PARIS: Pour la première fois de son histoire, la première chaîne privée française TF1 n'organisera pas de grande soirée électorale après l'annonce des résultats du premier tour de la présidentielle le 10 avril: une illustration parfaite du désintérêt suscité par une morne campagne électorale, éclipsée par la guerre en Ukraine.
Alors que l'élection reine en France suscite toujours analyses et grands débats jusque tard dans la soirée, TF1 diffusera, une heure et demie après les résultats, une comédie culte des années 1990, « Les Visiteurs ». La chaîne justifie ce choix par le fait que « les goûts et attentes des téléspectateurs ont évolué » en raison « de la multiplication de l'offre » de débats et commentaires sur les chaînes d'information.
A moins de deux semaines du premier tour, la campagne, qui n'a jamais vraiment décollé, se déroule dans une indifférence préoccupante, de nombreux analystes s'inquiétant sur l'état du débat démocratique.
Le président sortant, Emmanuel Macron, est entré très tardivement dans l'arène face à onze rivaux portant les couleurs d'une gauche éclatée, d'une droite à la peine et d'une extrême droite divisée. Il a refusé tout débat avec ses concurrents avant le premier tour.
Son statut de favori (28% d'intentions de vote au premier tour contre 21% à la candidate d'extrême droite Marine Le Pen) ôte le suspense du scrutin, même si des surprises ne sont jamais à exclure, rappellent les sondeurs.
Selon une étude BVA publiée vendredi, 75% des électeurs ont l'intention de voter, légèrement moins qu'en 2017, où l'abstention était déjà très importante.
« C'est vrai, on risque d'avoir une baisse de la participation à l'élection présidentielle pour différentes raisons, la destruction des partis d'un côté et l'évidence que Macron va gagner de l'autre », analyse Gérard Grunberg, politologue et directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
« Les gens sont de plus en plus utilitaristes, ils votent quand ça les intéresse et on sait bien que plus c'est serré, plus les gens votent, donc la victoire annoncée d'Emmanuel Macron ne mobilise pas », souligne-t-il.
Derniers jours cruciaux
Dans une France épuisée par deux années de pandémie et très inquiète du conflit en Ukraine, l'élection semble être passée au second plan.
D'autant que le match Macron - Le Pen du second tour de 2017 semble en voie de se rééditer, la candidate d'extrême droite arrivant derrière le président sortant dans les intentions de vote, même si le candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon (crédité actuellement de 14% des suffrages) est en train de remonter.
En meeting dimanche à Marseille (sud-est), M. Mélenchon, qui avait raté de justesse la marche du second tour en 2017, a mis en garde contre « un second tour low-cost » entre M. Macron et Mme Le Pen. « J'entends ceux qui disent ‘C'est tous les mêmes, on va pas aller voter’, eh bien réfléchissez bon sang de bois! », s'est-il exclamé en exhortant les électeurs de gauche, représentés par une myriade de candidats, à »un vote efficace ».
A droite, la candidate Valérie Pécresse, qui oscille entre 10 et 11% dans les intentions de vote, essaye de relancer une campagne enlisée et a toujours l'espoir de faire mentir »le scénario écrit d'avance » d'un second tour Macron-Le Pen.
Quatre électeurs sur dix sont encore incertains du bulletin qu'ils mettront dans l'urne.
Selon la directrice Opinion de BVA Adélaïde Zulfikarpasic, « peut-être tout va se jouer dans les deux prochaines semaines ». « J'ose espérer qu'il va y avoir une accélération, que les hésitants vont se mettre à lire les programmes, les comparer », ajoute-t-elle.
Dans un éditorial mardi, le quotidien Le Monde mettait en garde contre une « dangereuse apathie » du débat démocratique dans une période dangereuse, marquée par le dérèglement climatique, l'inflation, la guerre en Ukraine...
« Quand je vois ce niveau d'intérêt pour la campagne si faible, avec un quart des Français qui pourraient changer d'avis, quand je vois cette tectonique des plaques dans l'offre électorale ... les choses peuvent bouger » dans les deux dernières semaines, estimait en début de semaine le politologue Frédéric Dabi sur la télévision Public Sénat.