PARIS : Un projet d'avion qui peine à décoller, un char embourbé, d'autres coopérations abandonnées en rase campagne: cinq ans après leur lancement par Emmanuel Macron et Angela Merkel, les programmes franco-allemands de coopération de défense sont à la peine.
Des programmes qui patinent
Les deux principales coopérations lancées lors du conseil franco-allemand de défense et de sécurité du 13 juillet 2017 portent sur un Système de combat aérien futur (Scaf) et un char de combat (Main Ground Combat System, MGCS). Elles sont à l'arrêt.
Tout en annonçant fin février une enveloppe de 100 milliards d'euros pour la défense, le chancelier Olaf Scholz a certes rappelé que ces deux projets constituaient une "priorité absolue", malgré l'achat récent d'avions américains F-35.
Le Scaf, auquel l'Espagne participe également, doit entrer en service à l'horizon 2040, le char vers 2035.
Le programme Scaf, dirigé par la France, est un "système de systèmes" qui s'articule autour de l'avion avec des drones accompagnateurs, le tout connecté, via un "cloud de combat", avec les autres moyens militaires engagés dans une opération. Un accord intergouvernemental a été conclu fin août 2021: il prévoit 3,6 milliards d'euros pour financer les études détaillées, dites de "phase 1B", en vue de lancer en 2025 la construction d'un démonstrateur en vol.
Mais Dassault, chef de file industriel, et Airbus, qui représente les intérêts de l'Allemagne et de l'Espagne, ne parviennent pas à s'entendre.
Et même si la phase 1B est enclenchée, le Bundestag, où nombre de députés craignent une place prédominante de la France dans le projet, devra à nouveau donner son aval pour chaque futur engagement budgétaire. Risqué.
Le programme "n’est pas porté de part et d'autre" du Rhin, se désole une source française, se disant "pessimiste".
Le projet MGCS, mené par Berlin, est lui enlisé dans les rivalités entre le franco-allemand KNDS --regroupant l'allemand KMW et le français Nexter-- et l'allemand Rheinmetall.
"La difficulté est d'arriver à concilier l'équilibre franco-allemand, sachant qu'il y a deux industriels allemands et un seul français", selon le délégué général à l'armement (DGA), Joël Barre.
Dans l'espoir d'un accord, les études d'architecture système ont été prolongées jusqu'à l'été.
Des coopérations en déshérence
Plusieurs coopérations annoncées en juillet 2017 ont été de facto abandonnées ou renvoyées aux calendes grecques.
La plus emblématique est la rénovation à mi-vie de l'hélicoptère d'attaque franco-allemand Tigre.
Paris s'est finalement lancé avec Madrid dans ce programme de modernisation baptisé Tigre Mark III pour 4,2 milliards d'euros. Faute de participation allemande, les surcoûts engendrés conduisent la France à ne moderniser que 42 de ses 67 appareils.
L'Allemagne, qui dispose de 53 Tigre, peut toujours rejoindre le programme d'ici l'été selon Airbus. Mais Berlin s'intéresse plutôt au concurrent américain Apache, selon la publication spécialisée Janes.
Berlin a également jeté l'éponge sur le développement d'un missile air-sol franco-allemand (MAST-F) qui devait équiper le futur Tigre, optant pour un missile israélien.
Paris et Berlin sont officiellement toujours embarqués dans le programme MAWS (Maritime Airborne Warfare System), visant à développer un avion de patrouille maritime et de lutte anti-sous-marine.
Las, Berlin a commandé l'an passé cinq avions américains P-8A Poseidon pour 1,43 milliard d'euros. Une "solution provisoire", argue l'Allemagne qui ne convainc pas Paris pour qui ce programme est mort-né.
L'artillerie du futur, le programme CIFS (Common Indirect Fire System) destiné à remplacer les Caesar français et PzH 2000 allemand, a lui été repoussé "au-delà de l'horizon 2045", selon le ministère des Armées.
Un programme (enfin) lancé: l'Eurodrone
Initié en 2015, le projet dirigé par Berlin doit doter l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne de drones comparables aux Reaper américains ou TB2 turcs.
Le contrat a été notifié en février, avec près de trois ans de retard, à Airbus, chef de file industriel du projet.
D'un montant de 7,1 milliards d'euros, il prévoit le développement de l'appareil et la livraison de 60 drones.
"Cela va aboutir, mais combien de retard et à quel prix? Est-ce que le matériel ne sera pas obsolète en arrivant?", s'interroge le sénateur français Cédric Perrin (LR).
Le premier vol est prévu en 2026, les premières livraisons deux ans plus tard. Plus d'un quart de siècle après le Reaper.