Petites combines et grandes manoeuvres autour du «talon d'Achille de l'Otan dans l'Arctique»

Sur cette photo d'archive prise le 07 mai 2022, un monument à Lénine est photographié pendant le blizzard, dans la ville minière de Barentsburg, sur l'archipel du Svalbard, dans le nord de la Norvège. (AFP)
Sur cette photo d'archive prise le 07 mai 2022, un monument à Lénine est photographié pendant le blizzard, dans la ville minière de Barentsburg, sur l'archipel du Svalbard, dans le nord de la Norvège. (AFP)
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Publié le Jeudi 23 juin 2022

Petites combines et grandes manoeuvres autour du «talon d'Achille de l'Otan dans l'Arctique»

  • Un traité atypique, conclu en 1920 à Paris, qui garantit aussi aux ressortissants des Etats signataires la liberté d'y exploiter les ressources naturelles «sur un pied de parfaite égalité»
  • C'est à ce titre que, depuis des décennies, la Russie - l'URSS avant elle - extrait du charbon sur ces terres habitées par moins de 3 000 personnes d'une cinquantaine de nationalités

BARENTSBURG: Dans le blizzard, des drapeaux russes, une sculpture à la gloire du communisme, un buste de Lénine... Incongrus en terre occidentale, les emblèmes témoignent des visées internationales sur l'archipel norvégien du Svalbard en plein cœur d'un Arctique convoité.

A un millier de kilomètres du pôle Nord, ce territoire grand comme deux fois la Belgique, parfois considéré comme le "talon d'Achille de l'Otan dans l'Arctique", offre à des puissances comme la Russie et la Chine une possibilité unique d'étendre leur empreinte dans une région stratégiquement importante et économiquement prometteuse.

La raison à cela ? Un traité atypique, conclu en 1920 à Paris, qui reconnaît la souveraineté de la Norvège sur le Svalbard mais garantit aussi aux ressortissants des Etats signataires (aujourd'hui 46) la liberté d'y exploiter les ressources naturelles "sur un pied de parfaite égalité".

C'est à ce titre que, depuis des décennies, la Russie - l'URSS avant elle - extrait du charbon sur ces terres habitées par moins de 3 000 personnes d'une cinquantaine de nationalités.

Ici, tout ou presque est glacial: la nature avec ses pics enneigés, ses glaciers et ses glaces marines malmenés par le changement climatique, les températures qui tombent souvent à -20°C l'hiver, mais aussi le décor façonné par les hommes.

Anachronique avec sa sculpture géante proclamant "Notre objectif - le communisme" et ses autres vestiges soviétiques, le village de Barentsburg pérennise la présence russe sur l'archipel.

Quelque 370 Russes et Ukrainiens du Donbass y cohabitent encore autour d'un filon de houille de piètre qualité. Plongés dans une obscurité totale l'hiver, sans route pour rejoindre le chef-lieu Longyearbyen (peuplé essentiellement de Norvégiens), ils dépendent de la mer pour être approvisionnés.

Sur les hauteurs, trône le consulat de Russie, moderne et protégé par de hautes grilles. Sergueï Gouchtchine y reçoit dans une entrée en marbre égayée par un jardin d'hiver, un luxe qui détonne avec l'allure décatie des bâtisses environnantes.

"Le Spitzberg est recouvert de la sueur et du sang du peuple russe depuis des siècles", affirme le consul. "Je ne conteste pas que c'est un territoire norvégien mais il fait (aussi) partie de l'histoire russe".

A la toponymie officielle - "Svalbard" - choisie par la Norvège pour asseoir son emprise sur l'archipel, les Russes préfèrent systématiquement le nom historique de "Spitzberg" (ou "Spitsberg"), une dissonance qui n'est symboliquement pas innocente.

Arguant que ses pêcheurs et chasseurs venaient sous ces latitudes dès le XVIe siècle traquer la baleine, le phoque et l'ours polaire et qu'elle y est aujourd'hui, hormis la Norvège, le seul acteur économique d'importance, la Russie veut avoir voix au chapitre sur la gouvernance du Svalbard.

