Si les gouvernements n'agissent pas, l'augmentation du coût de la vie pèsera très lourd

Short Url
Publié le Lundi 25 juillet 2022

Si les gouvernements n'agissent pas, l'augmentation du coût de la vie pèsera très lourd

Si les gouvernements n'agissent pas, l'augmentation du coût de la vie pèsera très lourd
  • La hausse des prix de l'énergie avait accéléré l'inflation dans de nombreux pays avant même l'invasion de l'Ukraine par la Russie
  • L'inflation a un jour été décrite comme l'impôt le plus cruel de tous, car elle touche les pauvres de manière disproportionnée

Force est de constater qu'après une longue période où la stabilité des prix était l'une des caractéristiques de l'économie mondiale, nous sommes entrés dans une nouvelle ère volatile marquée par une forte inflation et un possible ralentissement économique.

En raison de l'ensemble unique de circonstances à l'origine de cette hausse du coût de la vie, il est raisonnable de croire qu'elle restera une caractéristique majeure des économies mondiales dans un avenir prévisible.

Ce qui est inquiétant, c'est qu'il existe une génération de dirigeants politiques et d'entreprises qui ne savent pas fonctionner dans un tel contexte, avec tous les risques qu'il comporte. Après tout, c'est la première fois de mémoire d'homme que ce phénomène est le résultat de la combinaison d'une pandémie mondiale et d'une guerre majeure qui affecte la chaîne d'approvisionnement.

Tous les segments de la société mondiale sont touchés par l'augmentation du coût de la vie, mais ce sont ceux qui sont déjà les plus mal lotis qui sont le plus durement touchés, tant dans les pays développés que dans les pays en développement. Dans sa forme la plus dure, elle prive les gens des produits de base les plus élémentaires, notamment la nourriture, le logement, l'éducation et la santé, les obligeant à faire des choix douloureux qui ont des effets immédiats et à long terme sur leur bien-être, notamment sur leur espérance de vie.

Si elle n'est pas traitée rapidement, cette crise entraînera non seulement des souffrances humaines et une perte de potentiel, mais pourrait également provoquer des troubles sociaux, voire une révolution sociale. La hausse incontrôlée des prix entraîne des difficultés évidentes et tangibles, mais l'inflation galopante laisse également des cicatrices psychologiques, en raison des incertitudes qu'elle crée et, avec elles, des angoisses généralisées et chroniques pour les individus, les familles et les entreprises.

Depuis que le monde a été frappé par une pandémie sans précédent, il y a plus de deux ans et demi, certaines des suppositions sur la stabilité économique mondiale ont été chamboulées. Les gouvernements aux instincts conservateurs ont injecté des milliards de dollars, quelle que soit la monnaie qu'ils utilisent, dans leurs économies pour éviter un effondrement total, puis dans les programmes de test et de vaccination Covid, et ce à juste titre. Pour les pays les plus pauvres, ce n'était même pas une option, et nombre d'entre eux ont subi des pertes non seulement humaines mais aussi économiques en raison de l'arrêt des activités manufacturières, commerciales et touristiques, sans que leurs citoyens bénéficient des filets de sécurité et des avantages sociaux dont jouissent les pays riches.

La hausse des prix de l'énergie avait accéléré l'inflation dans de nombreux pays avant même l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et elle s'est encore intensifiée depuis le début du conflit en février, entraînant une énorme incertitude quant à l'approvisionnement de l'Europe en gaz et en denrées alimentaires et provoquant une hausse incontrôlable des prix des biens et services.

Cet épisode d'inflation n'est pas le signe d'une surchauffe des économies ; il est plutôt le résultat de pénuries créées par des conditions inhabituelles, avec une crainte réelle qu'il ne conduise à la stagflation - un mélange des plus néfastes de stagnation de la croissance et d'inflation causée par des pressions sur l'offre.

