La première coalition judéo-arabe d'Israël dans la tourmente

L'une des réalisations les plus remarquables de ce gouvernement a été l'inclusion, pour la première fois dans l'Histoire du pays, d'un parti arabe indépendant.
L'une des réalisations les plus remarquables de ce gouvernement a été l'inclusion, pour la première fois dans l'Histoire du pays, d'un parti arabe indépendant.
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Publié le Lundi 02 mai 2022

La première coalition judéo-arabe d'Israël dans la tourmente

La première coalition judéo-arabe d'Israël dans la tourmente
  • L'une des réalisations les plus remarquables de ce gouvernement a été l'inclusion, pour la première fois dans l'Histoire du pays, d'un parti arabe indépendant
  • L’actuel gouvernement israélien a prouvé qu'il avait plusieurs vies et qu'il pourrait réussir à se sortir de cette situation épineuse, mais il doit apprendre à prévenir les crises plutôt que de devoir y réagir

Le compte à rebours de la chute de l'actuel gouvernement israélien a commencé dès la signature de l'accord de coalition. Pourtant, pour l'instant, cette coalition hétéroclite de partis de droite, de gauche, centristes et religieux continue de survivre, mais de justesse.

Pendant les vacances de printemps de la Knesset, le Conseil de la choura de La Liste arabe unie (plus connue par son sigle en hébreu «Ra'am») qui est l'organe consultatif des chefs religieux, a décidé de geler l'adhésion du parti à la coalition après les affrontements entre les forces de sécurité israéliennes et les fidèles de la mosquée Al-Aqsa.

Pour le moment, il s'agit davantage d'une séparation provisoire que d'un décret irrévocable. Néanmoins, c’est le signe le plus fort à ce jour de la fragilité du gouvernement, rappelant le fait que sa survie est entièrement tributaire des événements à venir; et dans un pays où des événements déstabilisants se produisent très fréquemment, la survie du gouvernement dépendra de la détermination et de la sagesse dont il fera preuve dans sa réponse à ces incidents.

L'une des réalisations les plus remarquables de ce gouvernement a été l'inclusion, pour la première fois dans l'Histoire du pays, d'un parti arabe indépendant. Il a ainsi mis fin à une impasse politique qui a duré deux ans et donné lieu à quatre élections générales.

Les affrontements sur le mont du Temple pendant le mois sacré du ramadan ont soumis les membres du Conseil de la choura et le chef du parti Ra'am, Mansour Abbas, à une pression considérable de la part de leurs partisans, notamment face à ce que de nombreux Palestiniens des deux côtés de la ligne verte considèrent comme un usage excessif de la force en réponse aux pierres lancées depuis le mont du Temple sur les bus emmenant des visiteurs juifs sur le site.

Ra'am étant un parti islamique, tout changement du statu quo régissant l'entrée à Al-Aqsa oblige le parti à trouver un équilibre entre son désir de rester au gouvernement et de maintenir sa position unique de pont entre les juifs et les Palestiniens – qu’ils vivent en Israël ou dans les territoires occupés – d’une part, et son besoin de répondre aux souhaits de ses électeurs, d’autre part.
Dans une coalition gouvernementale qui est plus un mariage de convenance qu'une rencontre d'esprits, il n'y a pas d’atomes crochus entre ses différentes composantes et l'harmonie ne tient qu’à un fil. Ra'am, un parti issu de la branche sudiste du Mouvement islamique en Israël, ne fait pas exception. Il s'agit d'un partenariat difficile à maintenir pour les deux parties. Mais ce qui le rend unique et prometteur, c'est qu'il partage la gestion de ce pays complexe de manière inclusive, sans balayer les différences entre ses membres sous le tapis et sans permettre aux profondes divergences de faire échouer la coalition.

En tant que Palestiniens-Israéliens, ce n'est une décision ni évidente ni facile pour M. Abbas et ses collègues de gouverner avec un Premier ministre ancien directeur du Conseil de Yesha, une organisation regroupant les conseils municipaux des colonies juives de Cisjordanie, qui soutient les colonies et l'annexion d'au moins certaines parties de la Cisjordanie. Il est tout aussi difficile pour le Premier ministre, Naftali Bennett, de travailler avec un parti qui soutient le droit au retour des réfugiés palestiniens.

