STRASBOURG : Déplorant une formation "chaotique", les élèves de l'ultime promotion de l'ex-ENA ont participé "massivement" jeudi à un mouvement de grève de 24 heures, bronca sans précédent depuis une trentaine d'années.
Dans une tribune publiée en ligne la veille par Le Monde, la promotion Germaine Tillion (2021-2022) de l'ex-Ecole nationale d'administration (ENA) a vivement protesté contre ses "conditions de formation".
Créée en 1945 par le général de Gaulle, l'ENA, sacrifiée sur l'autel de la crise des gilets jaunes dans le cadre d'une vaste réforme de la haute fonction publique voulue par Emmanuel Macron, a cédé la place le 1er janvier à l'Institut national du service public (INSP).
Mais la création de cet institut s'est "jusqu'à présent traduite par un cursus chaotique" marqué par des "modifications brutales du contenu des enseignements" et "une improvisation permanente", a déploré la promotion Germaine Tillion, baptisée du nom de cette grande figure de la Résistance.
Selon les grévistes, 85% des élèves de la promotion ne se sont pas rendus en cours jeudi.
La direction de l'INSP, ont-ils toutefois indiqué, "a fait part de son souhait d'entamer une négociation", main tendue acceptée par les élèves qui entendent "donner une chance aux discussions désormais engagées".
Une nouvelle assemblée générale de leur promotion devait se réunir jeudi soir, hors les murs de l'ENA, pour décider des "suites à donner au mouvement sur la base de l'avancée des négociations", ont-ils précisé.
Dans leur tribune au Monde, les élèves mettent en garde: "C'est aujourd'hui l'attractivité même de la fonction publique qui est en danger".
Mouvement d'humeur
Leur colère s'inscrit dans le sillage de celle des diplomates qui ont cessé le travail le 2 juin pour protester eux aussi contre une série de réformes touchant le quai d'Orsay, une première là aussi depuis des décennies.
"L'extinction du corps préfectoral et du corps diplomatique" et "la suppression de notre école" ont été "orchestrées sans visibilité suffisante" et "ont profondément déstabilisé les fonctionnaires concernés", a déploré la promotion Germaine Tillion dans sa tribune au Monde.
Un tel mouvement d'humeur dans l'univers feutré et policé de l'ENA, où l'on cultive d'ordinaire le sacro-saint devoir de réserve des fonctionnaires, est sans précédent depuis novembre 1991. A l'époque, les élèves de l'ENA avaient occupé les locaux parisiens de l'école pour protester contre son déménagement à Strasbourg, décidé par la Première ministre Edith Cresson.
Les élèves d'aujourd'hui, s'ils partagent "la volonté d'améliorer la formation des fonctionnaires" au "service d'une action publique plus proche des citoyens", déplorent que "les dysfonctionnement au sein du nouvel INSP mettent en péril ces objectifs".
Ils s'inquiètent en particulier de l'insécurité juridique qui pèse sur leurs épreuves de sortie, pointant "l'incertitude et l'opacité générées" par ces épreuves qui "ne sont toujours pas définies à moins de trente jours de leur échéance".
«Gros travail d'écoute»
Sans remettre en cause "la fin de l'accès direct" des énarques frais émoulus aux grands corps de l'Etat, ils regrettent aussi que "certains postes proposés à la sortie de l'INSP ne correspondent pas à des fonctions d'encadrement supérieur de l'Etat".
Interrogé par l'AFP, le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques qui les a rencontrés mardi observe que "comme toute réforme, cette réforme suscite des interrogations" mais parle d'un "gros travail d'écoute".
Assurant être dans "une posture de dialogue", le ministère entend toutefois rappeler "le sens de la réforme" de la haute fonction publique, à savoir "plus d'opérationnalité" et "plus de proximité" avec le terrain.
Quant à la direction de l'INSP, elle n'a pas souhaité s'exprimer.
Début février, quelques semaines après avoir pris ses fonctions, la première directrice de l'INSP, Maryvonne Le Brignonen avait cependant exprimé le voeu que, tout comme la réforme du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu qu'elle avait conduite avec succès à Bercy, celle de l'ENA "se passe tellement bien que dans quelques années, plus personne n'en parle". Ce pari-là n'est pas encore gagné.