PARIS: La France est entrée en apnée électorale samedi, à la veille du premier tour d'une élection présidentielle marquée par les crises internationales et la perspective probable d'un nouveau duel entre le chef de l'Etat sortant Emmanuel Macron et sa rivale d'extrême droite Marine Le Pen à l'issue incertaine.
Depuis vendredi minuit, heure à laquelle s'est officiellement achevée la campagne du premier tour, le pays est soumis au silence électoral, les douze candidats en lice n'ayant plus le droit de s'exprimer ou de tenir des rassemblements.
Toutefois, plusieurs d'entre eux pourraient participer à des "marches pour le futur" annoncées dans plusieurs villes de France à l'initiative d'organisations de gauche.
Dimanche, quelque 48,7 millions d'électeurs seront appelés aux urnes à partir de 06H00 GMT pour désigner les deux finalistes appelés à s'affronter au deuxième tour le 24 avril. Un premier tour qui clôturera plusieurs mois d'une campagne singulièrement morne, éclipsée par le Covid puis la guerre en Ukraine, et dont les grands enjeux, en particulier le dérèglement climatique, ont été absents.
Les premières indications du résultat tomberont à 18H00 GMT, après la fermeture des derniers bureaux de vote. Les électeurs de certains territoires d'outre-mer étaient appelés aux urnes dès samedi.
Tous les sondages dessinent depuis plusieurs semaines la réédition du duel de 2017 entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, mais les ultimes enquêtes d'opinion ont montré un écart de plus en plus resserré entre le président sortant et sa rivale d'extrême droite. Les projections pour le second tour n'excluent pas, en comptant la marge d'erreur, une victoire de Mme Le Pen, ce qui constituerait une double première sous la Ve République, avec l'arrivée d'une femme et de l'extrême droite au pouvoir.
Mais le premier tour peut réserver des surprises, en raison notamment du nombre très important d'électeurs encore indécis et du redoutable facteur de l'abstention. Nombre de politologues craignent que le record du 21 avril 2002 (28,4%), le plus haut niveau jamais enregistré pour un 1er tour d'une élection présidentielle, puisse être battu, soit bien plus qu'en 2017 (22,2%) qui n'était déjà pas un bon cru.
"C'est la première élection qui atteint un tel taux de personnes qui sont indécises, qui ont changé d'opinion, à peu près un Français sur deux", souligne le politologue Pascal Perrineau.
Désireux d'enrayer la finale Macron-Le Pen annoncée, le candidat de la gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon, donné en troisième position derrière Mme Le Pen, espère lui aussi créer la surprise en se qualifiant pour le deuxième tour. Depuis plusieurs semaines, il appelle les électeurs de la gauche, éclatée et représentée par plusieurs candidats, à voter en sa faveur.
L'écologiste Yannick Jadot, la socialiste Anne Hidalgo et le communiste Fabien Roussel lui ont opposé une fin de non-recevoir, mais une partie de leurs électeurs pourrait être tentée par ce "vote utile".
Derrière M. Mélenchon, la candidate de la droite républicaine Valérie Pécresse est à la peine et au coude à coude avec l'autre candidat d'extrême droite, Eric Zemmour.
«Front républicain» ?
Face à la possibilité d'une victoire finale de l'extrême droite, certains candidats ont déjà annoncé la position qu'ils adopteront dimanche soir: Fabien Roussel fera barrage à Mme Le Pen. Valérie Pécresse ne donnera pas de consigne mais dira pour qui elle votera au second tour. Mais dans l'entourage de M. Macron, on admet que le réflexe du "front républicain", dont il avait bénéficié lors de son élection en 2017, n'est plus une évidence.
"Juste dire +no pasaran+ ne marchera pas cette fois", concède ainsi un conseiller de la majorité.
Donnée finie après son échec de 2017, inquiétée un temps par l'irruption sur la scène d'extrême droite d'Eric Zemmour, Mme Le Pen a petit à petit remonté la pente et redoré son image, allant jusqu'à se présenter, lors d'un dernier meeting vendredi, comme représentant "la France tranquille" face à un Emmanuel Macron "agressif" et "fébrile".
Par un effet de vase communicant, la fille et héritière politique du sulfureux tribun d'extrême droite Jean-Marie Le Pen est apparue comme "modérée" et "recentrée" grâce au discours ultra radical contre l'islam et l'immigration ressassé par M. Zemmour.
Elle a fait campagne sur le pouvoir d'achat, préoccupation principale des Français angoissés par l'inflation et la hausse des prix de l'énergie.
Face à elle, M. Macron est entré très tardivement en campagne, jouant sur son image de commandant en chef accaparé par les crises sanitaire et internationale. Une posture qui l'a servi dans un premier temps, mais qui a ensuite pu le faire apparaître comme déconnecté des préoccupations quotidiennes des Français.
Prenant conscience du danger, le président sortant a appelé à partir de début avril à la "mobilisation" contre une extrême droite "banalisée", et affirmé vendredi avoir "l'esprit de conquête plutôt que l'esprit de défaite".