise à sa veuve, rapatriée et inhumée en Angola. Une des filles de l'ex-président, "Tchizé" dos Santos, a annoncé qu'elle ferait appel de cette décision prononcée par la justice, et s'oppose à des funérailles nationales.
Plusieurs des enfants y sont toutefois favorables mais réclament l'annulation des poursuites judiciaires engagées contre eux par son successeur.
Promesses de réformes
Les jeunes de 10 à 24 ans constituent 33% de la population, selon des données des Nations unies.
Les électeurs nés après la guerre civile (1975-2001) sont moins attachés au MPLA que leurs aînés, selon des observateurs et de récents sondages.
Selon Augusto Santana, expert électoral, "ils recherchent une éducation, des emplois et des conditions de vie meilleures".
De son côté, le MPLA devrait tenter de tirer profit du rapatriement samedi en Angola du corps de l'ancien président Jose Eduardo dos Santos, décédé en Espagne le mois dernier, en rappelant son rôle dans la pacification du pays après son indépendance du Portugal, estime l'analyste politique indépendante Marisa Lourenço.
Il a mené une longue et difficile guerre civile, qui a fait quelque 500.000 morts en 27 ans, avec le soutien de l'URSS et de Cuba, contre l'Unita appuyée par le régime d'apartheid sud-africain et les Etats-Unis.
Toutefois, étant donné l'héritage controversé de M. dos Santos, dont la famille a été impliquée dans des affaires de corruption, l'utilisation de cet argument ne devrait "pas avoir un impact majeur sur l'élection", selon elle.
Si le MPLA demeure favori, analystes et sondages pointent un résultat serré.
Mais l'opposition et une partie de l'opinion publique s'interrogent sur la possibilité de fraudes lors du scrutin.
Les réseaux sociaux ont relayé nombre de cas de personnes décédées inscrites sur des listes électorales, selon M. Silva.
Colère
Jeudi, le président Lourenço a rejeté les critiques de l'opposition sur la commission électorale, qui compte une majorité de membres du MPLA.
"S'ils disent que le processus électoral et la Commission nationale électorale sont discrédités, pourquoi veulent-ils participer?", a dit le président au cours d'un meeting à Benguela, à 500 km au sud de la capitale.
Des accusations d'irrégularités avaient également marqué le scrutin de 2017, sans qu'elles ne soient prises en compte, selon Justin Pearce, spécialiste de histoire angolaise à l'Université Stellenbosch en Afrique du Sud.
"Cela a créé beaucoup de colère dans la société civile", a affirmé M. Pearce.
Des observateurs étrangers sont arrivés dans le pays ces dernières semaines.
Dauphin de Jose Eduardo dos Santos, M. Lourenço, son ex-ministre de la Défense, avait remporté 61% des voix en 2017. Il avait surpris en lançant une vaste opération "mains propres" contre son mentor et sa famille, accusés d'avoir détourné des milliards, écartant sa garde rapprochée de la direction du parti et des institutions.
Héritant d'une économie dépendante du pétrole, profondément en récession, il a lancé des réformes ambitieuses, saluées à l'étranger, pour diversifier les sources de revenus et privatiser les entreprises publiques. Mais peu de choses ont changé pour la majorité des Angolais, qui peinent à se nourrir dans un contexte d'inflation galopante et de grave sécheresse.
"Le MPLA doit faire beaucoup mieux, ils doivent enrayer la pauvreté, (...) créer des emplois, (...) fournir de meilleurs services. S'ils ne le font pas, ils auront une révolution entre les mains", assure Paula Cristina Roque, analyste politique indépendante.
Qui que soit le vainqueur de l'élection, "les cinq prochaines années vont être douloureuses", selon Mme Roque.