Plus de soixante-quinze ans après que les premières bombes nucléaires ont été utilisées en temps de guerre, marquant le début de l’ère atomique, une grande partie du monde n’a aucune idée du spectre de l’Armageddon nucléaire. La guerre froide semble une réalité lointaine – un élément de l’Histoire pour les jeunes générations – lorsque les superpuissances s’affrontaient avec des arsenaux qui avaient le pouvoir d’anéantir plusieurs fois l’humanité. Mais cette zone de confort a-t-elle volé en éclats ces dernières années, voire ces derniers mois?
L’espoir résidait dans le fait que les armes nucléaires empêcheraient la guerre. Cent jours après le début de la guerre en Ukraine, cette théorie est remise en question. La Russie a envahi l’Ukraine. Les États de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) ont armé l’Ukraine pour contrecarrer la progression de la Russie. Ailleurs, l’Iran se rapproche du seuil nucléaire et la Corée du Nord continue ses innombrables essais de missiles ainsi qu’un autre essai nucléaire possible en perspective.
La Chine étend ses arsenaux nucléaires et de missiles. L’Inde et le Pakistan ont failli s’affronter en tant qu’États dotés d’armes nucléaires au début de ce siècle et leurs relations ne sont guère meilleures aujourd’hui. Serions-nous tous un peu blasés face à la menace d’une guerre nucléaire?
Concernant l’Ukraine, la Russie a implicitement menacé de déployer des armes nucléaires. Le président, Vladimir Poutine, a déclaré d’emblée: «Quiconque tente d’entraver notre chemin ou constitue une menace pour notre pays et notre peuple doit savoir que la Russie répondra immédiatement. Les conséquences seront d’une ampleur que vous n’avez jamais connue auparavant.»
Serait-ce du bluff? Les pays de l’Otan en ont débattu, même s’il est dangereux de parier là-dessus. Pour la Suède et la Finlande, ces menaces, ainsi que l’invasion de l’Ukraine, sont les principaux moteurs de leur décision de vouloir adhérer à l’Otan. C’est peut-être compréhensible, mais cela ne manque pas d'exacerber les tensions avec la Russie.
Après la disparition de l’Union soviétique, l’Ukraine a renoncé en 1994 à ce qui était alors le troisième plus grand arsenal nucléaire au monde. Elle a remis quatre mille quatre cents ogives et ses missiles balistiques intercontinentaux à la Russie sur la base d’assurances de sécurité – et non de garanties – de la part des États-Unis et du Royaume-Uni et un engagement de non-agression de Moscou.
Lors de la proclamation de son indépendance en 1990, l’Ukraine a décidé qu’elle ne ferait pas partie du club des armes nucléaires et elle a signé le Traité sur la non-prolifération (TNP). Pour des raisons diplomatiques et économiques à l’époque, cela avait du sens pour l’État naissant.
Avec l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, la décision de Kiev d’abandonner les armes nucléaires a été remise en question. De nombreux Ukrainiens estiment que la Russie n’aurait pas envahi la Crimée en 2014 si leur pays avait conservé son statut de puissance nucléaire.
L’Iran est sur le point de se doter de l’arme nucléaire. L’Agence internationale de l’énergie atomique a signalé la semaine dernière que Téhéran avait acquis suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer une bombe. Combien de temps encore avant que cela ne devienne une réalité?
Les pourparlers sur le nucléaire iranien sont actuellement bloqués et nombreux sont ceux qui pensent que tout accord potentiel ne sera pas suffisant. Cela bouleversera également la situation sécuritaire au Moyen-Orient, car de nombreux États se sentent menacés. Israël n’a pas exclu la possibilité de mener une action militaire.
Combien de pays seront attirés par la force d’attraction d’un arsenal nucléaire? Ce n’est pourtant pas bon marché et cela comporte des risques considérables, mais certains États y verront une nécessité stratégique. Des pays comme l’Allemagne sont de plus en plus favorables à l’idée de conserver des armes nucléaires américaines sur leur territoire. Des États comme le Royaume-Uni et la France sont plus susceptibles d’améliorer leurs capacités grâce au soutien de l’opinion publique.
«La scène diplomatique mondiale montre que les grandes puissances n’ont pas la confiance et l’engagement nécessaires pour aller de l’avant.» - Chris Doyle
Est-il possible de faire marche arrière? Les augures ne sont pas bons pour la communauté du désarmement. La Corée du Nord vient d’accéder à la présidence de la Conférence sur le désarmement, la plus haute instance de désarmement associée à l’Organisation des nations unies (ONU). C’est aussi irresponsable que de nommer la Syrie au Conseil exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), comme cela s’est produit l’année dernière.
La Corée du Nord défie régulièrement le Conseil de sécurité de l’ONU. En mars, le pays a testé un missile balistique intercontinental – l’un des dix-sept essais de tirs de missiles déjà effectués en 2022. Dimanche, ce nombre a été augmenté de huit énormes missiles tirés. Pyongyang se préparerait également à un autre essai nucléaire – son premier depuis septembre 2017 – même si l’ONU l’a sanctionné pour des essais balistiques et nucléaires antérieurs. Son chef, Kim Jong-un, a déclaré que sa doctrine comprendrait l’utilisation d’armes nucléaires comme option de première frappe s’il se sentait menacé.
La cohésion au sein du Conseil de sécurité de l’ONU concernant l’État ermite n’est peut-être plus possible. Le mois dernier, la Russie et la Chine ont posé leur veto à une résolution parrainée par les États-Unis et visant à imposer des sanctions supplémentaires à la Corée du Nord. La coopération américano-russe semble toucher à sa fin, quel que soit le sujet.
Le désarmement n’est pas une question mineure, comme l’a douloureusement mis en lumière la guerre en Ukraine. La scène diplomatique mondiale montre que les grandes puissances n’ont pas la confiance et l’engagement nécessaires pour aller de l’avant.
Mais il y a sans doute dans toute cette situation un petit avantage. La véritable menace d’une guerre nucléaire pourrait servir de rappel à l’opinion publique mondiale et aux dirigeants que de telles guerres ne peuvent être gagnées. Il faudrait s’attaquer au problème et cautériser les plaies béantes du dispositif de sécurité mondiale. L’alternative est un monde où la possession d’armes nucléaires se normalise, avec tous les problèmes sécuritaires que cela implique.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com