KRAMATORSK: - "Maman, comment vas-tu ?
- Ne t'inquiète pas, tout va bien. On a été bombardés.
- Quoi ??? Comment va grand-mère ?
- Babouchka n'était pas là. Vania dit que le diable la protège!"
Extrait d'une conversation téléphonique enregistrée mi-juillet pour l'AFP entre Anna* et sa famille vivant à Balaklia, une ville sous occupation russe dans le nord-est de l'Ukraine.
Dans les régions prises par les forces de Moscou, coupées du reste de l'Ukraine, rares sont les communications possibles, et les informations sont parcellaires.
L'AFP a pu entrer en contact ces dernières semaines avec des civils vivant à Kherson (sud), Lyssytchansk (est) et Balaklia. Ils décrivent un effondrement des services publics, le manque de gaz, d'électricité, d'internet, un climat empoisonné par la peur et le soupçon. Echos de la vie en zone occupée.
Leurs témoignages ne peuvent être vérifiés de façon indépendante.
KHERSON
L'armée ukrainienne a lancé depuis quelques jours une contre-offensive dans cette région du sud de l'Ukraine, dont la grande ville, Kherson, a été prise par les Russes dès le 3 mars.
Témoignage d'Oleksandre*, un enseignant de 25 ans, vivant dans un village proche de Kherson.
"Libérer Kherson est une chose, mais libérer toute la région en est une autre. Les Russes ont installé des positions défensives en profondeur. Nous savons que ce ne sera pas pour maintenant, mais nous avons de l'espoir.
Les routes de la région sont parsemées de nombreux check-points, et on entend toujours des bombardements. Il y a beaucoup de soldats dans les villes, à Kherson, Nova Kakhovka, de nombreux hélicoptères et avions survolent la zone.
A Kherson même, c'est très déprimant. Il n'y a plus du tout de médicaments et nombre de personnes âgées sont décédées faute de traitements. Pour les vieux, c'est l'enfer.
Il y a un effondrement total des services publics. Les militaires et les nouvelles autorités ne nous disent absolument rien, à part qu'ils sont là pour toujours.
Le rouble ne circule pas, les passeports ne sont pas délivrés, de toute façon personne n'en veut (la Russie a déclaré le rouble monnaie officielle dans les zones qu'elle occupe et a commencé à délivrer des passeports russes, ndlr).
Les hryvnias (monnaie ukrainienne) circulent mais il y a de gros problèmes avec l'argent liquide.
Nous avons assez de nourriture, bien qu'il y ait très peu de livraisons d'aide humanitaire.
Nombre de personnes se retrouvent sans travail, et souvent ne restent que des ouvriers non qualifiés, car les gens qui avaient de l'argent et de bons emplois dans la tech ou la communication sont partis dès le début. Tout s'est arrêté.
Les premières semaines, il y a eu des manifestations importantes contre l'occupation, mais au bout d'un mois cela a cessé, parce qu'il n'y a pas d'internet, pas de communication.
Et tous les activistes soit se cachent, soit ont été enlevés ou tués, je ne sais pas.
Si les Russes t'entendent parler ukrainien, ils pensent que tu es un nazi. Ils vérifient les réseaux sociaux, les tatouages, si tu as des symboles ukrainiens sur le corps, tu es dans de sales draps. Je sais que certains se sont fait effacer leurs tatouages".
LYSSYTCHANSK
Antonina*, 52 ans, vit avec son mari et sa fille de 20 ans dans cette ville du Donbass tombée début juillet aux mains des forces russes.
"Il n'y a pas d'autorités dans la ville, pas de gaz, pas d'eau, pas d'électricité. On ne peut pas prendre de douche. Il y a très peu d'aide humanitaire et encore beaucoup de bombardements.
Je ne sais pas s'il est possible de partir, de toute façon personne n'a d'argent pour ça, les salaires ne sont plus versés depuis plusieurs mois.
Internet fonctionne encore dans certaines villes, comme Svatove, située à une heure de route.
Une fois par semaine, les gens qui le peuvent s'y rendent pour passer des appels personnels, et des appels pour leurs voisins qui n'ont pas la possibilité de se déplacer.
Certaines personnes font des propositions pour aller en Ukraine par bus privé, 600/700 dollars par tête, à travers la Russie, le Bélarus, mais beaucoup de gens n'y croient pas, ils craignent d'être simplement emmenés en Russie".
BALAKLIA
Andriï* et Tetiana* sont un couple d'enseignants de Balaklia, sous occupation depuis début mars. C'est leur fille Ana* qui raconte leur quotidien, au gré des rares conversations qu'elle peut avoir avec eux.
"Dans les premiers mois de la guerre, mes parents ont continué à donner des cours en ligne. Puis internet a été coupé. Ils ont alors appelé leurs élèves pour leur donner des devoirs. Puis le téléphone a été coupé.
Aujourd'hui ils restent officiellement enseignants, mais ne touchent plus de salaire.
Beaucoup de gens sont partis, c'était encore possible au début. Plus maintenant.
Mes parents m'ont raconté que dans leur immeuble de quatre étages il ne reste plus que deux familles.
Certains des habitants qui sont restés se fichent du pays dans lequel ils vivent. Ils soutiennent les nouvelles autorités. Parfois, ils provoquent mes parents en leur disant qu'ils devront désormais enseigner le russe. Mes parents restent calmes.
Au début de l'occupation, des militants patriotes ont été kidnappés, voire tués. Maintenant tout le monde se tient tranquille".