Un ovni juridique conçu sous l'édredon: cinq choses à savoir sur le traité du Svalbard

Comptant parmi l'un des plus anciens traités internationaux encore en vigueur, le traité du Svalbard encadre la gouvernance de l'archipel de l'Arctique depuis son élaboration, dans des circonstances rocambolesques, à Paris en 1920.

Voici cinq choses à savoir sur le traité du Svalbard:

Texte atypique

Dans le premier des dix articles du "Traité concernant le Spitsberg" - premier nom donné au Svalbard, également parfois orthographié "Spitzberg" -, les signataires reconnaissent "la pleine et entière souveraineté de la Norvège" sur l'archipel et ses dépendances, jusqu'alors considérés comme "terra nullius" (n'appartenant à personne).

Mais les articles suivants garantissent aux ressortissants des parties contractantes la liberté d'exploiter les ressources naturelles du territoire, leur accordant notamment le droit de se livrer "à toutes opérations maritimes, industrielles, minières et commerciales sur un pied de parfaite égalité".

Les possibilités de militarisation sont aussi drastiquement limitées. L'article 9 dispose que "la Norvège s'engage à ne créer et à ne laisser s'établir aucune base navale (...), à ne construire aucune fortification dans lesdites régions, qui ne devront jamais être utilisées dans un but de guerre".

Né d'une liaison adultère

"L'ébauche du traité du Svalbard a été conçue dans un lit" entre l'ambassadeur norvégien, Fritz Wedel Jarlsberg, qui entretenait une relation avec le conseiller juridique du ministère français des Affaires étrangères, Henri Fromageot", affirme l'ancien diplomate norvégien, Sverre Jervell.

"C'est une histoire épique" car dans l'intimité de leur liaison adultère à Paris, M. Jarlsberg écrit le premier article qui "dit que la Norvège a l'entière souveraineté sur le Svalbard" et M. Fromageot les suivants "qui disent en fait que la Norvège n'a pas l'entière responsabilité sur le Svalbard".

"Quand le texte a été envoyé à Oslo, le ministre des Affaires étrangères (Nils Ihlen, ndlr) est devenu très nerveux, il n'en voulait pas parce qu'il avait peur des Russes" qui auraient aussi pu revendiquer le territoire, relate M. Jervell.

Mais "le traité a été signé à l'insu" d'Oslo.

Il entre en vigueur en 1925.

46 signataires

Seule une poignée de pays sont représentés dans les tractations commencées en 1919. L'Allemagne, tout juste défaite pendant la Première Guerre mondiale, et la Russie, puissance qui aurait pu fait valoir ses droits mais alors en proie à la révolution, sont exclues des pourparlers.

Accepter une souveraineté norvégienne est d'autant plus digeste pour les Etats présents que le royaume nordique est neutre.

Rapidement reconnue par la Norvège après sa création fin 1922, l'Union soviétique signe formellement le traité en 1935.

Chine, Inde, Arabie saoudite, Venezuela, les deux Corées... Des dizaines d'autres pays signeront ultérieurement le texte, portant à 46 le nombre des parties contractantes.

Différences d'interprétation

Le traité est l'objet d'interprétations divergentes, en particulier sa portée géographique.

Presque seule contre tous, la Norvège affirme qu'en mer, il s'applique aux seules eaux territoriales, limitant ainsi l'accès égal aux ressources à la zone des 12 milles marins autour du Svalbard.

La Russie et les pays occidentaux estiment, eux, que le traité, de par son esprit, vaut pour les 200 milles de la Zone économique exclusive (ZEE), concept qui n'existait pas en 1920.

Pour contourner l'obstacle, la Norvège n'a pas établi de ZEE mais mis en place une Zone de protection des pêches (ZPP) qui lui permet de réglementer la pêche dans ces eaux.

Enjeux considérables

Derrière ces arguties juridiques, des ressources potentiellement considérables...

