DUBAÏ: Sabah al-Binali est connu dans le monde arabe pour être un négociateur «sans détour». Son CV présente une longue liste de transactions très médiatisées aux Émirats arabes unis (EAU) et en Arabie saoudite. Mais son tout dernier engagement pourrait bien être le plus important.
Al-Binali est originaire d'Abu Dhabi, mais il a une solide lignée familiale en Arabie saoudite. Il vient d’être nommé directeur pour la région du Golfe de la société de capital-risque israélienne OurCrowd, dont le chiffre d'affaires s'élève à 1,5 milliard de dollars (1,27 milliard d’euros). OurCrowd s'est associé à Al Naboodah, l'une des entreprises familiales les plus connues dans la région.
«Mon expérience, ma vie professionnelle, c'est créer des entreprises et faire des investissements – créer de la valeur. Il ne s'agit pas seulement de collecter de l'argent», explique-t-il à Arab News.
Le partenariat OurCrowd-Al Naboodah n'aurait pas été possible il y a à peine quelques semaines. C'est l'un des tout premiers fruits de la normalisation des relations entre les EAU et Israël dans le cadre de l'accord d'Abraham, et l’accomplissement le plus important à ce jour dans le secteur financier.
Un fonds d'investissement a été créé dans le cadre de l'accord, avec au départ 100 millions de dollars (85 millions d’euros) de capitaux injectés par Al Naboodah et par quelques autres entrepreneurs du Golfe. Phoenix Capital, l'unité de développement commercial d'Al Naboodah, cherchera à établir une voie à double sens dans le domaine des investissements entre Israël et les Émirats arabes unis, et avec les 220 entreprises faisant partie du portefeuille d'OurCrowd dans le monde entier.
«Je pense que cela prouve que l'une des premières entreprises vers laquelle Al Naboodah s'est tourné était OurCrowd. Cela prouve en effet que le langage des affaires est universel. Les deux pays ont déjà travaillé avec le reste du monde. Ce n'est pas la première fois qu'un marché s'ouvre à l’international depuis les Émirats arabes unis.»
«La mentalité entrepreneuriale et commerciale est solide dans les deux pays, et une fois la normalisation politique réalisée, on remarque à quel point les choses peuvent évoluer rapidement. Les deux parties possèdent certes une grande expérience dans la conclusion d'accords au-delà des frontières», a affirmé M. Al-Binali.
Il estime que les possibilités de relations d'investissement mutuellement profitables entre le Golfe et Israël sont nombreuses. «Ces opportunités existent en Israël comme dans les EAU, dans tous les domaines de l'investissement, du développement des affaires, de la recherche et du développement, de l'innovation et du commerce. Les deux pays peuvent être à la fois l'origine et la destination de l'investissement», ajoute-t-il. La valeur finale du fonds pourrait atteindre des «multiples» de la somme initiale de 100 millions de dollars, explique M. Al-Binali.
Certaines synergies de fond entre les EAU et Israël rendent la connexion très intéressante. «Les gouvernements des EAU et du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ont créé une excellente infrastructure pour permettre aux entreprises étrangères de se développer dans la région. Le gouvernement israélien a créé une «start-up nation» [NDLR: une nation où chacun peut créer une start-up] à la pointe de la technologie mondiale. C'est une adéquation naturelle», ajoute-t-il.
Quelques jours seulement se sont écoulés depuis qu'il a pris son poste, une décision prise un mois après l'accord israélo-américain. Naturellement, il a beaucoup à faire pour déterminer l'affectation des fonds d'investissement. Cependant, trois grands axes de travail ont déjà été définis.
L'un d'eux concerne le vaste portefeuille international d’OurCrowd. Selon lui, « OurCrowd est une plate-forme mondiale – 40 % de ses investissements se font en dehors d'Israël, aux États-Unis, en Australie et à Singapour. L'une des plus grandes licornes [NDLR: une licorne est une start-up non cotée en Bourse dont la valorisation, basée sur un potentiel de croissance très important, dépasse le milliard de dollars.] récentes a vu le jour à Singapour ».
À tout cela vient s'ajouter l'expansion des entreprises du portefeuille existant et futur d'OurCrowd. «Ces entreprises souhaitent développer leurs activités aux EAU, à Bahreïn et dans d'autres pays quand ces derniers décideront de normaliser les liens avec Israël».
Pour M. Al-Binali, «c’est tout à fait logique. Aux EAU, les sociétés ne sont pas soumises à l'impôt sur le revenu, alors qu'en Israël, les impôts sont lourds. Nos lois régissant le travail et le séjour sont très favorables et ouvertes. Nous sommes une nation accueillante qui a reçu des gens du monde entier pendant des décennies. C'est donc simple.»
«Le troisième axe de travail consiste à soutenir les start-up et les entrepreneurs dans plusieurs pays, dont les EAU et le Bahreïn, où les relations sont normalisées. Vous remarquerez que nous envisageons toutes les possibilités et je suis sûr qu'il y en aura beaucoup», ajoute-t-il.
