KLEINTETTAU : Avec ses 400 ans d'histoire, l’entreprise Heinz-Glas, qui fabrique des flacons en verre pour les plus grands parfumeurs, dont l'Oréal, a vu passer les tempêtes. Mais l’actuelle crise gazière qui secoue l'Allemagne pourrait être fatale.
"Nous vivons une situation hors du commun", dit à l’AFP Murat Agac, adjoint exécutif du PDG de cette société familiale allemande, qui a vu passer treize générations à sa tête depuis 1622.
"En cas de fin des livraisons de gaz (...) la production de verre disparaîtra", ajoute-t-il.
Implantée dans la région verrière du Rennsteig, à cheval entre la Bavière, dans le sud du pays, et la Thuringe à l'est, l'entreprise est l'un des principaux acteurs mondiaux du secteur.
Dans son usine bavaroise de Kleintettau, près de 70 tonnes de verre sortent chaque jour du vacarme des machines et de la chaleur des fours.
Pour fabriquer et modeler ce matériau, l'usine a besoin de hautes températures, jusqu'à 1 600 degrés. Le gaz est massivement utilisé dans ce processus.
Jusqu'à récemment la ressource coulait à flot, et à petit prix, grâce aux pipelines reliant l’Allemagne à la Russie.
Mais cette époque est révolue. Moscou a réduit, dans le sillage de la guerre en Ukraine, de 80% ses livraisons.
Résultat, une envolée des prix. Pour Heinz-Glas, le coût "été multiplié par dix, parfois même vingt par rapport à 2019", une situation qui n'est "pas tenable économiquement", estime Murat Agac.
Four à gaz
A Kleintettau, de petits vases, agrémentés de motifs à reliefs, sont modelés dans la fournaise, inspectés minutieusement par les ouvriers, avant d'être envoyés aux clients de l'entreprise - dont le français l'Oréal.
Les conséquences d'un arrêt des livraisons de gaz russe seraient très lourdes pour l'entreprise, qui produit un million de ces flacons par jour en Allemagne.
Le four de la deuxième usine du groupe à Piesau, village de montagne au pied des pâturages, serait définitivement endommagé s'il venait à s'arrêter, selon M. Agac.
Même dans l'usine de Kleintettau, où les fours fonctionnent à l'électricité, environ "40%" du processus industriel marche encore au gaz.
A l’image de Heinz-Glas, c’est l’ensemble de l'industrie allemande, pilier de la première économie de la zone euro, qui est menacée.
Le gaz russe représentait jusqu'à 55% des importations allemandes avant la guerre en Ukraine.
Les industriels se préparent désormais à une fin prochaine des livraisons, alors que le spectre d'un rationnement est déjà agité par le gouvernement.
Le géant chimique BASF a mis au point un vaste plan visant à remplacer le gaz par du mazout dans sa deuxième usine allemande. Le groupe Henkel, spécialiste des lessives et adhésifs, prévoit de son côté un recours massif au télétravail.
Alternatives
Pour faire face, Heinz-Glas a elle investi dans une bassine de stockage de gaz liquéfié, qui pourrait arriver quotidiennement par camion.
Mais cela devrait coûter "trois fois plus cher" qu’actuellement, et ne suffira pas.
A long terme, le remplacement de l'ensemble du système gazier en infrastructures électriques pourrait coûter "50 millions d'euros" pour le groupe, un montant qu'il s'estime incapable de débourser.
"Nous avons besoin du soutien de l'Etat", affirme Murat Agac, laissant planer le risque de délocalisations en Inde, ou en Chine, où l'entreprise détient déjà une usine.
Les deux usines allemandes du groupe auraient en outre besoin de l'équivalent de "3 000 terrains de football de panneaux solaires" pour fonctionner.
Pour les 1 500 salariés de l'entreprise en Allemagne- et 54 000 employés du secteur dans l'ensemble du pays- les perspectives sont donc sombres.
"Moi, je suis âgée, mais les jeunes ici ont peur pour leur emploi", déclare à l'AFP Michaela Trebes, 61 ans, en inspectant des centaines de petites fioles sortant, bien alignées, des chaînes de production.
La direction tente de rassurer les troupes.
"Nous avons vécu lors de notre fondation la guerre de Trente ans (...) la peste. Et rien qu'au 20ème siècle, la Première et la Seconde Guerre mondiale, le choc pétrolier. Nous allons surmonter cette crise", dit M.Agac.