VANNES : "Et votre école, vous souvenez-vous comment était votre école ?" : la photographe humaniste Sabine Weiss, est particulièrement attachée, parmi ses innombrables clichés aux "choses simples", prises "à la sauvette". Durant des décennies de carrière, "j'ai fait de tout dans la photo : je suis allée dans des morgues, dans des usines, j'ai photographié des gens riches, j'ai fait des photos de mode... Mais ce qui reste, ce sont uniquement des photos que j'ai prises pour moi, à la sauvette", des photos pour le plaisir en dehors des commandes de travail, explique la photographe dont plus d'une centaine d’œuvres sont exposées au Kiosque, au port de Vannes, jusqu'au 6 septembre.
Celle que l'on a depuis longtemps rattachée à l'école de la photographie humaniste, à l'égal des Robert Doisneau, Édouard Boubat ou Jean Dieuzaide, confie comme elle a "eu beaucoup de plaisir à photographier l'humain, des choses très simples", ces choses qui, avec le temps, "ont un intérêt parce que c'est une époque très différente. Les choses ont tellement changé !" "A l'époque, les gens étaient contents qu'on les photographie" alors qu'aujourd'hui, "c'est fini pour certaines choses". Et la photographe née en Suisse en 1924 de raconter, pour illustrer son propos, une mésaventure à Paris, "il y a cinq ou six ans" : "après avoir bavardé avec elle, j'avais photographié une petite fille appuyée contre la vitrine d'un bistrot. Quelques mètres plus loin, des hommes me sont tombés dessus et voulaient me casser la figure à cause de cette photo. Comme c'était du numérique, j'ai dû prouver que j'avais bien tout effacé..."
"Photographiez !"
Photographier dans la rue, "tout dépend de la façon dont on le fait, en souriant, en rigolant. Ce n'est pas du vol, ce sont des témoignages (...) Ce sont toutes ces petites choses qui me touchent le plus", observe-t-elle. Actuellement, "les gens ne photographient pas tellement autour d'eux, mais plutôt eux-mêmes", constate-t-elle, en allusion aux selfies. Avec d'autres ou en présence d'une personnalité, "ils veulent garder un souvenir d'un moment de complicité". Sabine Weiss regrette que gagner sa vie soit devenu si difficile pour les jeunes photographes. "De mon temps, on vous commandait un reportage sur une personne ou sur un pays, vous n'aviez pas de question d'argent. J'ai pris des hélicoptères, des avions, j'en ai fait des choses sans demander à mon client et, parfois, tout ça sans factures !"
Aujourd'hui, celle qui a exposé dans le monde entier ne photographie "plus du tout". "Je ne touche pas du tout à l'appareil et je ne sais pas faire avec le téléphone", constate cette femme vive. "Et puis, je sors moins, le regard est différent (...) Maintenant, je travaille sur mes archives ou sur des projets de livres". Récemment, elle a eu la surprise qu'une famille, prise en photo il y a des années, se soit reconnue : "Ils m'ont écrit, c'est quelque chose qu'on ne voit plus... (...) Sur la photo, ils ont sorti une espèce de banquette et ils pique-niquent. C'est la vie toute simple. Ça n'existe plus".
Pour Sabine Weiss, ce sont toutes ces traces de vie qu'il faudrait conserver au fil du temps. "Il faut dire aux gens : photographiez, photographiez les gens, les choses autour de vous. Dites-le !", insiste-t-elle, avant de regretter : "même moi qui suis photographe, je n'ai jamais pensé à photographier les chambres dans lesquelles j'ai vécu (...) Ce sont des choses très simples, des choses qu'on ne photographie pas parce qu'elles ont l'air ordinaire, sans intérêt... Votre école, vous vous souvenez comment était votre école ?".