Jugeant que le principe d'égalité d'accès valait pour la zone des 200 milles - et ignorant le fait que la Norvège (non membre de l'UE) est, de toute façon, la seule puissance réglementaire reconnue -, l'Union européenne a accordé à ses pêcheurs des permis sur le cabillaud et le crabe des neiges ces dernières années.

Si Bruxelles et Oslo ont récemment convenu de quotas sur le cabillaud, la question de fond sur la portée géographique du traité n'a toujours pas été tranchée par une instance internationale.

Le crabe des neiges est particulièrement problématique.

Contrairement aux pêcheurs européens, la Norvège estime qu'il s'agit d'une espèce "sédentaire" (vivant en contact permanent avec le fond marin comme les huîtres) qui relève donc du droit régissant le plateau continental, autre concept qui n'existait pas en 1920 et où un Etat côtier dispose de droits exclusifs.

Si Oslo devait un jour transiger sur le crabe, la question de la propriété se poserait pour d'autres ressources (hydrocarbures, minéraux) gisant potentiellement au même endroit.

L'arme environnementale

Incidemment, l'archipel, notamment l'île la plus au sud, Bjørnøya (l'île aux Ours), est posté près des eaux que les sous-marins nucléaires russes de la puissante Flotte du Nord doivent emprunter pour gagner l'océan Atlantique.

"Le principal intérêt des Russes est d'éviter une situation où d'autres pourraient utiliser l'endroit à des fins offensives", analyse Arild Moe, chercheur à l'Institut Fridtjof Nansen à Oslo.

"Pour ce faire, ils y maintiendront une présence raisonnable et seront aussi très attentifs à ce qui s'y produit", dit-il.

Après avoir plaidé, en vain, pour une cogestion au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Russie réclame maintenant, sans plus de succès, des "consultations bilatérales" pour lever les restrictions qui, dit-elle, brident ses activités dans l'archipel.

Son filon de charbon tournant depuis longtemps à perte, Barentsburg a ajouté des cordes à son arc en se diversifiant dans la recherche scientifique et le tourisme. On y vient en motoneige ou en bateau, selon les saisons, pour admirer ce qui fut pendant des décennies une vitrine de l'URSS du côté occidental du Rideau de fer.

Tous ces vestiges du passé, "on les garde ici non pas parce qu'on aspire toujours au communisme mais parce que l'on tient à notre patrimoine et aussi parce que les touristes aiment se prendre en photo avec", glisse la guide et historienne Natalia Maximichina.

Mais Moscou reproche aux autorités norvégiennes d'entraver l'expansion de ses activités en invoquant la protection de la nature, un impératif contenu dans le traité fondateur. Les vols d'hélicoptères russes sont par exemple très strictement encadrés.

"On a commencé à mettre en place des réserves naturelles autour des implantations russes", reconnaît l'ancien diplomate Sverre Jervell, architecte de la politique norvégienne dans la région de la mer de Barents.

"Surtout après la fin de la Guerre froide et la dissolution de l'URSS, quand Barentsburg peinait à rester à flot".

Pour réfréner les ambitions russes ? "Pas officiellement, mais en réalité, oui", dit-il. "On avait bien sûr de bons arguments: c'est une nature très fragile. Mais on a en particulier protégé les espaces autour des implantations russes".

Outre Barentsburg, la Russie a longtemps maintenu d'autres communautés minières (Pyramiden, Grumant) sur l'archipel, à tel point que le nombre de Russes y dépassait largement celui des Norvégiens à la fin de la Guerre froide.

Action, réaction 

Régulièrement, la Russie hausse la voix et accuse la Norvège de violer une disposition importante du traité qui, de facto, fait du Svalbard un espace démilitarisé.

Chaque escale de frégate norvégienne ou visite de parlementaires de l'Otan donne lieu à des protestations officielles.

Idem pour la gigantesque station satellite Svalsat, près de Longyearbyen, la plus grande installation de ce type au monde.

