GENEVE: Des grandes puissances agricoles, dont l'Union européenne, les États-Unis, le Canada et l'Australie, se sont engagées vendredi à assurer la sécurité alimentaire du monde en dépit des chocs provoqués par l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
"Nous nous engageons à travailler ensemble pour assurer qu'il y ait de la nourriture en quantité suffisante pour tout le monde, y compris les plus pauvres, les plus vulnérables et les personnes déplacées", écrivent ces 51 membres de l'Organisation mondiale du commerce dans un communiqué conjoint.
Ils promettent aussi de garder les marchés agricoles et alimentaires "ouverts, prévisibles et transparents en n'imposant pas de mesures commerciales restrictives injustifiées" sur les produits agroalimentaires ou les produits clés pour la production agricole.
Les membres signataires -dont sont absents de grands producteurs comme l'Argentine ou le Brésil- soulignent aussi que les mesures d'urgence prises pour faire face à la situation doivent provoquer le moins de distorsions possibles, être temporaires, ciblées et proportionnelles.
Il réclament encore que les produits achetés par le Programme alimentaire mondial -en première ligne pour tenter de compenser les pertes encourues sur le marché agricole mondial de la gigantesque production ukrainienne de grains ou d'huile- soient exempts de toute restriction ou interdiction d'exportation.
Une leçon durement apprise pendant la pandémie quand le système international Covax -qui devait pourvoir en vaccins les pays membres et surtout les plus pauvres- s'est vu privé de sa ressource principale de vaccins anti-Covid par la décision de l'Inde d'interdire les exportations de ces précieux flacons. Les plans de vaccination mondiale s'en sont retrouvés grippés pour longtemps.
Guerre en Ukraine: des images satellites prédisent une perte d'un tiers des récoltes de blé
Le rendement de la prochaine moisson de blé en Ukraine devrait chuter d'au moins 35% comparé à 2021 en raison de l'invasion russe, selon des images satellites analysées par la société de géolocalisation Kayrros dans une note publiée vendredi.
Le conflit a lourdement perturbé la saison des semis, qui est en cours, et obligé les agriculteurs à travailler sous les bombes, avec du carburant difficile à trouver. A hauteur de satellites, la différence par rapport aux saisons habituelles est déjà visible, corroborant les prédictions des analystes.
Les images ont été enregistrées entre le 14 et le 22 avril, un peu moins de deux mois après l'invasion du pays par la Russie, par le satellite Terra de la Nasa, puis analysées par Kayrros.
Le spécialiste de l'imagerie satellite et de la géolocalisation appliquée à l'environnement s'est appuyé sur la méthode dite de "l'indice de végétation par différence normalisée", une analyse infrarouge de précision qui permet d'évaluer l'état des végétaux et ainsi de prédire la production de céréales.
A ce stade, l'Ukraine serait en capacité de produire 21 millions de tonnes de blé en 2022, soit 12 millions de moins qu'en 2021 estime Kayrros, avec une baisse de rendement des moissons de 23% sous la moyenne des cinq dernières années.
"Étant donné que les combats se poursuivent et qu'une grande partie de la production de blé du pays provient des régions de l'est de l'Ukraine, où le conflit est le plus intense, les chiffres réels de la production seront probablement inférieurs", préviennent les analystes.
"La campagne des semis avance, avec des agriculteurs qui sèment avec un casque et un gilet pare-balles (...) mais c'est un défi logistique incroyable, et on sait que les surfaces cultivées seront plus petites" qu'auparavant, abondait Damien Vercambre, analyste chez Inter-Courtage, interrogé mercredi par l'AFP.
Les agriculteurs qui arriveraient à semer feront dans tous les cas face à un problème de stockage, les exportations par le rail et la route ne pouvant compenser qu'une partie minime des départs de marchandises par bateaux.
La Russie maintient en effet son blocus des ports ukrainiens, tant sur la mer Noire que sur celle d'Azov, entravant lourdement les échanges commerciaux.
Le conflit promet d'aggraver les fragilités de pays très dépendants des exportations de céréales russes et ukrainiennes, comme la Somalie ou la République démocratique du Congo en Afrique, Russie et Ukraine assurant 30% du commerce mondial de cette denrée.
Acteurs majeurs
La Russie et l'Ukraine sont deux exportateurs majeurs de blé, maïs, colza et huile de tournesol. La Russie est en outre le premier fournisseur mondial d'engrais et de gaz.
De nombreux pays -notamment sur le continent africain - dépendent des livraisons de l'Ukraine, qui exportait avant la guerre par la mer 4,5 millions de tonnes de production agricole par mois --soit 12% du blé, 15% du maïs et 50% de l'huile de tournesol au niveau mondial (il en est le premier producteur mondial).
Ensemble, la Russie et l'Ukraine assurent 30% du commerce mondial de blé.
La guerre et les risques qu'elle fait peser sur les récoltes et les livraisons -les ports ukrainiens de la mer Noire sont bloqués- a fait monter les cours de tous les oléagineux: en deux mois, le tournesol, comme le colza, a vu son prix grimper de 40% sur le marché européen.
L'offensive russe et les sanctions économiques qui ont plu sur Moscou ont interrompu les livraisons de blé et autres denrées alimentaires provenant des deux pays, faisant s'envoler les prix des denrées alimentaires ainsi que ceux des carburants, en particulier dans les pays émergents.
Ce communiqué commun exhortant à garder les marchés ouverts arrive alors que des réactions protectionnistes se font déjà jour.
Ainsi, fin avril, face à la flambée des cours des huiles végétales c'est l'Indonésie -qui n'est pas signataire du texte commun diffusé vendredi- qui a annoncé la suspension de ses exportations d'huile de palme dont elle est le principal producteur mondial. Résultat, nouvelle hausse de prix déjà tendus par le risque que la guerre déclenchée par la Russie fait planer sur la production ukrainienne de colza ou de tournesol par exemple.
"La guerre en Ukraine va avoir un impact terrible sur les millions de gens qui font face à la famine partout dans le monde. Cela signifiera une explosion des prix de la nourriture, du carburant, du transport mais aussi moins de nourriture pour ceux qui sont affamés et il y aura encore plus de gens à souffrir de la faim", avait expliqué au Conseil de sécurité, le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM), David Beasley fin mars.