LAOAG: S'il gagne la présidentielle aux Philippines, le fils de l'ancien dictateur Ferdinand Marcos réinstallera au sommet de la pyramide du pouvoir un puissant clan familial qui en occupe déjà de nombreux échelons.
Les sondages prédisent une confortable victoire à Ferdinand "Bongbong" Marcos Jr lors du scrutin du 9 mai, 36 ans après le soulèvement populaire qui avait renversé son père.
Les puissantes familles, comme celle de Marcos, tirent depuis longtemps les ficelles dans ce pays pauvre d'Asie du sud-est, que ce soit par l'achat de voix ou par l'intimidation.
Selon les analystes, ce système clanique est de plus en plus envahissant. De nouvelles dynasties politiques ont vu le jour, surtout au niveau local, pipant les élections, entravant le développement économique et aggravant les inégalités.
"Le pouvoir engendre le pouvoir", explique Julio Teehankee, professeur de sciences politiques à l'Université De La Salle à Manille. "Plus ils restent au pouvoir, et plus ils accumulent du pouvoir".
M. Teehankee chiffre à 319 le nombre de grandes familles historiques, dont la puissance remonte au temps où les Philippines étaient une colonie américaine, entre 1898 et 1946.
Clientélisme
Certaines ont vu leur pouvoir se faner, mais 234 de ces familles ont conquis des sièges lors des élections de mi-mandat en 2019, relève-t-il.
Ces clans ont prospéré dans une démocratie largement corrompue, où clientélisme et retournements de veste sont monnaie courante.
Mais cette hégémonie n'est pas statique. Des familles peuvent conquérir le pouvoir, puis le perdre, pour ensuite faire un retour fracassant.
Après la mort en 1989 du dictateur déchu, la famille Marcos s'est réimplantée dans la province d'Ilocos Norte, son fief historique, où elle a commencé à tisser un réseau d'influence pour faire élire les siens à des postes de plus en plus élevés.
A 64 ans, Ferdinand "Bongbong" Marcos Jr est sur le point de parachever la conquête ultime pour la dynastie: la présidence. Et sa famille entend rafler tous les postes-clés à Ilocos Norte.
Au début de la campagne, en mars, les candidats de la famille ont posé côte à côte devant un panneau "Team Marcos" à Laogag, la capitale de la province.
Le fils aîné de Marcos Jr, également prénommé Ferdinand, se présente aux élections pour la première fois et brigue un des deux sièges de député de la province. Un cousin se représente en vue de conserver le deuxième.
Son neveu - le fils de sa soeur Imee, qui est sénatrice - entend se faire réélire gouverneur, tandis que la veuve d'un autre cousin compte bien conserver son fauteuil de vice-gouverneur.
Si Marcos Jr soutient que sa famille n'est pas une dynastie, son cousin Michael Marcos Keon, qui brigue un second mandat de maire à Laoag, n'a aucun complexe à affirmer que si.
"Tout ceci est dynastique", affirme M. Keon, 67 ans, qui était auparavant gouverneur de la province où il avait succédé à Marcos Jr, atteint par la limite de trois mandats.
"Je ne serais pas où je suis aujourd'hui si je n'étais pas un Marcos", reconnaît-il.
«La famille en premier»
"C'est comme dans l'Europe médiévale", poursuit M. Keon sans son bureau, entouré des photos des membres de son clan. "La famille passe en premier".
La mainmise des Marcos sur Ilocos Norte est "typique" des Philippines, et le même phénomène est observé partout ailleurs dans le pays, affirme Ronald Mendoza, doyen de l'Ecole de gouvernement Ateneo.
Selon lui, 80% des gouverneurs de province appartiennent actuellement à des "grosses dynasties" - terme qui désigne des clans comptant au moins deux membres au pouvoir en même temps - contre 57% en 2004.
Les familles des politiques tiennent actuellement 67% des sièges de député (contre 48% en 2004) et 53% des postes de maire (contre 40%).
La famille du président sortant, Rodrigo Duterte, n'est pas en reste. "J'ai une fille qui brigue la vice-présidence, un fils un siège de député et un autre une mairie. Je suis comblé", s'est-il félicité.
Plus de 18 000 mandats en tout genre sont remis en jeu lors des élections du 9 mai. Mais selon M. Mendoza, il est probable que la plupart des élus actuels conserveront leur poste.
Avec la pandémie et la crise qui en a résulté, "vous avez plus d'électeurs vulnérables au clientélisme, plus d'électeurs inquiets pour leur accès à la protection sociale", relève-t-il.
La constitution de 1987 a beau prohiber explicitement "les dynasties politiques telles que définies par la loi", la loi qui devait les définir n'a jamais été votée par le parlement.
"On ne peut pas attendre d'une chambre remplie de dynasties qu'elle vote une législation anti-dynasties", explique le professeur Teehankee. "C'est comme de demander à Dracula d'être le gardien de la banque du sang".