Sur un plateau venteux, tout près de la Réserve mondiale de semences (la fameuse "Arche de Noé végétale"), quelque 130 antennes abritées par des radômes blancs aux airs de balles de golf géantes communiquent avec l'espace. Et téléchargent des données militaires, fustige Moscou.

En janvier, un des deux câbles à fibre optique reliant Svalsat au continent a été mystérieusement endommagé.

Les critiques fusent dans les deux sens. La Russie est, elle aussi, accusée de prendre des libertés avec le traité.

Comme lorsque son vice-Premier ministre Dmitri Rogozine, pourtant sur la liste des sanctions européennes après l'annexion russe de la Crimée en 2014, a fait une apparition impromptue au Svalbard en 2015.

Ou quand des forces spéciales tchétchènes en route pour un exercice près du pôle Nord y ont fait escale l'année suivante.

Si les experts excluent la réédition du scénario criméen dans l'archipel, ils disent s'attendre à y observer de nouvelles passes d'armes à cause du nouveau coup de froid provoqué par l'invasion russe de l'Ukraine le 24 février.

"Le Svalbard est sensible à la conjoncture internationale", analyse Arild Moe. "C'est un endroit où la Russie peut facilement exprimer son mécontentement et mettre la pression sur la Norvège. On va probablement le voir à l'avenir".

«Talon d'Achille de l'Otan»

Pour James Wither, professeur au Centre européen d'études de sécurité George C. Marshall, l'archipel est le "talon d'Achille de l'Otan dans l'Arctique" car son "éloignement de la Norvège continentale et son statut juridique particulier le rendent politiquement et militairement vulnérable à l'aventurisme russe".

"Bien que le danger d'une confrontation militaire directe reste faible", Moscou pourrait être tenté d'y avancer de manière à diviser le camp occidental, écrivait l'ancien officier britannique en 2018.

La Norvège cherche à minimiser les griefs russes, arguant qu'ils sont connus de longue date et qu'elle jouit sur ces îles de la même souveraineté que sur n'importe quelle autre partie de son territoire.

Salué pour avoir réussi à nouer des liens étroits avec son homologue russe Sergueï Lavrov quand il était ministre des Affaires étrangères entre 2005 et 2012, le Premier ministre norvégien Jonas Gahr Støre se veut l'apôtre de l'adage "Grand Nord, basses tensions".

"Je ne dirais pas que nous sommes en train d'être testés, mais il y a un intérêt grandissant pour l'Arctique des pays riverains et plus éloignés", dit-il.

"Nous souhaitons voir les communautés se développer au Svalbard (...) et cela se fera de manière transparente", ajoute-t-il.

Par précaution, l'Etat norvégien a tout de même déboursé 300 millions de couronnes (33,5 millions d'euros) en 2016 pour acheter un immense domaine foncier à proximité immédiate de Longyearbyen, le seul encore dans des mains privées sur l'archipel.

Face à l'intérêt supposé d'investisseurs étrangers, notamment chinois, le gouvernement d'alors avait justifié l'achat de ces 217,6 km2 par son "souhait que ces terres soient norvégiennes".

L'arrivée éventuelle de nouvelles puissances soulève la crainte d'une déstabilisation, une peur sur laquelle la Russie ne manque pas de jouer.

"Si nous quittions le Spitzberg, qui viendrait prendre notre place ?" demande le consul Sergueï Gouchtchine. "Cela pourrait être la Chine par exemple ou les Etats-Unis, ou n'importe quel autre Etat partie au traité".

«Diplomatie par la science»

Au même titre que le Groenland, l'Islande ou les îles Féroé, le Svalbard semble bien dans le viseur de la Chine qui se définit comme un Etat "quasi Arctique" et affiche sa volonté d'établir une "route de la Soie polaire".

Dans un Arctique qui se réchauffe trois fois plus vite que la planète, le recul de la banquise ouvre des opportunités économiques, réelles ou fantasmées: nouvelles zones de pêche, nouvelles routes maritimes commerciales, accès plus facile à de potentielles ressources pétro-gazières et minérales...

Tout est bon pour mettre le pied dans la porte.

