PARIS : Les cordons de la Bourse verdiraient-ils ? Les actionnaires sont toujours plus nombreux en assemblée générale à soutenir des résolutions favorables à l'environnement, augmentant la pression sur les entreprises, même si ces votes sont loin d'être majoritaires.
"Ce n'est pas une tendance toujours continue mais on observe nettement une montée en puissance" de la participation des grands gérants d'actifs aux votes pro-climat, affirme à Matt Scott, de l'organisation Proxy Insight, à Londres.
Selon les chiffres de cette société qui surveille le vote des actionnaires sur les résolutions liées à l'environnement lors des AG, 118 ont été présentées dans le monde entre juillet 2019 et juin 2020, soutenues par 19,4% des investisseurs, contre 89 résolutions et un taux moyen de soutien de 16,6% une année plus tôt.
Parmi elles, figurent des résolutions visant à mettre en conformité les actions de lobbying avec les questions climatiques ou à réduire les émissions carbone.
"Les gérants d'actifs jouent un rôle de plus en plus important" dans cette bataille, souligne Mark van Baal, fondateur de Follow This, une organisation militante néerlandaise.
Sa stratégie pour faire changer les mentalités est d'acheter des actions d'entreprises pétrolières pour ensuite voter en assemblée générale et tenter de convaincre les autres actionnaires d'en faire autant.
"Voter ou vendre"
"La seule manière pour peser est de voter ou de vendre. Le reste n'est que palabre", martèle-t-il.
A son tableau de chasse, les majors pétrolières Shell, BP, Equinor, et Total. Certaines résolutions ont été soutenues par une proportion croissante d'investisseurs privés brassant des dizaines de milliards de dollars.
Passée inaperçue en mai en raison du Covid, une résolution soutenue par la Banque Postale AM, Crédit Mutuel ou Meeschaert visant à renforcer la contribution du groupe à l'atteinte de l'objectif de l'Accord de Paris de réduire le réchauffement climatique a recueilli 16,8% de votes.
"C'est efficace. Pas parce que nous obtenons une majorité mais car une minorité croissante soutient ces initiatives", argumente-t-il.
D'autres résolutions marquantes liées à l'Accord de Paris ont été soumises cette année au sein de la banque britannique Barclays, et de la japonaise Mizuho.
Entre conscience écologique tardive, volonté de redorer leur image et craintes pour l'avenir de leurs portefeuilles financiers, une proportion grandissante d'investisseurs s'engage davantage.
"Si vous allez voir ces gens autour d'une tasse de café dans un endroit très chic en disant qu'il faut que cela bouge, il ne se passe rien", confie Jean-Philippe Desmartin, responsable de l'investissement responsable chez Edmond de Rothschild AM, en référence aux groupes pétroliers.
"On a un dialogue continu, mais on veut, pour que cela avance, que cela passe aussi par des dynamiques plus fortes" ajoute le gérant.
D'autant que les conséquences dramatiques du Covid-19 sur l'économie ont rappelé l'urgence de la situation.
"On est beaucoup plus vulnérables aux risques (de catastrophes, ndlr) qu'on ne le croyait", souligne Helena Vines Fiestas, Responsable Stewardship & Policy de BNP Paribas AM, estimant que l'impact observé du Covid-19 laisse présager pire "par rapport au climat".
Blackrock, mauvais élève
Tous les investisseurs ne jouent toutefois pas la même partition.
Souvent cité comme mauvais élève, le plus grand gérant d'actifs au monde avec 7.800 milliards de dollars, Blackrock, est accusé d'avoir régressé dans sa politique de vote, quelques mois seulement après un plaidoyer remarqué de son patron Larry Fink sur le climat.
Seulement 13% de résolutions pro-environnement ont été soutenues par le groupe cette année, contre 20% en 2019, selon Proxy Insight.
Le géant financier a récemment affirmé à l'AFP tenir compte dans ses choix de vote de l'importance de la bonne gouvernance de l'entreprise, et avoir déjà en place des programmes sur le climat.
"Beaucoup d'investisseurs, comme beaucoup de parents, confondent une bonne relation avec le fait de toujours céder", critique cependant Mark van Baal.
L'exemple Blackrock met en lumière une autre tendance, le fait que les gérants d'actifs européens s'engagent davantage que leurs concurrents américains. Un phénomène dont s'inquiète l'ONG britannique ShareAction, notant dans une étude fin 2019 que les vingt plus grands acteurs américains contrôlent environ 35% des actifs sous gestion dans le monde.
En Europe, "la pression réglementaire est beaucoup plus importante qu'aux Etats-Unis, où la pression vient avant tout de la population", décrypte Marie Sybille Connan, senior analyste ESG pour Allianz Global Investors. (AFP)