ANKARA: La perspective d'accorder l'asile à Idriss Sihamedi, fondateur de l'ONG BarakaCity, une organisation caritative musulmane interdite en France en raison de ses liens présumés avec le «mouvement islamiste radical», a suscité le débat concernant les répercussions potentielles d’une telle démarche dans le contexte de relations franco-turques devenues conflictuelles.
Le ministère turc de l'Intérieur a annoncé le 29 octobre qu'Ankara a reçu la demande officielle de Sihamedi et de son équipe, et qu’elle procèdera à son évaluation.
Sihamedi, fondateur de BarakaCity, a affirmé ne plus se sentir en sécurité en France. Son ONG a été officiellement fermée le 28 octobre au motif qu'elle «incite à la haine, entretient des relations avec le mouvement islamiste radical et justifie des actes terroristes».
Il a posté sa demande d'asile sur son compte Twitter officiel en français et en turc, en mentionnant le président turc Recep Tayyip Erdogan. Il a également prétendu avoir reçu des menaces de mort.
Son message a reçu une réponse rapide du département de gestion des migrations du ministère turc de l'Intérieur: «Bonjour Sihamedi. Si vous et vos collègues présentez une demande personnelle à notre institution avec vos noms, prénoms, informations d'identité, demandes d'asiles et numéros de passeports, vos demandes seront évaluées ».
Cependant, les experts pensent que répondre à la demande d'asile de ces radicaux signifie jouer avec le feu.
«Erdogan flirte avec les jihadistes»
«Je pense qu'Erdogan continue de jouer un jeu dangereux en flirtant avec des personnalités radicales et dans certains cas des djihadistes», a déclaré à Arab News, Colin Clarke, chercheur principal sur les réseaux de financement du terrorisme au Centre Soufan. «La Turquie est déjà considérée comme un point chaud pour les jihadistes étant donné sa proximité avec l'Irak et la Syrie».
Sihamedi est accusé d'inciter à la haine, d'encourager les gens à commettre des actes de violence, de maintenir des relations au sein du mouvement islamiste radical, de blanchir de l'argent au nom d'organisations salafistes et d'exprimer son soutien à Hitler et aux nazis.
Il est également mis en cause pour avoir organisé des attentats suicides et soutenu Daech.
Selon Clarke, l’accord par la Turquie de l'asile à Sihamedi et à son équipe, peut créer des problèmes, non seulement au niveau national mais aussi avec les alliés de l'OTAN.
«Aller de l'avant avec de telles actions pourrait facilement se retourner contre la Turquie et provoquer un retour de flamme considérable. Je trouve ces flirts manifestes avec les islamistes radicaux contre-productifs et peu clairvoyant», a-t-il déclaré.
Sihamedi a été expulsé de Turquie l’année dernière en mai à la demande de la France et son passeport a été confisqué à l’aéroport d’Istanbul.
BarakaCity a été fondée en 2010 à Evry-Courcouronnes (Essonne). L'ONG humanitaire islamique est étroitement surveillée par les services de renseignement français depuis 2014. Ses bâtiments ont été perquisitionnés à plusieurs reprises en 2015 et 2017, et elle sous enquête pour «financement du terrorisme» et «association de criminels terroristes» depuis déjà trois ans.
Terroristes du Bataclan
L'ONG a déclaré vouloir déménager son siège dans un autre pays. Au moment où les relations entre Paris et Ankara sont plus tendues que jamais, la branche turque de l'ONG est dirigée par un ressortissant franco-turc connu pour ses origines salafistes.
«Le gouvernement français a également dissous BarakaCity pour sa réception, par le passé, de l'argent de la part de Samy Amimour, membre du commando terroriste du Bataclan en 2015, ainsi que Larossi Abballa, qui en 2016 a tué un policier et sa femme à Magnanville», a déclaré Matteo Pugliese, chercheur associé au groupe de réflexion à l'Institut italien d'études politiques internationales (ISPI) basé à Milan.
«Selon le gouvernement français, BarakaCity fournit une sorte de justification idéologique pour les radicaux violents, surtout lorsqu'elle appelle à punir ceux qui publient des caricatures ou critiquent l'islam. Je crois que nous parlons ici d'une zone grise, où l'extrémisme non violent rencontre la radicalisation extrême» a affirmé Pugliese avant d’ajouter que «si la Turquie accorde l'asile à Sihamedi, la France l'utilisera pour accuser le pays d'abriter des islamistes qui procèdent à la radicalisation par le biais de la propagande en ligne». « Cela fait certainement partie de l'escalade verbale entre Macron et Erdogan et sera mise à profit par les deux pour des objectifs purement politiques internes », a-t-il conclu.
Sihamedi a été libéré sous contrôle judiciaire et doit être jugé en décembre. Le gouvernement français a également annoncé son intention de dissoudre d'autres associations soupçonnées de soutenir des idéologies extrémistes.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com