PARIS: Elena (le prénom a été changé), citoyenne russe habitant en France depuis huit ans et salariée d'une entreprise française, a dû batailler avec sa banque pour que son salaire, normalement versé le 25 du mois, puisse enfin arriver sur son compte cinq jours plus tard. La faute aux sanctions liées à l'invasion russe en Ukraine.
"J'ai d'abord essayé de faire un virement de compte à compte, sans succès", explique-t-elle, jointe mercredi par l'AFP, "un message m'indiquant qu'un de mes deux comptes était bloqué pour crédit impayé".
Craignant une tentative de fraude, elle contacte sa banque qui lui explique que dorénavant, chacune des opérations doit être validée manuellement.
Anastasia (prénom changé), travaillant pour le secteur public en France, partage une déconvenue similaire: son salaire présent sur son compte lundi matin disparaît 24 heures plus tard puis revient, après un certain nombre d'échanges avec son agence.
Même scénario pour Katia (prénom changé), en France depuis neuf ans et dont le compte joint avec son mari français a lui aussi été bloqué plusieurs jours, "sans notification aucune de la part de la banque", précise-t-elle.
Dans ces trois cas, il s'agit de femmes ayant ouvert des comptes à la Société Générale en fournissant à l'époque des documents d'identité russes.
Plusieurs témoignages similaires ont été partagés sur les réseaux sociaux ces derniers jours, pointant du doigt surtout Société Générale, mais aussi BNP Paribas et Crédit Mutuel/CIC. Un groupe de discussion sur la messagerie cryptée Telegram a même été constitué.
A ceux-là s'ajoutait mercredi celui de la patronne de la chaîne d'information russe RT France, qui accuse Société Générale d'avoir bloqué les comptes bancaires de certains employés russes en France.
"La banque Société Générale a bloqué les comptes privés (sur lesquels sont versés) les salaires de plusieurs de nos collaborateurs russes en France", a accusé Xenia Fedorova, sur sa chaîne Telegram en russe. "C'est une véritable discrimination sur la base de la nationalité, la France touche de nouveau le fond", a-t-elle déclaré.
Des vérifications fastidieuses
Société Générale "ne bloque pas les comptes de ses clients sur le seul critère de nationalité", a répondu la banque dans un communiqué transmis à l'AFP.
Elle se dit "consciente que l’application de ces mesures et des vérifications complémentaires peuvent être contraignantes pour [ses] clients" et assure "les réaliser avec célérité".
Plusieurs centaines de citoyens russes, mais aussi biélorusses, font depuis le début de la guerre en Ukraine l'objet de sanctions de l'Union européenne, des États-Unis ou encore du Royaume-Uni. Leurs avoirs sont gelés. Charge à différentes professions, comme celles de l'immobilier, de la banque ou du droit, de s'assurer que les sanctions sont bien appliquées.
Les sanctions potentielles en cas de manquement sont très lourdes. BNP Paribas avait par exemple été condamnée à payer une amende colossale de 8,9 milliards de dollars pour avoir fait transiter de 2004 à 2012 par les États-Unis de l'argent au nom de clients soudanais, cubains et iraniens.
"Les vérifications induites par les décisions des autorités publiques européennes peuvent entraîner des retards dans le traitement des opérations", indique un porte-parole du Crédit Mutuel, assurant "faire le maximum pour en limiter les effets sur les clients dès lors qu'[il s'est assuré] qu'ils ne sont pas concernés par ces contraintes règlementaires".
Les vérifications étant manuelles et non automatiques, cela allonge encore davantage la procédure.
BNP Paribas précise de son côté qu'elle "continue d'accompagner les ressortissants russes en France, pour ouvrir un compte ou dans la gestion de leurs besoins de banque au quotidien", tout en exerçant son "devoir de surveillance constante et en veillant au respect des obligations réglementaires qui s'imposent à l’ensemble des établissements bancaires".
La Banque de France a par ailleurs mis en place un dispositif d'ouverture de compte à destination des réfugiés ukrainiens, sous réserve de pouvoir généralement fournir un document officiel d’identité avec photographie.