PARIS: Ce prix, parrainé par l’académie du royaume du Maroc et le président du jury, Henry Laurens, récompense un travail contribuant au progrès de la recherche sur l’Histoire du monde arabe. «C’est une fierté particulière que de recevoir ce prix, car il est remis par un jury scientifique et académique, coordonné par l’Institut du monde arabe (IMA) qui est une institution prestigieuse et transnationale. L’IMA est l’une des rares institutions française, soutenue et financée par de nombreux pays arabes et du Maghreb», souligne Vincent Lemire.
Le quartier maghrébin de Jérusalem
L’auteur raconte le sort tragique du quartier maghrébin de Jérusalem, édifié au XIIe siècle au pied du mur des Lamentations, et détruit à l’issue de la guerre des Six-Jours en 1967. S’appuyant sur les recherches les plus récentes et de nombreuses sources inédites telles que les archives inédites de la municipalité de Jérusalem, d’Istanbul, de Genève, de Rabat et de Nantes, l’historien lève le voile sur une histoire inconnue. «Le livre commence par un mystère sur l’histoire complètement inconnue de ce quartier qui a pourtant existé pendant des siècles.» Il précise que, côté israélien, cette histoire oblitérée n’est pas une surprise.
Au cœur des Lieux saints de Jérusalem
Fondé par Saladin, ce quartier très dense dont les habitants avaient des noms de familles comme Al-Maghribi, Al-Jazaïri («d’Algérie»), Al-Tounsi («de Tunisie»), Al-Fassi («de Fès»), étaient, en tant que ressortissants du Maghreb colonial de l’époque, de nationalité française et porteurs d’une identité maghrébine très forte.
«Au pied du mur est un livre qui raconte une histoire transnationale qui rappelle que les frontières n’ont pas été aussi importantes qu’aujourd’hui. Les liens entre les pays du Maghreb étaient très forts; il s’agissait d’une entité en soi, où les gens circulaient. Ce n’est malheureusement plus le cas désormais, avec des conflits importants entre le Maroc et l’Algérie. Au-delà du Maghreb, le monde islamique méditerranéen était beaucoup plus ouvert et poreux; les familles se déplaçaient, que ce soit pour des raisons religieuses ou économiques. Tout cela est devenu plus difficile, en raison des frontières ou de questions géopolitiques.»
À quelques mètres de l’esplanade de la mosquée Al-Aqsa, le quartier maghrébin était composé de cent trente-cinq maisons où vivaient près d’un millier de personnes. «Ce quartier est une fondation pieuse islamique, un waqf destiné à loger, à nourrir et à soigner des pèlerins originaires du Maghreb, en route vers La Mecque», explique Vincent Lemire. À l’époque, les pèlerinages du Hajj prenaient plusieurs mois et se faisaient à pied et/ou par bateaux. Pour atteindre La Mecque, il fallait passer par Hébron et Jérusalem, la ville des patriarches et des prophètes où on se met en état de sainteté en revêtant les habits blancs.
«Pour des raisons de maladies ou de veuvage, de nombreux pèlerins ont décidé de s’y installer et de mourir dans la Ville sainte (…). Du XIIe siècle jusqu’aux années 1960, ce quartier, situé au cœur des Lieux saints, est devenu l’un des quartiers singuliers de Jérusalem qu’on a toujours appelé “le quartier maghrébin”», raconte l’auteur.
Un quartier convoité
Les recherches de Vincent Lemire révèlent que les organisations des mouvements sionistes cherchaient à acquérir le quartier maghrébin dès la fin du XIXe siècle, pour agrandir l’espace étroit de prières du mur des Lamentations, qui ne permettrait pas d’organiser des prières collectives. «Les recherches prouvent que des tentatives d’achat ont été menées, qui n’ont pas abouti, car ce quartier appartenait à une fondation religieuse, donc inaliénable et inaccessible sur le plan juridique», souligne Vincent Lemire.
L’occasion se présente à l’issue de la guerre des Six-Jours au cours de laquelle l’armée israélienne finira par le détruire. «La destruction du quartier s’est déroulée dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 juin 1967, à quelques heures à peine du cessez-le-feu», explique l’auteur. Elle fut brutale et rapide.
Que sont devenues les familles après la destruction du quartier? Selon l’historien, s’appuyant sur des documents d’archives de la ville de Jérusalem, ces familles, qui ont obtenu des compensations, évaluées en deçà des valeurs immobilières de l’époque, ont été relogées chez les familles des quartiers avoisinants comme Silwan, Shuafat ou encore Jéricho.