CHAUTAUQUA: Lorsqu'Emily Sack a vu un jeune homme se jeter sur l'écrivain Salman Rushdie, elle s'est à peine rendu compte, dans la panique, que l'écrivain était attaqué au couteau.
Comme nombre de résidents de la Chautauqua Institution -- sorte d'université pour séniors dans un gigantesque parc au bord du superbe lac Chautauqua, au nord de l'Etat de New York --, Emily Sack reste groggy, une semaine après les faits.
"C'est allé si vite. C'était quasiment terminé avant que cela n'ait commencé", souffle à l'AFP cette octogénaire qui était tranquillement assise dans l'amphithéâtre partiellement en plein air, le 12 août au matin.
Elle y attendait la conférence littéraire de l'auteur des "Versets sataniques" lorsque celui-ci a été attaqué par Hadi Matar, Américain d'origine libanaise de 24 ans habitant le New Jersey, une tentative de meurtre qui a indigné en Occident.
«Complètement déprimés»
Après l'attentat, la Chautauqua Institution "a tout annulé pour le reste de la journée" et "tout le monde ici, moi comprise, nous en sommes sortis complètement déprimés", confie Mme Sack, les larmes aux yeux.
La Chautauqua Institution se veut être un phare de la "diversité" et de la vie culturelle, communautaire et religieuse du nord des Etats-Unis, à quelques encablures du grand lac Erié à la frontière avec le Canada.
Fondée en 1874 par deux protestants méthodistes, elle est devenue un lieu renommé d'activités et d'échanges dans les arts, les sciences humaines, l'éducation, la religion...
Le président Franklin Roosevelt y a prononcé en août 1936 un discours resté célèbre sur sa "haine" de la guerre.
Cette organisation à but non lucratif revendique durant son festival d'été 100 000 visiteurs et résidents -- dont une majorité de personnes âgées -- qui déambulent à pied et à vélo dans ce qui ressemble à un village communautaire protégé par une clôture d'enceinte, aux rues, maisons coloniales et jardins magnifiquement entretenus, avec sa bibliothèque, ses commerces, sa propre police et son service postal.
«Monde extérieur»
"C'est évidemment un choc pour toute notre communauté, pour toute la région et pour quiconque connaît la Chautauqua Institution. On est là depuis près de 150 ans et on n'a jamais eu à subir quelque chose de la sorte", dit, la gorge nouée et réprimant des sanglots, Emily Morris, la vice-présidente du centre.
"C'est malheureux que nous ayons été touchés par le monde extérieur", lâche même un résident, sous couvert de l'anonymat.
Car dans le petit comté de Chautauqua et son minuscule chef-lieu Mayville, où Hadi Matar a comparu jeudi devant le tribunal après son inculpation pour "tentative de meurtre" et "agression", personne n'imaginait que ce joli coin tranquille de la région des Grands lacs subisse une attaque au retentissement international.
Le procureur local Jason Schmidt, qui instruit le dossier de l'attaque contre M. Rushdie -- visé depuis 1989 par une condamnation à mort contenue dans une fatwa du Guide iranien --, a reconnu devant la presse que sa "petite" juridiction" n'avait pas les épaules pour gérer une telle affaire, sur laquelle la police fédérale enquête également.
Emily Sack répond aussi n'avoir "jamais pensé auparavant que cela puisse arriver" à Chautauqua.
Barbara Warner, du même âge, une habituée de la Chautauqua Institution, déplore que "ces choses, qui arrivent un peu partout dans le pays (...), arrivent aussi malheureusement" dans le centre culturel.
«En sécurité»
David Wilson est également "sous le choc", mais une semaine après il se sent tout de même "en sécurité" pour profiter des dernières activités de l'été à la Chautauqua Institution.
Le centre a été critiqué par la presse américaine pour l'absence apparente de mesures de sécurité pour un hôte tel que Salman Rushdie, lequel se rétablit lentement dans un hôpital à Erié, au bord du lac.
La vice-présidente Emily Morris a assuré avoir mis en place la détection d'objets métalliques et l'interdiction des sacs dans l'amphithéâtre.
Quelques gardes patrouillent effectivement autour de l'amphithéâtre, dont l'entrée est strictement contrôlée.
Alors que la protection autour de Salman Rushdie s'était largement allégée depuis une vingtaine d'années qu'il habitait aux Etats-Unis, "nous n'aurions évidemment pas (organisé) un tel événement si nous ne pensions pas avoir des mesures (de sécurité) adéquates", se défend Mme Morris.