Troisième localité de l'archipel, Ny-Ålesund est une ancienne communauté minière désormais tournée vers la recherche scientifique internationale.

Parmi les bâtisses occupées par les institutions d'une dizaine de pays, difficile de ne pas voir celle occupée par les chercheurs chinois.

Caractéristiques de la Chine impériale, deux grands lions gardiens en marbre veillent sur l'entrée du vénérable bâtiment, propriété de l'Etat norvégien mais rebaptisé "station Fleuve jaune" par ses locataires de l'Institut de recherche polaire de Chine (PRIC).

Un flagrant exemple de "planter de drapeau", de "diplomatie par la science" dont la portée ne doit pas être sous-estimée, selon Torbjørn Pedersen, professeur norvégien de sciences politiques à l'université de Bodø.

"Certaines capitales étrangères en sont venues à dépeindre leur présence là-bas comme des stations nationales et des positions stratégiques susceptibles de leur donner une influence politique sur les îles et dans la région arctique au sens large", écrivait-il dans le Polar Journal en 2021.

"Une partie de la présence scientifique au Svalbard peut sembler motivée par des motivations géopolitiques", ajoutait-il. Elle "pourrait potentiellement enhardir certains acteurs étatiques, y compris des grandes puissances, avec des aspirations régionales - et devenir un véritable défi de sécurité pour le pays hôte, la Norvège".

Les autorités norvégiennes voient d'un mauvais œil ces postures qui ont davantage leur place en Antarctique que dans un pays souverain.

En 2019, elles ont lancé une nouvelle stratégie officielle qui vise à affaiblir cette logique de stations autonomes sur lesquelles chaque nation ferait flotter son pavillon. L'accent doit être mis dorénavant sur des recherches communes par thématiques au sein d'infrastructures partagées.

La mission scientifique franco-allemande (AWIPEV) semble faire les frais de cette reprise en main. Depuis 2014, France et Allemagne souhaitent regrouper au sein d'un bâtiment unique leurs moyens actuellement dispersés sur plusieurs emprises, mais le dossier n'avance pas.

En coulisse, il se murmure que les Norvégiens redoutent de créer un précédent.

"On ne peut pas faire quelque chose pour les Français et refuser la même chose aux Chinois", résume Sverre Jervell. "Le principe du traité du Svalbard est de ne pas discriminer".


Le Parlement ukrainien déserté par crainte de frappes russes

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  • L'Otan et l'Ukraine doivent se retrouver mardi à Bruxelles pour évoquer la situation, selon des sources diplomatiques interrogées par l'AFP
  • La tension ne retombait pas en Ukraine, où le Parlement, la Rada, a "annulé" sa séance en raison de "signaux sur un risque accru d'attaques contre le quartier gouvernemental dans les jours à venir", ont expliqué plusieurs députés à l'AFP

KIEV: Le Parlement ukrainien a annulé vendredi sa séance par crainte de frappes russes en plein coeur de Kiev, au lendemain du tir par la Russie d'un nouveau missile balistique et de menaces de Vladimir Poutine à l'adresse de l'Occident.

Après ce tir, le président russe s'était adressé à la nation jeudi soir en faisant porter la responsabilité de l'escalade du conflit sur les Occidentaux. Il a estimé que la guerre en Ukraine avait pris désormais un "caractère mondial" et menacé de frapper les pays alliés de Kiev.

Le Kremlin s'est dit confiant vendredi sur le fait que les Etats-Unis avaient "compris" le message de Vladimir Poutine.

L'Otan et l'Ukraine doivent se retrouver mardi à Bruxelles pour évoquer la situation, selon des sources diplomatiques interrogées par l'AFP.

La tension ne retombait pas en Ukraine, où le Parlement, la Rada, a "annulé" sa séance en raison de "signaux sur un risque accru d'attaques contre le quartier gouvernemental dans les jours à venir", ont expliqué plusieurs députés à l'AFP.

