ANKARA: L'administration du président américain Joe Biden a demandé au Congrès de donner son « feu vert » à un projet de vente de missiles et de modernisation d'équipements à la Turquie, a rapporté cette semaine le Wall Street Journal.
L'accord, d'une valeur d'environ 300 millions de dollars (288 millions d’euros), devrait renforcer les liens de défense entre les alliés de l'OTAN.
Cependant, l'accord proposé ne fait pas partie de celui de 6 milliards de dollars que la Turquie cherche à obtenir depuis l'année dernière pour acheter 40 jets F-16 de Lockheed Martin et 80 kits pour améliorer sa flotte existante.
Le processus de notification informel de l'administration américaine permet aux membres du Congrès d'examiner la transaction et de donner leur avis avant que l'accord ne soit finalisé.
L'achat et le déploiement par la Turquie de systèmes de missiles de défense S-400 de fabrication russe en 2017 ont entraîné le retrait du pays du programme américain d'avions de combat F-35 en 2019, par crainte que le système radar russe n'espionne l'avion.
Cette décision a poussé certains législateurs américains à faire pression contre une vente d'armes et une modernisation des équipements à la Turquie. Vendredi, sept groupes de défense axés sur les intérêts américains dans le Caucase, en Méditerranée et au Moyen-Orient ont également pressé le Congrès « de sérieusement examiner toute vente potentielle » à la Turquie.
Cependant, avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie qui a bouleversé les équilibres régionaux, la solidarité de l'OTAN et la consolidation des capacités de défense sont devenues des priorités.
Le soutien de la Turquie à l'Ukraine par le biais des exportations de drones Bayraktar TB2 et son rôle de facilitateur des pourparlers de paix entre les deux parties ont aidé Ankara à améliorer son image écornée au Capitole.
« La Turquie s'avère être un allié utile et stratégique des États-Unis », a déclaré Karen Donfried, secrétaire d'État adjointe aux affaires européennes et eurasiennes, lors d'une audition devant la commission des affaires étrangères du Sénat jeudi.
Ozgur Unluhisarcikli, directeur du bureau d'Ankara du German Marshall Fund of the US, a également qualifié la Turquie d'allié clé de l'OTAN et a déclaré que les États-Unis avaient un intérêt direct dans la maintenance et la modernisation de sa flotte existante de F-16.
« Il s'agirait d'une mesure de confiance qui pourrait conduire à l'acquisition de nouveaux chasseurs F-16 par la Turquie et, éventuellement, à la résolution de la crise des S-400 par le biais d'un modèle mutuellement acceptable », a-t-il développé pour Arab News.
« Il ne faut pas oublier que l'armée de l'air turque constitue une partie de la dissuasion de l'OTAN sur son flanc sud, ce qui est devenu très important à la lumière des risques géopolitiques causés par l'expansionnisme russe », a-t-il ajouté.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a également évoqué la question de la vente des F-16 avec son homologue américain lors d'un appel téléphonique en mars.
De hauts responsables à Ankara ont confirmé que les discussions sur les F-16 et les kits de modernisation progressaient de manière positive.
Le nouvel ambassadeur américain en Turquie, l'ancien sénateur Jeff Flake, est également connu pour sa position favorable à la vente.
Le mois dernier, le secrétaire d'État Antony Blinken a suggéré d'accélérer les ventes de matériel militaire à des partenaires clés des États-Unis, comme la Turquie, en supprimant les obstacles bureaucratiques.
En outre, dans une lettre du 17 mars adressée au membre du Congrès Frank Pallone et à plus de 50 législateurs qui se sont opposés à l'achat de F-16 par Ankara, le département d'État a également fait valoir que « l'unité et les capacités de l'alliance de l'OTAN présentent des intérêts impérieux et à long terme, de même que la sécurité nationale des États-Unis et les intérêts économiques et commerciaux, qui sont soutenus par des liens commerciaux appropriés en matière de défense avec la Turquie ».
La lettre souligne les contributions de la Turquie à l'OTAN et son soutien à « l'intégrité territoriale de l'Ukraine et à ses relations de défense coopérative », décrites comme « une dissuasion importante contre toute influence malveillante dans la région ».
Sinan Ulgen, directeur du groupe de réflexion turc EDAM, a déclaré que l'accord de principe des États-Unis et de la Turquie sur la vente d'armes signale une amélioration des relations bilatérales, notamment dans les domaines de l'industrie de la défense.
« Si cet ensemble de mesures est adopté, il créera une dynamique positive et sera considéré comme un signal fort indiquant qu'il existe désormais une volonté d'améliorer les relations. Ce cadre sera déterminé par la guerre d'Ukraine et le rôle que la Turquie y a joué », a-t-il déclaré à Arab News.
Soner Cagaptay, directeur du programme de recherche sur la Turquie au Washington Institute, a décrit l'accord proposé comme une étape positive car les relations entre la Turquie et les États-Unis sont principalement axées sur la défense, mais a ajouté « qu’il est nécessaire de construire d'autres ponts pour lier les deux pays. »
« Il semble que la plupart des membres du Congrès soient sceptiques quant à cette vente. Le changement progressif au Congrès peut être lié à la guerre en Ukraine, car il y a un sentiment croissant de réalisme à l'égard de la Russie. Jusqu'à la guerre en Ukraine, la Turquie était considérée comme un mauvais allié. L'alignement militaire complet de la Turquie sur l'OTAN dans cette guerre, aussi indirect soit-il, a contribué à effacer certaines de ces perceptions », a-t-il déclaré.
Mais un développement vendredi pourrait donner des résultats inattendus, Erdogan ayant déclaré que la Turquie n'était pas favorable à l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN.
Le dirigeant turc a fait valoir que les deux pays scandinaves « abritent de nombreuses organisations terroristes ».
Selon M. Ulgen, la Turquie a des préoccupations légitimes à l'égard de ces deux pays, notamment la réticence de la Suède à répondre aux griefs concernant la collecte de fonds par le Parti des travailleurs du Kurdistan, qui y est illégal.
« Mais la déclaration d'Erdogan, qui menace d'opposer son veto à cette adhésion, sera perçue négativement aux États-Unis, où il est politiquement opportun de renforcer l'OTAN et de soutenir l'élargissement de l'alliance. Ce veto inattendu pourrait potentiellement poser des difficultés pour l'approbation du Congrès américain », a-t-il déclaré.
M. Cagaptay abonde en ce sens : « Les objections à l'adhésion de ces pays à l'OTAN pourraient nous ramener à la case départ, car quel que soit l'élan positif suscité par la Turquie à Washington, il sera rapidement dissipé par la perception que la Turquie est pro-russe. Cette démarche risque donc de faire passer la Turquie pour la « Hongrie de l'UE » en ce qui concerne son adhésion à l'OTAN », a-t-il déclaré.
La position de la Turquie sur l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN est également examinée à Washington. M. Donfried a fait une déclaration à la presse vendredi, indiquant que les États-Unis s'efforcent de « clarifier » la position de la Turquie ajoutant qu'elle sera discutée lors de la réunion de l'OTAN à Berlin dimanche.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com