STRASBOURG: Associer des heures d'activité au versement du RSA: la proposition, qui figure au programme de plusieurs candidats à l'élection présidentielle, est déjà expérimentée depuis quelques années en Alsace, pour un résultat très limité.
Valérie Pécresse, Emmanuel Macron et Nicolas Dupont Aignan proposent tous les trois de réformer le versement du RSA pour le conditionner à une activité.
"Il y aura dans cette réforme l'obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaines pour une activité permettant d'aller vers l'insertion professionnelle", exposait le chef de l'Etat lors de la présentation de son projet.
Valérie Pécresse juge que cette proposition constitue une "pâle copie" de la sienne: elle promet d'instaurer "une obligation de 15 heures d'activité par semaine pour tout bénéficiaire du RSA".
Sur le même créneau, Nicolas Dupont-Aignan souhaite "imposer pour toute personne au RSA en état de travailler une journée de mission d'intérêt général par semaine pour la collectivité".
En Alsace, un dispositif présentant des similitudes existe depuis plusieurs années: en 2016, le Conseil départemental du Haut-Rhin avait voté l'obligation pour tout bénéficiaire du RSA d'effectuer 7 heures de bénévolat par semaine, avant de remplacer l'obligation par une incitation. Le Conseil départemental du Bas-Rhin a développé une politique similaire, baptisée "C'est des Volontaires 67".
Cinq ans après, au 31 décembre 2021, seuls 1 298 allocataires du RSA sur 43 000 en Alsace sont engagés dans le programme de bénévolat, soit seulement 3% d'entre eux, malgré le volontarisme de Frédéric Bierry, président LR de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA - qui a fusionné en 2021 les deux Conseils départementaux), défenseur d'une stratégie "de retour à l’emploi pour tous".
«Pied à l'étrier»
Si la CEA ne communique ni sur le budget consacré au développement de ce programme, ni sur ses effets sur l'insertion professionnelle des bénéficiaires, les acteurs associatifs chargés de mettre en œuvre cette politique estiment qu'elle offre à certains allocataires l'opportunité de "mettre le pied à l'étrier".
"Ca permet de retrouver de la confiance en soi, de valoriser ses compétences, de se remobiliser", souligne Léa Bally, assistante sociale au CIDFF, association qui accompagne 12 allocataires dans ce programme.
"On voit des changements de comportement, des personnes introverties, qui exprimaient peu de choses, deviennent plus détendues, plus ouvertes, font des propositions, ça les remet dans une position d'acteur de leur projet", complète-t-elle.
Elle estime cependant que le dispositif n'est pas accessible à tous. "Les personnes qui vivent des situations difficiles, des problèmes familiaux, de santé, de logement, ne sont pas forcément en capacité" d'y prendre part, affirme-t-elle.
Cette position est très largement répandue chez les travailleurs sociaux, qui s'inquiètent d'une éventuelle réforme.
"Si c'est systématisé, c'est dangereux", soutient une éducatrice spécialisée d'une autre association. "Une proportion importante d'allocataires présente des ruptures professionnelles bien sûr, mais aussi affectives, familiales, sociales, et sont dans des situations psychologiques incompatibles avec une activité régulière. Ca ne peut s'appliquer qu'à un petit nombre".
«Très violent»
Suivie par une association, Emilie, jeune femme de 30 ans, avait été "fortement incitée" à effectuer des missions de bénévolat en 2019. Mais l'expérience a vite tourné court.
"La raison pour laquelle je n'arrive pas à travailler, c'est parce que j'ai des problèmes mentaux. Voilà. Faire du bénévolat ne résout pas magiquement ces problèmes, la difficulté reste la même", explique-t-elle, encore émue à l'évocation de cet épisode.
"Je trouve ça très violent cette histoire de conditionner un revenu à ça. Si ça se passe mal, qu'est-ce que vous faites ? Vous empêchez les gens de manger ?", interroge-t-elle.
Christian, suivi dans la même association, voit les choses autrement. "Ca fait 25 ans que je suis hors du monde social", expose-t-il, évoquant un "passif de toxicomane", et des problèmes familiaux.
"Aujourd'hui, je serais incapable de travailler en entreprise. Je ferais peut être un jour ou deux, mais je ne sais pas si je ferais le troisième. Pour revenir vers le monde professionnel, je vais devoir passer par le bénévolat", estime-t-il, sans être sûr d'y arriver.
Dans un rapport publié en janvier, la Cour des Comptes insiste, elle, sur l'importance d'améliorer, au niveau national, le suivi socio-professionnel des titulaires du RSA, jugé "globalement faible", malgré le "contrat d'engagements réciproques" que doit normalement signer chaque allocataire avec son département ou Pôle-Emploi.
Sa vision est partagée par les allocataires eux-mêmes: ils sont trois fois plus nombreux à réclamer "un meilleur suivi" qu'une "augmentation de l'allocation".