En plein coeur de Kiev, ce quartier où se situent également la présidence, le siège du gouvernement et la Banque centrale, a jusqu'à présent été épargné par les bombardements. L'accès y est strictement contrôlé par l'armée.

Le porte-parole du président Volodymyr Zelensky a de son côté assuré que l'administration présidentielle "travaillait comme d'habitude en respectant les normes de sécurité habituelles".

"Compris" le message 

S'adressant aux Russes à la télévision jeudi soir, Vladimir Poutine a annoncé que ses forces avaient frappé l'Ukraine avec un nouveau type de missile balistique hypersonique à portée intermédiaire (jusqu'à 5.500 km), baptisé "Orechnik", qui était dans sa "configuration dénucléarisée".

Cette frappe, qui a visé une usine militaire à Dnipro, dans le centre de l'Ukraine, est une réponse, selon M. Poutine, à deux frappes menées cette semaine par Kiev sur le sol russe avec des missiles américains ATACMS et britanniques Storm Shadow, d'une portée d'environ 300 kilomètres.

M. Poutine a ainsi estimé que la guerre en Ukraine avait pris un "caractère mondial" et annoncé que Moscou se réservait le droit de frapper les pays occidentaux car ils autorisent Kiev à utiliser leurs armes contre le sol russe.

"Le message principal est que les décisions et les actions imprudentes des pays occidentaux qui produisent des missiles, les fournissent à l'Ukraine et participent ensuite à des frappes sur le territoire russe ne peuvent pas rester sans réaction de la part de la Russie", a insisté vendredi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

Il s'est dit persuadé que Washington avait "compris" ce message.

La veille, les Etats-Unis, qui avaient été informés 30 minutes à l'avance du tir russe, avaient accusé Moscou de "provoquer l'escalade". L'ONU a évoqué un "développement inquiétant" et le chancelier allemand Olaf Scholz a regretté une "terrible escalade".

La Chine, important partenaire de la Russie accusé de participer à son effort de guerre, a appelé à la "retenue". Le Kazakhstan, allié de Moscou, a renforcé ses mesures de sécurité en raison de cette "escalade en Ukraine".

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky a lui appelé la communauté internationale à "réagir", dénonçant un "voisin fou" qui utilise l'Ukraine comme un "terrain d'essai".

"Cobayes" de Poutine 

Au-delà du tir de jeudi, la Russie a modifié récemment sa doctrine nucléaire, élargissant la possibilité de recours à l'arme atomique. Un acte "irresponsable", selon les Occidentaux.

Interrogés jeudi par l'AFP sur le tir de missile russe, des habitants de Kiev étaient inquiets.

"Cela fait peur. J'espère que nos militaires seront en mesure de repousser ces attaques", a déclaré Ilia Djejela, étudiant de 20 ans, tandis qu'Oksana, qui travaille dans le marketing, a appelé les Européens à "agir" et "ne pas rester silencieux".

M. Poutine "teste (ses armes) sur nous. Nous sommes ses cobayes", a affirmé Pavlo Andriouchtchenko cuisinier de 38 ans.

Sur le terrain en Ukraine, les frappes de la Russie, qui a envahi le pays il y a bientôt trois ans, se poursuivent.

A Soumy, dans le nord-est du pays, une attaque de drones a fait deux morts et 12 blessés, a indiqué le Parquet ukrainien.

Le ministre russe de la Défense, Andreï Belooussov, s'est lui rendu sur un poste de commandement de l'armée dans la région de Koursk, où les forces ukrainiennes occupent, depuis début août, des centaines de kilomètres carrés.

Il s'est félicité d'avoir "pratiquement fait échouer" la campagne militaire ukrainienne pour l'année 2025 en "détruisant les meilleures unités" de Kiev et notant que les avancées russes sur le terrain se sont "accélérées".

Cette poussée intervient alors que Kiev craint que Donald Trump, de retour à la Maison Blanche à partir de janvier prochain, ne réduise ou stoppe l'aide militaire américaine, vital pour l'armée ukrainienne.


