FLEURY-MÉROGIS: Des bulletins, deux isoloirs, une urne: à Fleury-Mérogis, la plus grande maison d'arrêt d'Europe, des détenus ont commencé mercredi à voter pour l'élection présidentielle française, une première pour ce type de scrutin au sein même de la prison et pour nombre d'entre eux.
Au bâtiment D3 de cet établissement pénitentiaire, situé à une trentaine de kilomètres au sud de Paris, une centaine d'inscrits volontaires sur les listes électorales sont amenés depuis leur cellule dans la salle polycultuelle, transformée en bureau de vote.
Comme beaucoup, Sofiane, 28 ans, vote pour la première fois (les prénoms des détenus ont été modifiés).
« Je vous explique comment on fait? Vous prenez le bulletin de la personne pour qui vous votez et aussi d'autres bulletins, pour ne pas que je sache qui c'est », lui indique une directrice pénitentiaire.
Sofiane, survêtement gris clair et grands yeux verts, entre dans l'isoloir. « Il faut tirer le rideau, Monsieur, qu'on ne vous voie pas. »
Le détenu, incarcéré depuis un mois, admet voter surtout pour « sortir de sa cellule » où il est « enfermé 22 heures sur 24 ». « Avant, je ne votais pas car je n'avais pas que ça à penser: j'étais libre », rit-il jaune.
Si Ibrahim, maillot blanc et rouge sur le dos, apprécie également de « prendre l'air », il voit surtout « une chance à saisir » en cette matinée électorale.
En organisant ce vote, « l'Etat ne nous oublie pas, il pense à nous », estime ce détenu de 23 ans, incarcéré depuis sept mois.
« Si ça s'trouve dehors, je n'aurais même pas eu le temps de venir voter », poursuit Ibrahim, s'estimant « plus informé en prison »: « vu qu'on regarde H24 la télé, on sait ce qui se passe et ça donne plus envie d'aller voter ».
Douze candidats participent à l'élection présidentielle, dont le premier tour est prévu dimanche et le second le 24 avril. Le président sortant Emmanuel Macron est donné favori, mais l'écart avec la candidate d'extrême droite Marine Le Pen s'est réduit ces dernières semaines.
« Un charme »
Youssef, 26 ans, avait participé à la dernière présidentielle. Il était libre alors. Retrouver un bureau de vote en prison lui plaît.
Oui, « il y a des policiers » et « on est sous les ordres », mais « il y a un charme », assure-t-il: avec ce bureau, « ils nous font nous sentir comme à l'extérieur ».
« L'objectif n'est pas de faire oublier la détention, mais de rappeler aux détenus qu'ils sont citoyens, même en prison », souligne le directeur de l'établissement pénitentiaire, Franck Linares.
Voter constitue une étape de réinsertion et « permettra aux personnes détenues d'avoir déjà une première approche du bureau de vote » à leur sortie, abonde Léa Fory, référente élections.
Cette modalité de vote dite « par correspondance », au sein même des établissements pénitentiaires, existe depuis 2019. C'est donc la première fois qu'elle est proposée pour la présidentielle.
Elle complète deux autres modalités, le vote par permission de sortie et par procuration, plus compliquées dans leur application: lors de la présidentielle en 2017, sur 70 000 détenus environ, 809 avaient fait une procuration et 200 s'étaient vu accorder une permission de sortie.
Le vote par correspondance « accentue très largement la possibilité pour la population pénale de s'exprimer », selon Franck Linares, qui attend encore les chiffres d'inscrits consolidés.
Ces votes sont acheminés au ministère de la Justice, où ils seront dépouillés le jour du scrutin national, le 10 avril. Pour le deuxième tour, même programme.
A Fleury-Mérogis, occupée par 3.600 hommes et femmes détenus et où il y a « énormément de mouvements » entre « la promenade, l'infirmerie, le parloir... », l'enjeu de ce vote en détention est de « tenir compte des activités » des votants, détaille Etienne Lebrun, directeur du D3.
Avant le scrutin, dans toute la France, les établissements pénitentiaires ont mené des campagnes de sensibilisation à l'inscription aux listes électorales.
A Fleury-Mérogis, « les surveillants ont fait le premier pas », raconte Karim, qui vote pour la première fois à 38 ans. « Avant, j'étais un mauvais garçon, anti-société ».
Qu'espérer pour sa sortie, prévue en novembre? Un président qui donne « du travail pour les jeunes », répond-il. L'absence de travail, « c'est ce qui fait la délinquance », juge le détenu. « J'ai eu mon BTS cuisine mais j'avais pas de travail, c'est comme ça que j'ai dérivé ».