KHARTOUM : "Non au pouvoir militaire", "Non au gouvernement de la faim"! Par milliers, les Soudanais ont manifesté mercredi dans plusieurs régions du pays, et à Khartoum un jeune manifestant a été tué par balles, selon une source médicale.
Les protestataires contre le coup d'Etat du 25 octobre 2021 avaient choisi de manifester le 6 avril pour marquer un double anniversaire: celui de deux révoltes (1985 et 2019) qui à 34 ans d'écart ont fait tomber deux présidents putschistes.
Depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux, les militants au Soudan, englué dans une grave crise politique et économique depuis le putsch du général Abdel Fattah al-Burhane le 25 octobre, promettent "la tempête" ou "le séisme du 6 avril".
Ils veulent, disent-ils, en finir avec les généraux – quasiment toujours au pouvoir en 66 ans d'indépendance – et surtout la vie chère, avec une livre soudanaise en chute libre et une inflation à plus de 250%.
En cette journée de ramadan, décrétée fériée par le pouvoir militaire et sous une chaleur écrasante, les manifestants sont sortis dans le Sud, l'Est côtier ou le Darfour, une région de l'Ouest ravagée par les guerres, ont rapporté des témoins à l'AFP.
A Khartoum, des défilés ont été accueillis par des salves de grenades lacrymogènes tirées par les forces de sécurité, selon les témoins. Mêmes tirs à Omdourman, sa banlieue, et à Wad Madani (sud).
Les forces de sécurité "ont pris d'assaut" un hôpital dans la capitale soudanaise, y tirant des grenades lacrymogènes et "provoquant des problèmes respiratoires chez des médecins et des patients", a affirmé un syndicat de médecins prodémocratie.
Dans la soirée, ce syndicat annonçait la mort d'un protestataire de 19 ans.
Cette mort porte à 94 le bilan des manifestants tués depuis le putsch du 25 octobre.
«Avril, mois des victoires»
"Avril est le mois des victoires pour les Soudanais", s'enthousiasme Jaafar Hassan, des Forces de la liberté et du changement (FLC), coalition civile anti-Béchir mais qui a volé en éclats avec le putsch.
Le 6 avril 1985, la rue poussait l'armée à évincer le président Jaafar al-Nimeiri, lui-même un officier. Le 6 avril 2019, la foule entamait un sit-in et forçait les généraux à mettre quelques jours plus tard un point final à 30 ans de dictature du général Omar el-Béchir.
Trois ans plus tard jour pour jour, "on veut dégager les putschistes et ne plus jamais vivre de coups d'Etat", explique à l'AFP le manifestant Badoui Bachir à Khartoum.
Les autorités ont fermé dès mardi soir à Khartoum les ponts menant vers les banlieues et déployé des troupes aux abords du siège de l'armée et du palais présidentiel, les deux QG du général Burhane, qui concentrent la fureur populaire.
Depuis octobre, la répression des anti-putsch a fait 93 morts et des centaines de blessés, les rafles de militants ont continué, selon des médecins pro-démocratie.
Avant les manifestations de mercredi, Washington a appelé à "ne pas recourir à la violence" et à "punir les responsables d'abus".
Pain, électricité, essence
En rétorsion au putsch, l'Etat a perdu toute l'aide internationale - soit 40% de son budget.
Depuis, le prix du pain a flambé, celui de l'électricité a été multiplié par six et celui de l'essence varie d'une heure à l'autre...
D'ici fin 2022, estime l'ONU, près de la moitié des 45 millions de Soudanais seront en insécurité alimentaire dans le pays, l'un des plus pauvres au monde brièvement sorti de décennies d'embargo après la chute de Béchir.
Dans le même temps, le putsch a entraîné un vide sécuritaire, qui a favorisé pillages, conflits tribaux, attaques armées et viols dans différentes régions.
Le général Burhane, lui, continue de soutenir qu'il ne "remettra le pouvoir qu'à une autorité de confiance et élue qui conviendrait à tous".
Et il menace de manière de plus en plus tonitruante d'expulser l'émissaire de l'ONU qui plaide pour des négociations et un retour au partenariat militaires-civils.
En face, chez les civils, l'idée d'une nouvelle alliance avec les militaires a fait long feu.
En juin 2019, des hommes en treillis ont tué au moins 128 manifestants qui réclamaient un pouvoir civil et non les généraux qui avaient remplacé Béchir.
"Nous avons essayé le partenariat avec les militaires et il a échoué, nous ne ferons pas deux fois la même erreur", affirme M. Hassan, des FLC.