PARIS: Elle a permis l'hyper-présidence, toléré la cohabitation et surmonté une majorité relative: la Ve République se trouve désormais "au pied du mur" après des législatives qui ont donné à Emmanuel Macron la majorité la plus étriquée de son histoire, estiment les constitutionnalistes.
Avec 245 députés, la coalition présidentielle a obtenu la majorité relative la plus basse de l'histoire de la Ve République. Il lui manque 44 sièges pour atteindre la barre des 289 et atteindre la majorité absolue.
Ce score est nettement plus faible que les 275 députés dont disposait François Mitterrand de 1988 à 1993, une majorité relative qui lui avait permis de gouverner en cherchant des soutiens tantôt à gauche tantôt à droite, et à grand renfort de 49:3, utilisé à 39 reprises pour contourner le Parlement.
Il n'en fallait pas plus pour relancer le débat sur la Constitution de 1958: "C'est la fin de la Ve République telle qu'on l'a connue", a notamment affirmé l'eurodéputé écologiste David Cormand sur FranceInfo.
Du côté des constitutionnalistes, on est plus prudent: "Jusqu'à présent, la Ve République s'est adaptée à toutes les situations" comme la cohabitation ou la majorité relative de 1988, rappelle à l'AFP Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'université Panthéon-Sorbonne.
"Je pense qu'elle est aujourd'hui au pied du mur" avec une majorité très éloignée du seuil des 289 sièges et trois bloc très distincts que sont la coalition présidentielle, la gauche de la Nupes (LFI, PS, EELV et PCF) et le Rassemblement national, auxquels s'ajoutent les 61 députés LR.
"Mais si elle parvient à s'adapter, démonstration serait faite que la Ve République peut s'adapter à toutes les situations", explique-t-il.
La constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina refuse également de croire à la fin de la Ve: "On dit souvent qu'elle s'essouffle et pourtant je pense qu'elle démontre aussi son extrême flexibilité puisqu'elle a permis un scénario comme celui d'hier", affirme-t-elle sur RMC.
"Ce qu'on lui reproche, c'est souvent ce qui fait sa grande qualité, c'est-à-dire qu'elle s'adapte à beaucoup de situations très différentes", ajoute-t-elle, soulignant que les élection de dimanche se sont paradoxalement conclues par "un résultat de proportionnelle avec un scrutin majoritaire", l'Assemblée élue étant finalement "une photographie de la présidentielle".
Un air de IVe République
Un manque de majorité claire qui alarme pourtant ceux qui craignent que le pays devienne ingouvernable comme avant 1958.
Sur LCP, Benjamin Morel, professeur de droit public, reconnaît que l'Assemblée nationale élue dimanche "ressemble beaucoup à un hémicycle de la fin de la IVe République (où) un conglomérat de groupes centristes qui n'était pas d'accord sur tout, gouvernait le pays avec deux partis avec lesquels ils ne s'alliaient pas: les gaullistes et les communistes".
"Ce qui est rassurant, c'est que Michel Debré a rédigé une constitution pour tenir une assemblée où il ne pourrait pas y avoir de majorité", rappelle-t-il. "Notre droit constitutionnel est donc relativement bien armé pour tenir des majorités simples (...) même s'il sera très compliqué pour la majorité de passer des projets de loi dans les cinq prochaines années", souligne-t-il.
Le politologue Pascal Perrineau abonde dans le même sens. A ses yeux, la Ve République "est certes confrontée à une crise politique, mais elle peut la dépasser de plusieurs manières", évoquant notamment trois pistes que permet la Constitution.
Il s'agit tout d'abord "d'une alliance de gouvernement" entre la majorité et un parti d'opposition comme Les Républicains qui ressemblerait à un accord de législature à l'allemande. Ou alors la recherche au cas par cas d'une majorité pour chaque texte de loi comme dans la période entre 1988 et 1993. Enfin, le président peut dissoudre l'Assemblée et convoquer de nouvelles législatives.
Pour Mme Bezzina, les députés ont toutefois intérêt à travailler ensemble. "Si ce n'est pas le cas, cela voudrait dire que la France est trop fracturée pour arriver à travailler", prévient-elle.
"Je pense que l'idée est donc de montrer qu'au sein de ce cénacle qui représente le peuple qu'est l'Assemblée nationale, on pourra arriver au cas par cas à dégager des majorités et peut-être à s'entendre", espère-t-elle.