MADRID: Des accusations d'espionnage portées par les indépendantistes catalans à l'encontre des services de renseignement espagnols ont brutalement ravivé les tensions avec le gouvernement de gauche de Pedro Sánchez.
"Nul besoin d'être Sherlock Holmes pour regarder du côté du CNI (Centre national du Renseignement), a affirmé mercredi le président du gouvernement régional catalan, Pere Aragonés.
Il se référait à l'espionnage présumé de 65 personnes (responsables indépendantistes catalans et basques, ainsi que de membres de leur entourage) au moyen du logiciel Pegasus, mis au point par la société israélienne de cybersécurité NSO.
M. Aragonés, dont dépend la stabilité parlementaire du gouvernement central, a exigé des réponses "dans un délai d'une semaine".
"Vu la gravité" des faits, "il faut que ce soit dans les prochains jours, au cours de la semaine prochaine, quand il y aura une prise de position claire" du gouvernement "qui pour le moment n'a pas été donnée", a-t-il déclaré à l'AFP.
Le logiciel Pegasus permet, une fois installé dans un portable, d'accéder à la messagerie et aux données, mais aussi d'activer à distance le micro et la caméra de l'appareil.
L'affaire a éclaté lundi, lorsque Citizen Lab, un projet sur la cybersécurité de l'Université canadienne de Toronto, a rendu public un rapport identifiant 65 personnes de la mouvance indépendantiste - pour la plupart des Catalans - dont les portables auraient été piratés entre 2017 et 2020 par le logiciel israélien, déjà l'objet d'accusations similaires depuis juillet 2021.
Parmi ces cibles de Pegasus, figurent les quatre derniers présidents de la "Generalitat" (le gouvernement régional catalan).
"Nous suspections depuis longtemps que nous étions les cibles des services de renseignement de l'Etat", a poursuivi M. Aragonés, jugeant "insuffisantes" les explications fournies jusqu'à présent par le gouvernement central.
Commission d'enquête
NSO a toujours affirmé que Pegasus ne pouvait être vendu qu'à des Etats et que ces ventes devaient obtenir le feu vert préalable des autorités israéliennes.
Selon l'ONG Amnesty International, ce logiciel pourrait avoir été utilisé pour pirater jusqu'à 50.000 portables.
La situation pour M. Sánchez est compliquée par le fait qu'il dirige un gouvernement minoritaire dont la survie au Parlement dépend du soutien des partis indépendantistes basque et catalan, à commencer par celui de M. Aragonés, Gauche Républicaine de Catalogne (ERC).
"S'il n'y a pas une admission des responsabilités (de la part de M. Sánchez), il sera très difficile que cette stabilité parlementaire puisse se poursuivre", a averti le président catalan, alors que les prochaines élections générales sont prévues pour dans moins de deux ans.
Il a affirmé jeudi avoir échangé des messages avec le Premier ministre pour organiser une réunion et a réclamé "une commission d'enquête parlementaire" afin d'établir les responsabilités.
La porte-parole du gouvernement, Isabel Rodríguez, avait rejeté dès mardi les accusations de M. Aragonés en affirmant que l'Espagne était "un pays démocratique et un Etat de droit". "Le gouvernement n'a rien à cacher dans cette affaire", avait-elle lancé, mais sans répondre sur le fond.
Pour sa part, la ministre de la Défense, Margarita Robles, a souligné que les missions du CNI, qui dépend de son ministère, étaient "soumises à un contrôle et une autorisation judiciaires", mais sans dire si le CNI pouvait avoir été impliqué dans ces écoutes.
Mettant en avant la loi, qui impose le secret en matière de renseignement, elle a également refusé de confirmer ou de démentir l'information du quotidien El País selon laquelle le CNI aurait acheté le logiciel Pegasus pour six millions d'euros.
Lassitude
A en croire El País, le CNI a s'est procuré le logiciel israélien pour s'en servir à l'étranger. Les indépendantistes catalans affirment avoir été espionnés dans plusieurs pays européens, où ils comptent déposer plainte.
"Nous ne laisserons rien passer et il y aura des plaintes, collectives pour certaines et individuelles pour d'autres, dans cinq juridictions différentes", a déclaré l'ex-président catalan Carles Puigdemont mardi à Bruxelles, où il vit en exil depuis 2017.
M. Puigdemont avait fui en Belgique pour échapper à la justice espagnole après une tentative avortée de sécession de la Catalogne, point culminant d'années de tensions entre le mouvement indépendantiste et le gouvernement central, alors dirigé par la droite.
Les relations se sont apaisées depuis le lancement en 2020 par M. Sánchez, un socialiste, d'un dialogue entre Madrid et le gouvernement régional, d'autant que le gouvernement central a gracié l'an dernier, au nom de la "réconciliation", neuf indépendantistes emprisonnés à la suite des évènements de 2017.
A ce stade, rien ne prouve que cette affaire d'espionnage peut remettre en cause ce processus et compromettre le maintien au pouvoir du gouvernement central.