BEYROUTH : Après avoir fui la guerre en Ukraine, des étudiants libanais s'efforcent désormais de terminer leurs études dans leur pays où ils sont confrontés à un avenir précaire en raison d'une crise économique sans précédent qui affecte leurs perspectives de carrière.
«Mieux vaut la guerre qu'être ici», soupire Yasser Harb, en dernière année de médecine, qui a quitté la capitale Kiev deux jours avant l'invasion russe le 24 février.
Avouant être rentré au Liban pour rassurer ses parents, il se retrouve dans un pays où l'électricité se fait rare, où le cours de la monnaie s'est effondré et le coût de la vie a explosé.
Comme lui, d'autres étudiants se battent maintenant pour poursuivre leurs études à distance, avec des obstacles au transfert d'inscription pour certains d'entre eux.
Près d'un millier d'étudiants libanais ont pu quitter l'Ukraine, selon des données officielles annoncées fin mars. Au moins 340 se sont inscrits au ministère de l'Education pour poursuivre leurs études.
Mais le ministre de l'Éducation, Abbas Halabi, a indiqué qu'aucun des inscrits n'avait rejoint une université privée au Liban, reconnaissant que les étudiants «dont les universités en Ukraine ont été bombardées n'ont même pas pu récupérer leurs relevés de notes» pour procéder à leur réinscription dans leur pays.
- «Une vraie galère» -
Ainsi, Yasser se retrouve dans le noir complet, sans garantie d'équivalence pour son diplôme. Quant à ceux qui postulent à l'Université libanaise, seul établissement universitaire public, «ils devront passer le concours d'entrée à la rentrée prochaine», explique le recteur, Bassam Badran.
N'ayant d'autre choix que d'étudier à distance chez ses parents à Nabatieh, dans le sud du Liban, Yasser s'efforce de terminer sa dernière année. Mais chez lui, il n'a qu'une heure d'électricité par jour comme c'est le cas pour la plupart des Libanais.
Le recours accru aux générateurs privés pour pallier les défaillances de l'État affecte la connexion wifi: «Internet est lent, on peine à entendre les explications des enseignants, ce qui impacte nos notes», déplore l'étudiant qui n'exclut pas de retourner en Ukraine une fois que les vols auront repris.
La capitale Kiev a réussi à maintenir l'approvisionnement en électricité malgré la guerre, les transports publics restent opérationnels et la vie retrouve progressivement un semblant de normalité. «A Kiev, j'avais au moins les services de base», dit-il.
Mais au Liban, «rien n'est facile», renchérit Samer Dakdouk, dans la même situation. En cinquième année à la faculté de médecine de Kharkiv (nord-est de l'Ukraine), Samer étudie en ligne et se rend à l'hôpital à Beyrouth en tant qu'interne, mais très sporadiquement car les places sont rares.
«Pourtant, la partie pratique du cycle d'études en médecine est cruciale, c'est une vraie galère», confie-t-il. Le manque de moyens et d'opportunités l'empêchent d'aller en Europe.
- «Fardeau» -
Nathalie Deeb s'estime elle «chanceuse» d'avoir rejoint directement l'Allemagne, destination de choix des étudiants libanais en Ukraine, dans la mesure où ils peuvent se spécialiser tout en percevant un salaire décent.
Depuis l'Allemagne, elle poursuit son cursus en ligne et attend la réponse d'un hôpital pour des stages. «Je ne suis pas rentrée au Liban car l'Allemagne m'offre plus de possibilités et je ne veux pas être un fardeau pour mes parents», dit l'étudiante en médecine.
L'effondrement du système universitaire libanais, qui fournissait une élite hautement qualifiée aux pays de la région, a accéléré la fuite des cerveaux.
Depuis 2019, la livre libanaise a perdu plus de 90% de sa valeur et le salaire minimum mensuel -- naguère l'équivalent de 450 dollars (427 euros) -- a chuté à 25 dollars (24 euros).
Le père de Nathalie a dû vendre leur appartement à Beyrouth et retourner dans leur village dans le Sud pour qu'elle puisse poursuivre ses études.
A l'université nationale de médecine de Bogomolets à Kiev, l'étudiante paie 4.400 dollars l'année (4.074 euros), environ cinq fois moins que la plupart des universités libanaises privées.
«Ceux qui sont rentrés le regrettent», conclut-elle.