Tout comme le chat dans le proverbe, l’actuel gouvernement israélien a prouvé qu'il avait plusieurs vies et qu'il pourrait réussir à se sortir de cette situation épineuse.

Yossi Mekelberg

Tout aussi difficile est l'opposition du parti Ra'am à l'évolution de la législation sur les droits des personnes LGBT alors qu'il partage le pouvoir avec le chef du parti Meretz, qui est ouvertement gay et qui souhaite que l'État accorde aux couples non mariés, y compris aux partenaires de même sexe, un statut juridique équivalent à celui accordé aux couples mariés.

Ce gouvernement a été établi sur la nécessité de résoudre des problèmes sans fin. Tout se joue sur le maintien d'un statu quo fragile tout en apportant des changements progressifs jusqu'à ce que l’ennemi potentiel de ce gouvernement, l'ancien Premier ministre, Benjamin Netanyahou, disparaisse enfin de la scène politique israélienne.

Ne nous faisons pas d'illusions: s'il avait été possible de former un gouvernement sans parti arabe, ce serait malheureusement le premier choix de tout politicien juif, à l'exception probable du parti Meretz. Pourtant, les réalités politiques ont obligé M. Bennett et son homologue du parti Yesh Atid, Yaïr Lapid, à partager le pouvoir avec le parti Ra'am après qu'Abbas est devenu un véritable faiseur de rois, et ils ont été obligés d'en tirer le meilleur parti.

M. Abbas est un politicien avisé dont la vision est de faire en sorte que les citoyens palestiniens d'Israël, qui représentent un cinquième de la population du pays, aient voix au chapitre dans les décisions les plus importantes du pays, dans le contexte d'un État juif. Il est allé jusqu'à déclarer que «l'État d'Israël est né en tant qu’État juif. C'est la décision du peuple et la question ne porte pas sur l'identité de l'État. Il est né ainsi et il le demeurera.» Il ajoute que pour lui, la question majeure est de savoir quel est le statut d'un citoyen arabe au sein de l'État juif d'Israël.

Son soutien à un gouvernement pétri de contradictions et de paradoxes est motivé par le seul objectif de faire avancer la cause de deux millions de personnes qui ont souffert de négligence et de discrimination depuis la création de cet État. Même si certaines de ses opinions continueront à être controversées pour une grande partie de la population juive, sa décision de participer à la gouvernance du pays au lieu de s’offusquer depuis les coulisses mérite le respect, ne fût-ce que pour l'incidence immensément positive qu'elle pourrait avoir sur la rhétorique judéo-arabe.

En outre, le gouvernement actuel a déjà alloué des sommes sans précédent au développement économique des communautés arabes pour réparer des infrastructures en ruine, ainsi que pour un plan national de lutte contre la criminalité et la violence dans ces communautés, et pour la création d'une nouvelle ville bédouine dans le Néguev. Il a également accepté de reconnaître trois villages bédouins et il adopte une approche plus indulgente en matière de démolition des bâtiments illégaux, point sensible dans de nombreux villages et villes arabes. Ces réalisations ne sont pas négligeables.

Cependant, M. Abbas et les autres membres de son parti comprennent que, malgré le soutien de la plupart des Arabes israéliens à leur participation à la coalition gouvernementale, ce soutien n'est pas indéfectible. Le gel de sa participation à la coalition consiste davantage à opposer un carton jaune – plutôt qu'un carton rouge – à ce partenariat improbable, dans l'espoir que les choses se calment au lendemain des fêtes religieuses. Ainsi, il entend éviter de mettre en péril les réalisations considérables de Ra'am au sein du gouvernement et la défense des droits et des besoins de ses citoyens arabes dans l'agenda politique et social israélien.

Tout comme le chat dans le proverbe, l’actuel gouvernement israélien a prouvé qu'il avait plusieurs vies et qu'il pourrait réussir à se sortir de cette situation épineuse, mais il doit apprendre à prévenir les crises plutôt que de devoir y réagir.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent's University à Londres, où il dirige le Programme des Relations Internationales et des Sciences Sociales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux et régionaux.

Twitter: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.