Record de 281 travailleurs humanitaires tués dans le monde en 2024, selon l'ONU

L'année 2024 est devenue "la plus meurtrière jamais enregistrée pour le personnel humanitaire", a affirmé l'ONU dans un communiqué, citant des données du Aid Worker Security Database. (AFP)
L'année 2024 est devenue "la plus meurtrière jamais enregistrée pour le personnel humanitaire", a affirmé l'ONU dans un communiqué, citant des données du Aid Worker Security Database. (AFP)
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  • L'année 2024 est devenue "la plus meurtrière jamais enregistrée pour le personnel humanitaire", a affirmé l'ONU dans un communiqué, citant des données du Aid Worker Security Database
  • "Les travailleurs humanitaires sont tués à un rythme sans précédent, leur courage et leur humanité se heurtant aux balles et aux bombes", a déclaré le nouveau secrétaire général adjoint de l'ONU aux affaires humanitaires

GENEVE: Un nombre record de 281 travailleurs humanitaires ont été tués dans le monde cette année, ont alerté les Nations unies vendredi, qui demandent que les responsables soient poursuivis.

L'année 2024 est devenue "la plus meurtrière jamais enregistrée pour le personnel humanitaire", a affirmé l'ONU dans un communiqué, citant des données du Aid Worker Security Database.

"Les travailleurs humanitaires sont tués à un rythme sans précédent, leur courage et leur humanité se heurtant aux balles et aux bombes", a déclaré le nouveau secrétaire général adjoint de l'ONU aux affaires humanitaires et coordinateur des situations d'urgence, Tom Fletcher, dans le communiqué.

Le Britannique souligne que "cette violence est inadmissible et dévastatrice pour les opérations d'aide".

"Les États et les parties au conflit doivent protéger les humanitaires, faire respecter le droit international, poursuivre les responsables et mettre un terme à cette ère d'impunité".

L'année 2023 avait déjà connu un nombre record, avec 280 travailleurs humanitaires tués dans 33 pays.

L'ONU souligne que la guerre à Gaza "fait grimper les chiffres". Il y a eu "au moins 333 travailleurs humanitaires qui ont été tués rien que dans la bande de Gaza" depuis le début de la guerre en octobre 2023, a indiqué le porte-parole de l'agence de coordination humanitaire de l'ONU (Ocha), Jens Laerke, lors d'un point de presse à Genève.

Nombre d'entre eux ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions alors qu'ils fournissaient de l'aide humanitaire. La plupart travaillaient pour l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), dont 243 employés ont été tués depuis la guerre à Gaza, a indiqué M. Laerke.

Parmi les autres travailleurs humanitaires tués depuis le début de la guerre à Gaza figure notamment du personnel du Croissant-Rouge palestinien, a-t-il relevé.

Mais les menaces qui pèsent sur les travailleurs humanitaires ne se limitent pas à Gaza, indique l'ONU, soulignant que des "niveaux élevés" de violence, d'enlèvements, de harcèlement et de détention arbitraire ont été signalés, entre autres, en Afghanistan, en République démocratique du Congo, au Soudan du Sud, au Soudan, en Ukraine et au Yémen.

La majorité du personnel humanitaire tué sont des employés locaux travaillant avec des ONG, des agences de l'ONU et le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

L'ONU explique que la violence à l'encontre du personnel humanitaire s'inscrit dans "une tendance plus large d'atteintes aux civils dans les zones de conflit", avec l'an dernier "plus de 33.000 civils morts enregistrés dans 14 conflits armés, soit une augmentation de 72% par rapport à 2022".

 


Mandats d'arrêt de la CPI : réaction outrées en Israël, un nouveau «procès Dreyfus» dit Netanyahu

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  • "La décision antisémite de la Cour pénale internationale est comparable à un procès Dreyfus d'aujourd'hui qui se terminera de la même façon", a déclaré le chef du gouvernement dans un communiqué diffusé par son bureau
  • "Israël rejette avec dégoût les actions absurdes et les accusations mensongères qui le visent de la part de la [CPI]", dont les juges "sont animés par une haine antisémite à l'égard d'Israël", ajoute M. Netanyahu

JERUSALEM: L'annonce par la Cour pénale internationale (CPI) de mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant a suscité des réactions outrées en Israël, M. Netanyahu comparant la décision de la Cour à un nouveau "procès Dreyfus".