M. Al-Binali évoque les secteurs auxquels le nouveau fonds pourrait s'intéresser. Il estime que la technologie est un catalyseur dans plusieurs domaines: la médecine, l'agriculture, la sécurité nationale, mais aussi la cybersécurité et la technologie financière. «En particulier dans le domaine de la technologie financière, notamment parce qu'Israël dispose de la technologie et que les EAU constituent un centre financier», précise-t-il.
À titre d’exemple d'entreprise «allant dans l'autre sens», il cite l'accord récent de DP World avec la Banque Leumi pour développer la logistique portuaire dans le pays. Cependant, il existe de nombreux autres secteurs potentiels.
Dans l’hôtellerie et le tourisme, il voit ainsi comme un vaste marché prometteur les voyages que souhaitent entreprendre les chrétiens occidentaux vers le Moyen-Orient en passant par Jérusalem et Dubaï.
Le secteur de la défense est rendu plus complexe par les lois et les traités internationaux qui régissent le commerce des armes, mais, comme le souligne M. Al-Binali, il ne s'agit pas seulement d'armes de guerre.
«La cybertechnologie ne fait pas nécessairement partie du secteur de la défense. Elle peut être utilisée aussi bien par le secteur financier que par les entreprises de télécommunications. Il ne s’agit pas nécessairement de la vente d'armes ou d'armements, nous parlons de technologie», explique-t-il.
La technologie des drones est un autre exemple d’usages multiples. «Les drones peuvent être utilisés à de nombreuses fins tels que l’entretien de pipelines ou les études géologiques. Ils ne concernent pas uniquement le domaine militaire et la sécurité nationale.»
«Les petits drones peuvent permettre à la défense civile d'avoir une vue instantanée de ce qui se passe lors d'un grand incendie dans un bâtiment. Ces technologies peuvent être utilisées dans l'armée comme elles peuvent être adaptées au contexte civil», poursuit-il.
OurCrowd a été fondée, il y a sept ans, par l'entrepreneur américano-israélien Jonathan Medved, avec un avantage technologique certain. La société comprend Virgin Hyperloop One, la technologie de transport rapide développée aux États-Unis. Néanmoins, elle envisage également de réaliser de grands projets au Moyen-Orient, l'une des sociétés de son portefeuille affichant un intérêt évalué à 3,8 millions de dollars (3,2 millions d’euros).
Al Nabodah est l'une des plus anciennes entreprises familiales des Émirats arabes unis, dont les activités traditionnelles sont la construction, l'immobilier, la logistique et le transport. Selon M. Al-Binali: «Al Naboodah est une société très connue dans le monde de l'investissement et des affaires. Toute personne souhaitant faire des affaires à Dubaï ou aux Émirats arabes unis connaît Al-Naboodah. Ils ont des contacts importants à travers le monde».
En quoi la culture commerciale israélienne est-elle comparable ou au contraire différente de celle des Émirats arabes unis?
«Elle est similaire dans la mesure où elle est fondée sur la relation, la confiance, et le contact – étayé par des documents juridiques bien entendu. On retrouve la même culture du contact comme point de départ de la relation. Je l’appelle «la culture moyen-orientale». Pour ce qui est de la communication, je comparerais les Israéliens aux Russes, avec lesquels j'ai déjà collaboré. Le langage est beaucoup plus direct.»
«Mais les Israéliens nous comprennent parce qu'ils ont traité avec plusieurs pays qui ont la même culture, et je comprends le style de communication des Israéliens. Il ressemble à celui des Russes, et est assez semblable à celui des New-Yorkais», ajoute-t-il.
Al Naboodah est également présent à Riyad et a réalisé de nombreux projets en Arabie saoudite. Si M. Al-Binali estime qu'il est trop tôt pour évoquer un rapprochement entre le Royaume et Israël, il est convaincu que les opportunités commerciales sont également nombreuses dans ce pays.
«Nous ne pouvons pas aborder concrètement la question avant que l'Arabie saoudite ne décide si elle veut ou non normaliser. Mais je peux dire que nous verrions les affaires se développer aussi rapidement qu’elles l’ont fait ici, car les Saoudiens présentent les mêmes caractéristiques.»
«Les institutions gouvernementales saoudiennes ont l'habitude de traiter avec des entreprises venant du monde entier. Les familles d'affaires saoudiennes sont aussi très ouvertes sur le monde. Les mêmes facteurs qui me font croire que les premiers pas vers le succès du partenariat EAU-Israël existent aussi en Arabie saoudite –à la différence que le Royaume a une économie beaucoup plus importante.»
«Quand les relations seront normalisées – si elles le sont –, je suis convaincu que cela apportera une énorme valeur ajoutée sur le plan des affaires, en Arabie saoudite comme en Israël, mais aussi aux EAU, et au Bahreïn. Plus le CCG sera considéré comme un grand marché commun, plus l'intérêt sera fort», affirme M. Al-Binali.
«Certains de mes amis du monde des affaires à New York me disent qu'ils sont prêts à se lancer dans n'importe quel projet de coopération entre Israël et les Émirats arabes unis. Pour eux, il s'agit d'une voie d'affaires vierge qui peut rapporter d'énormes dividendes», conclut-il.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com