L'inflation a un jour été décrite comme l'impôt le plus cruel de tous, car elle touche les pauvres de manière disproportionnée. Des sondages réalisés à l'échelle mondiale par des chercheurs de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international ont révélé que les personnes qui s'identifient comme très pauvres ont une probabilité de 10,5 % plus élevée de citer l'inflation comme principale préoccupation que celles qui s'identifient comme riches, car elle réduit presque instantanément leur qualité de vie.

Tout d'abord, les personnes économiquement défavorisées doivent consacrer une plus grande part de leurs revenus aux produits de base tels que la nourriture et l'énergie, ce qui les rend plus vulnérables aux hausses de prix.

En outre, les personnes les plus aisées sont mieux armées pour se protéger de l'inflation, car elles détiennent des actifs diversifiés et, en période d'austérité, elles peuvent puiser dans leurs économies jusqu'à ce que les nuages noirs soient passés. Ce privilège n'est pas accordé à ceux qui vivent au jour le jour et qui ont du mal, dans le meilleur des cas, à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

Les filets de sécurité et les prestations sociales sont plus généreux dans certains pays que dans d'autres, mais l'inflation érode leur valeur. Pire, si la stagnation prévue se concrétise, elle sera probablement suivie d'un resserrement des politiques budgétaires qui, une fois de plus, portera préjudice aux pauvres et aux classes moyennes inférieures qui dépendent davantage des services publics, notamment en matière d'éducation et de santé, et même des denrées alimentaires subventionnées ou des programmes qui facilitent la mobilité économique et sociale.

Rien ne permet de penser que l'économie mondiale va sortir de cette crise inflationniste de sitôt, car la pandémie de Covid-19 est loin d'être terminée et de nouveaux variants pourraient créer de nouvelles pressions économiques. Pendant ce temps, la guerre en Ukraine n'est pas près de s'arrêter.

Le FMI prévoit que les deux prochaines années seront difficiles, avec un risque réel de récession. Avec ces crises, la question du changement climatique a été reléguée au second plan, mais, comme l'ont montré les récentes vagues de chaleur en Europe, la nécessité de faire face à ses retombées dévastatrices devient de plus en plus urgente - et ces conséquences, une fois encore, touchent les plus vulnérables de nos sociétés.

Si les gouvernements et les organisations internationales ne peuvent pas, ou ne veulent pas, relever le défi que représente l'écart entre l'augmentation du coût de la vie et le retard des revenus, cela augmente le risque de troubles sociaux, en particulier dans les pays qui souffrent d'une gouvernance dégradée et inadéquate.

Selon l'indice des troubles civils de Verisk-Maplecroft, la combinaison de la hausse des prix et des restrictions gouvernementales a déjà provoqué une augmentation des troubles civils dans les principales économies émergentes. Cela pourrait créer un effet boule de neige d'instabilité politique, qui nuit à la confiance des investisseurs et crée à son tour des conditions économiques encore plus mauvaises.

Compte tenu des circonstances et des causes très particulières de la hausse actuelle du coût de la vie, et parce que l'inflation est à son niveau le plus élevé depuis des décennies, il incombe aux gouvernements de prendre des mesures urgentes et coordonnées pour la contenir.

On s'attendait à un resserrement des politiques monétaires par le biais de fortes augmentations des taux d'intérêt, mais cela risque également d’entrainer une profonde récession, car cela augmente le coût des emprunts et du logement, ce qui pourrait finir par faire passer des millions de personnes supplémentaires sous le seuil de pauvreté, voire en faire des sans-abris.

Par conséquent, les politiques monétaires et fiscales doivent être mises en œuvre avec prudence, en appliquant des mécanismes visant à protéger ceux que ces mesures risquent de blesser le plus. Les mesures visant à contenir l'inflation doivent éviter de nuire aux personnes qui luttent déjà pour survivre et ne doivent pas compromettre l'avenir de la jeune génération. Sinon, les prix pourraient cesser d'augmenter, mais les coûts sociaux à long terme seront incommensurablement élevés.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA de Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com