BOGOTÁ: Après des années de violences "fratricides" en Colombie, l'armée colombienne a vocation à "construire la paix" et à devenir "une armée de paix", a plaidé samedi soir le président Gustavo Petro, à l'occasion de la prise de fonction officielle du nouveau commandement de l'armée.
Au cours d'une cérémonie avec revue des troupes dans une école militaire de Bogota, les nouveaux chefs des armées, de l'armée de terre, de l'air et de la marine ont prêté serment devant le premier président de gauche de l'histoire du pays, élu en juin dernier.
"Je vous invite à une réflexion sur la signification de l'élection (...): la population a voté pour un changement", a lancé M. Petro devant un parterre d'officiers, accompagné de son ministre de la Défense récemment nommé, Ivan Velasquez Gomez.
Après des "décennies de massacres" à "nous tuer les uns les autres dans une guerre fratricide, une violence permanente, (...) le changement veut dire sortir de cette guerre perpétuelle et construire la paix (...), c'est un ordre du peuple".
"Que cela signifie-t-il pour l'armée? (...) Il ne s'agit pas de remplacer un général par un autre (...). L'armée doit non seulement se préparer à la guerre, mais elle doit aussi se préparer à la paix, terminer comme une armée de paix", a souligné le président de 62 ans, ancien membre d'une guérilla urbaine d'extrême-gauche dans les années 1980 et que l'armée colombienne avait alors durement combattue.
Le 12 août, le nouveau chef de l'Etat a remplacé tout le commandement militaire, police compris, soulignant que sa mission serait désormais "la réduction de la violence, de la criminalité, et une augmentation substantielle du respect des droits de l'homme et des libertés publiques".
Il a notamment nommé comme commandant en chef le général Helder Fernan Giraldo, et installé le général Henry Armando Sanabria à la tête de la police, sous l'autorité du ministère de la Défense, et dont M. Petro a déjà promis une "transformation profonde" avec son passage sous un nouveau ministère de tutelle.
Le gouvernement suspend les mandats d'arrêt contre les négociateurs de l'ELN
Le président colombien Gustavo Petro a annoncé samedi la suspension des mandats d'arrêt et d'extradition émis à l'encontre des négociateurs de la guérilla de l'ELN, actuellement à Cuba pour tenter de relancer le processus de paix.
"J'ai autorisé (...) la suspension des mandats d'arrêt contre ces négociateurs, la suspension des ordres d'extradition (...) afin que le dialogue avec l'Armée de libération nationale (ELN) puisse commencer", a déclaré M. Petro à l'issue d'un conseil de sécurité à San Pablo (nord).
Le président colombien, premier dirigeant de gauche de l'histoire du pays, s'est dit confiant que le futur processus de paix avec la dernière organisation rebelle en Colombie soit "rapide et expéditif", mettant ainsi fin à six décennies de soulèvement armé.
La délégation de l'ELN à Cuba, qui a eu une première rencontre la semaine dernière avec des représentants du gouvernement, est composée de dix personnes et dirigée par un de ses commandants, Pablo Beltrán. Les États-Unis ont réclamé l'extradition de 11 rebelles, accusés de trafic de drogue, mais aucun ne fait partie de la délégation.
Plus «d'ennemi intérieur»
Avec ces nominations, le nouveau pouvoir de gauche a précipité le départ d'une trentaine de généraux de l'armée et de la police, du jamais-vu et un séisme à la tête de cette institution.
Après six décennies de conflit contre la guérilla des FARC (désarmés avec l'accord de paix de 2016), toujours en lutte contre les multiples groupes armés opérant dans les provinces du pays (et notamment les dissidents des FARC et la guérilla guévariste de l'ELN), l'armée continue de bénéficier d'un large soutien populaire.
Mais des scandales ont entaché sa réputation: des alliances avec les paramilitaires sanguinaires, des cas de complicité avec le Clan del Golfo (le plus grand gang de la drogue du pays) ou encore l'exécution de plus de 6 000 civils faussement présentés comme des guérilleros tués au combat entre 2002 et 2008.
Vendredi, au cours d'une autre cérémonie avec le commandement policier, le président a lancé un sévère avertissement à cette police, mise en cause pour sa répression sanglante de manifestations populaires en 2021 et ses médiocres résultats dans la lutte contre la drogue.
Il a notamment rejeté "l'ancienne doctrine sécuritaire fondée sur la fausse croyance qu'il existe un ennemi intérieur en Colombie (...)". "Il n'y a pas d'ennemi intérieur dans la société colombienne", a-t-il martelé, en clair référence à une approche trop militariste selon lui et qu'il a toujours critiquée.
L'armée elle aussi a d'abord vocation à "défendre les citoyens", a-t-il répété samedi. Elle devra lutter contre le "narcotrafic, les cartels étrangers dont la puissance croissante menace notre souveraineté". Elle devra aussi protéger l'environnement, et "la forêt amazonienne" en particulier.
Ces bouleversements à la tête de la grande muette interviennent alors que M. Petro entend relancer les négociations de paix avec l'ELN, discuter avec les narcotrafiquants pour qu'ils se soumettent à la justice, et reprendre des relations normales avec le Venezuela voisin, alors que les deux pays étaient à couteaux tirés depuis des années.
"Nous passerons à l'histoire si nous construisons la paix. Nous sommes à ce moment de l'histoire, nous pouvons l'assumer, ou non...", a prévenu le nouveau président devant les généraux.