Gaza: Quinze ans d’horreur sous un blocus écrasant imposé par Israël

Un Palestinien handicapé tente de retirer des barbelés à la frontière entre Israël et Gaza, le 19 octobre 2018 (Photo, Reuters).
Un Palestinien handicapé tente de retirer des barbelés à la frontière entre Israël et Gaza, le 19 octobre 2018 (Photo, Reuters).
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Publié le Jeudi 16 juin 2022

Gaza: Quinze ans d’horreur sous un blocus écrasant imposé par Israël

Gaza: Quinze ans d’horreur sous un blocus écrasant imposé par Israël
  • Après la victoire électorale du Hamas en 2006, Dov Weissglas a déclaré que les habitants de Gaza devraient suivre un «régime»
  • Près de 80 % des enfants de Gaza souffrent de détresse émotionnelle, entraînant énurésie nocturne, insomnie et agitation

Qui aurait imaginé que le blocus israélien de la bande de Gaza, en place depuis quinze ans maintenant, serait toujours là aujourd'hui, plus fort encore qu'hier ? Rien a changé pour ce minuscule lopin de terre qui compte désormais près de 2,3 millions d’habitants.
Quelque huit cent mille enfants palestiniens à Gaza n’ont jamais rien connu d’autre que le blocus. Ils n’ont jamais quitté cet enfer façonné par l’homme. Ils n’ont jamais vu de trains. Les seuls avions qui s’offrent à leurs yeux sont des avions militaires israéliens. L’électricité est limitée. L’eau n’est même pas potable pour les animaux. Ils sont condamnés à vivre ce calvaire depuis leur naissance.
Alors, comment la vie à Gaza – dans ce que beaucoup décrivent comme la plus grande prison à ciel ouvert du monde – a-t-elle changé au cours de ces quinze années? Sa superficie n’a pas augmenté, mais on compte de plus en plus de prisonniers. En réalité, la zone qui leur est réservée a même rétréci. Israël a en grande partie interdit aux agriculteurs d’accéder à leurs terres jusqu’à trois cents mètres de la barrière frontalière, tout en réduisant la distance à laquelle les pêcheurs peuvent exercer leur activité.
Soyons clairs, car la mémoire est visiblement très courte. Gaza était déjà occupée avant juin 2007. Accéder à la ville et en sortir était déjà difficile. En 2007, les restrictions ont été renforcées.
Les mesures de contrôle israéliennes ont atteint des niveaux sans précédent en 2007. Israël a désigné Gaza comme entité hostile à la suite de la prise de contrôle par le Hamas. Les responsables israéliens ont évoqué la poursuite de la «guerre économique» contre la bande de Gaza. Au fil des ans, cette rhétorique a laissé place à un pragmatisme renforcé quant à ce qui pourrait y entrer ou en sortir. Le cadre politique n’a pas changé.
Après la victoire électorale du Hamas en 2006, Dov Weissglas, alors conseiller du Premier ministre, Ariel Sharon, a déclaré que les habitants de Gaza devraient suivre un «régime». Israël a fait valoir que le fait de punir tous les Gazaouis les forcerait à se débarrasser du Hamas – un argument dépourvu de sens, comme c’est le cas lorsque certains incitent à punir la population syrienne afin qu’elle se débarrasse de Bachar al-Assad.
Le fait qu’Israël ait décidé de remodeler les habitudes alimentaires des Gazaouis résume l’attitude de ses responsables envers la bande de Gaza. Les dirigeants israéliens se sont sentis en droit de faire subir n’importe quoi à cette population prise en otage. La punition collective est, pour Israël, totalement acceptable, même si elle est explicitement illégale en vertu du droit international. Si des militants palestiniens tirent une roquette, la population entière en subit généralement les conséquences. À titre d’exemple, lorsque des militants ont envoyé des cerfs-volants enflammés sur Israël, l'État hébreu a riposté en réduisant davantage la zone maritime autorisée pour la pêche – une réaction sans rapport avec l'attaque initiale.
Le régime du Hamas est autocratique et loin d’être progressiste. Par ailleurs, le bilan du groupe en matière de droits de l’homme est déplorable. Les habitants de Gaza subissent du même coup la mauvaise gestion du Hamas et l'étouffant blocus israélien.
Israël contrôle tout ce qui entre dans la bande de Gaza. En 2015, l’État hébreu a été contraint de révéler qu’il avait publié une liste de produits à double usage interdits, dont beaucoup étaient des éléments essentiels à la construction, tels que le ciment, l’acier et le bois. La liste évolue, mais Israël refuse de révéler ce qu’elle contient aujourd’hui. Il n’y a ni surveillance ni droit de recours.
La véritable vie économique est au point mort. Gaza souffre de dé-développement (concept forgé par Sarah Roy se référant notamment aux travaux de la Banque mondiale et de la Conférence des nations unies sur le commerce et le développement) aigu. Les travailleurs palestiniens ne pouvaient plus entrer en Israël après 2007. Nombreux sont ceux qui ont fait grand cas de la récente décision israélienne de créer un quota de vingt mille permis de travail pour les Gazaouis, mais, selon l’organisation israélienne Gisha, Israël n’aurait pas délivré autant de permis. Même ceux qui sont autorisés à sortir ne bénéficient pas des mêmes droits accordés aux travailleurs israéliens – pour l’instant, ils ne sont même pas désignés comme travailleurs.
La situation humanitaire est désastreuse. Selon la Banque mondiale, 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et près de 80 % dépendent de l’aide internationale – un financement en forte baisse. Rasha al-Moghany de Medical Aid for Palestinians indique que la bande de Gaza souffre également de «pénuries chroniques de fournitures et d’équipements médicaux. En moyenne, 41 % des médicaments et 26 % des produits jetables ne sont plus en stock ou ne disposent que de stocks de moins d’un mois en 2021.»
Et si le blocus n’avait jamais été imposé? Une simulation menée par l’Organisation des nations unies (ONU) en 2017 suggère que le taux de pauvreté aurait avoisiné les 15 % et non les 60 % actuels. En 2020, l’ONU a estimé que le blocus israélien avait coûté 16,7 milliards de dollars (1 dollar = 0,96 euro) à Gaza.
Le plus douloureux est sans doute l’isolement, non seulement du reste du monde, mais aussi du reste de la Palestine. Les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza sont séparés. Peu de gens ont pu se déplacer entre les deux régions au cours des quinze dernières années. Aussi incroyable que cela puisse paraître, pour les Palestiniens de Gaza, la Cisjordanie est plus difficile à visiter que presque partout ailleurs.
L’Égypte contribue également dans une moindre mesure au blocus. Le point de passage de Rafah est ouvert aux Palestiniens pour des périodes limitées, mais, en vertu d’accords internationaux, les marchandises ne peuvent pas être exportées via l’Égypte.
Ce blocus ne peut être considéré indépendamment des opérations militaires d’Israël. La prison est entièrement contrôlée et, si les prisonniers sont indisciplinés, ils se font bombarder. Gaza n’a pas seulement échoué à se remettre de la guerre de mai dernier. Elle peine toujours à se remettre des guerres de 2006, 2008-2009, 2012 et 2014, ainsi que de la Grande marche du retour (série de manifestations).
On nettoie toujours les décombres. Il faudrait reconstruire les maisons. Les canalisations n’ont souvent pas été remplacées, ce qui constitue un véritable défi, sachant qu’Israël n’autorise pas l’entrée de tuyaux en acier d’un diamètre supérieur à 3,8 cm. Gaza est également trop facilement inondée, car les autorités ne disposent pas des matériaux nécessaires pour installer des systèmes de drainage appropriés. Les dommages causés au système d’égouts rendent insupportable la puanteur des eaux usées brutes dans l'air.

