Il est grand temps de mettre fin une fois pour toutes à la mascarade israélienne qui consiste à faire la distinction entre les colonies officielles et les avant-postes dits «illégaux» en Cisjordanie occupée. Israël tente – sans grand succès – de leurrer la communauté internationale en établissant cette distinction fallacieuse, alors que l’État ne fait rien pour démanteler ces formes illégales d'implantation. Bien au contraire, Israël leur accorde une légitimité et les légalise progressivement.
En tout état de cause, le droit international ne fait aucune distinction entre ces colonies, qu'elles soient approuvées ou non par un gouvernement israélien. L'article 49 de la Quatrième Convention de Genève interdit clairement à la puissance occupante de transférer sa propre population dans le territoire qu'elle occupe. L'argumentation juridique d'Israël selon laquelle la Jordanie n'a jamais eu de souveraineté légitime sur la Cisjordanie est obsolète et incohérente, venant d'un pays qui, dans le passé, prétendait négocier de bonne foi son retrait de la majeure partie de ce territoire en faveur d’un accord de paix qui aurait permis l'instauration d'un État palestinien.
On compte actuellement cent quarante et un «avant-postes» – par rapport aux cent trente-deux colonies officiellement approuvées et établies par le gouvernement israélien – dispersés en Cisjordanie. Selon l'organisation non gouvernementale israélienne Peace Now, ces avant-postes abritent plus de quatre mille colons dans près de deux mille maisons mobiles et structures permanentes. Quelque quatre-vingts d'entre elles sont situées, en totalité ou en partie, sur des terres appartenant à des Palestiniens. En d'autres termes, ce type de colonie est en train de prospérer, usurpant sans scrupule les terres des Palestiniens qui, dans le contexte de l'occupation, n'ont guère de recours à la loi ni ne peuvent compter sur les autorités israéliennes pour empêcher une telle injustice.
La décision prise ce mois-ci d'approuver un projet de loi controversé qui permettra à ces avant-postes illégaux d'être connectés au réseau électrique a révélé la supercherie du gouvernement israélien qui prétend considérer ces colonies comme illégales. L’argument mis en avant par la procureure générale adjointe, Carmit Yulis, est bien faible et repose sur une différenciation entre les avant-postes construits sur des terres déclarées «propriété de l'État», qui seront connectés au réseau électrique, et ceux construits sur des terres palestiniennes privées, qui ne le seront pas.
Le ministre de la Justice, Gideon Sa'ar, leader du parti de droite Nouvelle Espérance, s'est empressé de prendre la parole sur Twitter pour féliciter Carmit Yulis pour cet avis juridique. Il s’agit d'une décision charnière dans la légitimation et la légalisation de ces colonies, qui sont encore plus problématiques que celles approuvées par les gouvernements israéliens avant leur construction.
Je ne suis pas expert en droit, mais cet arrêt signifie-t-il que dorénavant, n'importe qui peut s'emparer de terres publiques n'importe où en Israël et dans les territoires occupés et bénéficier ensuite de services du gouvernement, tels que l'eau et l'électricité, ou cela ne s'applique-t-il qu'aux colons juifs de Cisjordanie? La distinction entre les terres privées et les terres publiques a pour but de servir l'expansion constante des colonies et d’usurper des terres aux Palestiniens, qui en ont désespérément besoin pour le logement et l'agriculture à l’heure où leur population augmente.
Il va de soi qu'une terre privée ne doit pas être volée à ses propriétaires légitimes. Cependant, lorsqu'une avocate de haut rang du gouvernement fait référence à une «terre d'État», elle fait sciemment l’impasse sur le fait qu'il s'agit d'un territoire occupé et que cette décision vient consolider l'annexion de facto de ce territoire, le remettant à un groupe de hors-la-loi prêts à défier tout le monde, y compris les autorités israéliennes.
Dans le contexte de l’étrange relation qui s'est développée entre les colons des avant-postes et l'État, non seulement les services et les commodités leur sont fournis, mais le langage employé pour les décrire a également changé. Au lieu d'utiliser le terme «avant-postes», les fonctionnaires, y compris les ministres, les nomment désormais «jeunes colonies» dans ce qui semble être une nouvelle tentative de dissimuler le fait qu'ils ont illégalement imposé leur existence à l'État dans le seul but de s'emparer d'encore plus de terres palestiniennes et d'attiser les tensions avec les Palestiniens locaux.
De nombreuses années durant, les hommes politiques se sont montrés trop faibles pour affronter les dirigeants du mouvement de colonisation, en particulier les plus rebelles d’entre eux. La génération actuelle des colons des avant-postes a appris de la génération des années 1970 que la politique du fait accompli est payante, indépendamment de l'illégalité des avant-postes, et ce même si cela va à l'encontre des souhaits de l'establishment sécuritaire. Pendant près de cinquante ans, cette stratégie s'est avérée efficace. Et alors que les premiers colons faisaient partie de l'establishment politique, la génération actuelle des avant-postes est largement composée d'extrémistes qui ne respectent nul autre que leurs propres rabbins et quelques politiciens ultrareligieux et ultranationalistes.
Les pourparlers de paix étant dans une impasse totale, un règlement définitif du conflit israélo-palestinien sur la base d'une solution à deux États n'est tout simplement pas envisageable. Pour l’heure, ni le contexte interne ni le contexte international ne sont propices à l’avancée des négociations de paix. Dans cette situation explosive, certains groupes sont plus intéressés par la discorde et le conflit que par une solution durable, équitable et juste – en tête de ceux-là figurent les habitants peu recommandables des avant-postes.
Une grande partie des violences exercées par les colons à l'encontre des Palestiniens proviennent de ces avant-postes, sont commises en plein jour et bénéficient de la complicité des forces de sécurité israéliennes qui réagissent peu ou pas aux crimes allant même parfois jusqu’à les faciliter. De nombreuses preuves montrent que les colons des avant-postes s'approprient des terres et empêchent les villageois, qui y vivent depuis des générations et bien avant l'occupation, d'accéder à leurs pâturages et à leurs citernes d'eau, obligeant les bergers palestiniens à acheter de la nourriture et de l'eau pour leurs animaux, augmentant ainsi les coûts pour les agriculteurs qui souffrent déjà de la pauvreté.
De même, des oliveraies sont détruites, des conduits d'eau volés, des pierres lancées sur des personnes et des biens ainsi que des voitures sont vandalisés par ces mêmes colons.
De nombreuses années durant, les politiciens se sont montrés trop faibles pour affronter les dirigeants du mouvement de colonisation, en particulier ses membres les plus rebelles.
Yossi Mekelberg
Le gouvernement israélien persiste à légitimer progressivement ces avant-postes. En n'écartant pas ces criminels et en n'affirmant pas l'autorité de l'État, le gouvernement est de connivence avec les plus extrémistes d'entre eux. Ces derniers veulent faire en sorte qu'un État palestinien ne puisse jamais voir le jour et que les Palestiniens ne jouissent jamais des mêmes droits que les juifs dans cette partie du monde.
Cette tendance est très dangereuse et ne fera qu'accroître l'appétit des colons pour davantage de terres. Les Palestiniens s’en trouveraient complètement à leur merci. Même Israël risque de se retrouver soumis à leur agenda messianique et ultranationaliste. Il faudra absolument y mettre un terme avant qu'il ne soit trop tard.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux et régionaux.
Twitter: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.