Autrefois, il existait des tribunaux en Israël où les Palestiniens pouvaient, au moins occasionnellement, obtenir partiellement la justice qui leur était refusée par la puissance de l'occupation, et faire protéger leurs droits. Mais après cinquante-cinq ans de vie sous occupation, les Palestiniens ont appris qu'il était de plus en plus inutile pour eux de rechercher un traitement équitable – ou d'être traités conformément aux normes et au droit internationaux, abstraction faite de la compassion – dans leurs relations quotidiennes avec les autorités des forces armées et civiles israéliennes en Cisjordanie et à Gaza.
Dans certaines circonstances, la Haute cour de justice restait le dernier bastion atténuant le caractère arbitraire de l'occupation, une occupation qui, par sa simple puissance militaire, continue de priver les Palestiniens de leurs droits fondamentaux et de leur imposer toutes sortes de restrictions. Cependant, la semaine dernière, une fois de plus, la Haute cour – cette ancienne forteresse des droits humains – a approuvé l'expulsion de 1 200 Palestiniens de leurs maisons dans huit villages de la région de Masafer Yatta, au sud de la Cisjordanie, permettant à Israël de la transformer en zone militaire interdite, à des fins d'entraînement.
Le fait même d’expulser autant de familles de leurs maisons, d’en faire des sans-abri, afin de permettre à l'armée de s'entraîner, sans doute pour améliorer sa capacité à violer leurs droits humains, civils et politiques, est totalement scandaleux. Il est stupéfiant de constater que la plus haute juridiction du pays n'a même pas poussé l'État à appliquer une dose minimale de bon sens et d'humanité et à soutenir les requérants palestiniens dont le seul souhait était de rester sur la terre où ils vivent depuis au moins le début du XXe siècle.
Ceux qui veulent que les habitants de Masafer Yatta soient expulsés voudraient que le tribunal considère que les Palestiniens qui y vivent se sont lancés dans une frénésie de constructions illégales. La réalité est très différente. Dans cette partie des collines du sud d'Hébron, les personnes que les tribunaux israéliens ont condamnées à l'expulsion sont principalement des habitants des grottes qui ont monté des tentes et des constructions de fortune pour abriter des services publics, notamment un centre médical, des écoles et des mosquées. Aucun de ces bâtiments n'est aussi sophistiqué que ceux des colonies juives prospères qui se sont développées à travers la Cisjordanie et qui bénéficient d'énormes subventions gouvernementales.
C'est à la Cour de se demander pourquoi elle a approuvé l'expulsion massive de personnes qui ne représentent une menace pour personne, en les condamnant à un état de total dénuement. L'«armée la plus morale au monde» ne peut-elle pas s'entraîner ailleurs? Doit-elle rendre la vie de certaines des personnes les plus pauvres de Cisjordanie totalement misérable et attiser encore plus la colère du reste de la population? Après tout, les hameaux de Masafer Yatta se trouvent dans la zone C, qui comprend 60 % de la Cisjordanie, et où, en vertu des accords d'Oslo, Israël conserve un contrôle presque exclusif sur la sécurité, l'application de la loi, la planification et la construction.
«Il est stupéfiant de constater que la plus haute juridiction du pays n'a même pas poussé l'État à appliquer une dose minimale de bon sens et d'humanité.»
Yossi Mekelberg
Dans ce cas, la force d'occupation est responsable de la sécurité et du bien-être de toutes les personnes qui y vivent. Mais Israël a au contraire choisi de transgresser le droit international et d'établir dans cette zone une population d'au moins 325 000 colons juifs répartis dans 125 colonies, et environ 100 avant-postes, qui bénéficient d'investissements élevés dans leurs infrastructures et leur sécurité, représentant plus de financement par habitant que n’en jouissent les Israéliens se trouvant à l'intérieur de la Ligne verte. Entre-temps, les Palestiniens réalisent qu'il est presque impossible que leurs demandes d'aménagement soient approuvées. Alors, inévitablement, ils construisent sans autorisation pour répondre aux besoins de leur population croissante et pour assurer le fonctionnement de leur communauté. Comment pourraient-ils faire autrement?
Actuellement, lorsqu'il s'agit de traiter avec les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, les tribunaux israéliens sont devenus une simple chambre d’enregistrement pour le gouvernement, les forces de sécurité et les désirs des colons. Les tribunaux dans ces affaires ne sont guidés ni par le droit international et leurs décisions n’ont rien à voir avec celles qu’elles auraient prises pour des citoyens israéliens.
D'une part, les juges sont complices d'arrangements douteux entre le gouvernement et les colons par lesquels ils légalisent des avant-postes construits par des colons sans l'approbation du gouvernement, au mépris de la loi et des autorités israéliennes. Et d'autre part, ils ne montrent aucune compassion en autorisant les expulsions de Palestiniens, et ce faisant, négligent leur responsabilité en tant que puissance occupante, celle d'assurer le bien-être et les moyens de subsistance de chacun, et ce qui est tout aussi important, leur dignité.
On pourrait s'attendre à ce que, dans un système démocratique, les tribunaux ne blanchissent pas les malversations du gouvernement. Comment la plus haute Cour du pays peut-elle se sentir à l'aise avec le fait que ce ne sont jamais les colons juifs qui reçoivent l'ordre d'évacuer leurs maisons? Cela doit sûrement déranger ceux qui sont chargés de faire respecter la loi, et même si leur décision est conforme à la loi, c'est une décision qui favorise intrinsèquement les Israéliens, car les lois sont promulguées par leurs représentants, alors que les Palestiniens n'ont aucune représentation dans ce processus législatif ou le pouvoir de contester des lois discriminatoires à leur encontre.
Comprenez-moi bien. Je ne propose pas que les juges fassent intervenir leurs opinions politiques dans leur travail. Cela détruirait logiquement les fondements mêmes de tout système judiciaire et encouragerait davantage les politiciens, bien qu'ils n'aient pas besoin pour cela de beaucoup d'encouragements, à utiliser leur pouvoir pour influencer les juges qui suivront leur propre ligne politique. Cependant, il existe certains cas où, malgré l'absence d'une Constitution écrite, et surtout lorsqu'il est plongé dans les ténèbres de l'occupation, le système judiciaire qui devrait être un phare de lumière et avoir le courage de contester la nature arbitraire des deux autres branches du gouvernement en cas d’abus de leurs pouvoirs d'une manière aussi évidente et préoccupante, est absent.
Le cas de Masafer Yatta, comme le fait de fermer les yeux sur l'utilisation des armes à feu au mépris de la vie des Palestiniens, en autorisant de longues détentions d'enfants sans procès et en emprisonnant près de 2 millions de personnes à Gaza sous un blocus rigoureux, montre que la Haute cour de justice applique des critères de justice et de moralité différents entre les Palestiniens et les Israéliens.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @YMekelberg
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com