«La punition collective est, pour Israël, totalement acceptable, même si elle est explicitement illégale en vertu du droit international.» - Chris Doyle

Si les Gazaouis sont traumatisés par l’isolement et le manque d’horizon, ce n’est peut-être rien comparé au traumatisme aigu des bombardements. Près de 80 % des enfants de Gaza souffrent de détresse émotionnelle, entraînant énurésie nocturne, insomnie et agitation. Les enfants sont obsédés par la crainte du prochain bombardement ou de la prochaine guerre. Les adultes souffrent aussi.
Y a-t-il quelqu’un qui n’est pas convaincu que le blocus imposé à Gaza se poursuivra jusqu’à son vingtième ou même vingt-cinquième anniversaire? Il est difficile de voir d’où viendra la volonté de changement. Les dirigeants israéliens ne s’en soucient guère. Gaza est une situation à gérer et non à résoudre. La communauté internationale ne manifestera un moindre intérêt qu’en cas de guerre et, là encore, elle ne fera rien d’autre qu’inciter à retourner dans l'état où les choses se trouvaient auparavant.
Pour les Palestiniens de Gaza, l’impensable est en train de se produire. Pendant des décennies, ils ont résisté et ils n’ont jamais abandonné. Ils ne sont jamais partis. Désormais, la situation a changé. Nombre d’entre eux envisagent même d’emprunter les routes maritimes terriblement dangereuses à travers la Méditerranée centrale, mettant leur vie entre les mains de passeurs sans scrupule. L’horreur de cette situation, c’est qu’il s’agit de l’œuvre de l’homme. Pire, cela fait partie d’une politique israélienne délibérée. Le monde devrait en avoir honte.

Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com