"La décision antisémite de la Cour pénale internationale est comparable à un procès Dreyfus d'aujourd'hui qui se terminera de la même façon", a déclaré le chef du gouvernement dans un communiqué diffusé par son bureau.

Condamné pour espionnage, dégradé et envoyé au bagne à la fin du XIXe siècle en France, le capitaine français de confession juive Alfred Dreyfus avait été innocenté et réhabilité quelques années plus tard. L'affaire Dreyfus a profondément divisé la société française et révélé l'antisémitisme d'une grande partie de la population.

"Israël rejette avec dégoût les actions absurdes et les accusations mensongères qui le visent de la part de la [CPI]", dont les juges "sont animés par une haine antisémite à l'égard d'Israël", ajoute M. Netanyahu.

La CPI "a perdu toute légitimité à exister et à agir" en se comportant "comme un jouet politique au service des éléments les plus extrêmes oeuvrant à saper la sécurité et la stabilité au Moyen-Orient", a réagi son ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, sur X.

La CPI a émis jeudi des mandats d'arrêt contre MM. Netanyahu et Gallant "pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis au moins à partir du 8 octobre 2023 jusqu'au 20 mai 2024", et contre Mohammed Deif, chef de la branche armée du Hamas "pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre présumés commis sur le territoire de l'Etat d'Israël et de l'Etat de Palestine depuis au moins le 7 octobre 2023", date de l'attaque sans précédent du mouvement palestinien contre Israël à partir de Gaza ayant déclenché la guerre en cours.

"Jour noir" 

"C'est un jour noir pour la justice. Un jour noir pour l'humanité", a écrit sur X le président israélien, Isaac Herzog, pour qui la "décision honteuse de la CPI [...] se moque du sacrifice de tous ceux qui se sont battus pour la justice depuis la victoire des Alliés sur le nazisme [en 1945] jusqu'à aujourd'hui".

La décision de la CPI "ne tient pas compte du fait qu'Israël a été attaqué de façon barbare et qu'il a le devoir et le droit de défendre son peuple", a ajouté M. Herzog, jugeant que les mandats d'arrêt étaient "une attaque contre le droit d'Israël à se défendre" et visent "le pays le plus attaqué et le plus menacé au monde".

Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale, et chantre de l'extrême droite a appelé à réagir à la décision de la CPI en annexant toute la Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, et en y étendant la colonisation juive.

"Israël défend les vies de ses citoyens contre des organisations terroristes qui ont attaqué notre peuple, tué et violé. Ces mandats d'arrêt sont une prime au terrorisme", a déclaré le chef de l'opposition, Yaïr Lapid, dans un communiqué.

"Pas surprenant" 

Rare voix discordante, l'organisation israélienne des défense des droits de l'Homme B'Tselem a estimé que la décision de la CPI montre qu'Israël a atteint "l'un des points les plus bas de son histoire".

"Malheureusement, avec tout ce que nous savons sur la conduite de la guerre qu'Israël mène dans la bande de Gaza depuis un an [...] il n'est pas surprenant que les preuves indiquent que [MM. Netanyahu et Gallant] sont responsables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité", écrit l'ONG dans un communiqué.

Elle appelle par ailleurs "tous les Etats parties [au traité de Rome ayant institué la CPI] à respecter les décisions de la [Cour] et à exécuter ces mandats".

L'attaque sans précédent du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 a entraîné la mort de 1.206 personnes, majoritairement des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur les données officielles, incluant les otages tués ou morts en captivité à Gaza.

La campagne de représailles militaires israéliennes sur la bande de Gaza a fait au moins 44.056 morts, en majorité des civils, selon les données du ministère de la Santé du Hamas pour Gaza, jugées fiables par l'ONU.