AJACCIO, France: "Gloria a tè Yvan": en Corse, le village de Cargèse va enterrer vendredi après-midi le militant indépendantiste Yvan Colonna, enfant du pays, mortellement agressé par un codétenu alors qu'il purgeait sa peine pour l'assassinat du préfet Claude Erignac.
Arrivé de Marseille mercredi soir, 48 heures à peine après l'annonce du décès, le cercueil, accueilli par une haie d'honneur à Ajaccio, doit quitter le funérarium vendredi midi pour rejoindre le fief familial des Colonna. Yvan, décédé à 61 ans, avait été condamné par trois fois à la perpétuité pour l'exécution par balles du préfet Erignac, en février 1998 à Ajaccio. Un crime qu'il a toujours nié.
Organisées à Cargèse, bourgade de 1 300 habitants aux racines gréco-latines, à 50 km d'Ajaccio, les funérailles de l'ancien berger se dérouleront à 15H00 dans l'église latine, face à l'autre église du village, grecque celle-là. Et c'est un archimandrite, prêtre capable d'officier dans les rites latin et byzantin, le père Antoine Forget, dit père Tony, qui conduira la cérémonie.
"Un frère diacre dira quelques mots sur le défunt", a expliqué jeudi ce prêtre à l'AFP, ignorant encore si des membres de la famille Colonna prendront également la parole dans la petite église capable d'accueillir 150 personnes au maximum.
Devant l'entrée de l'église, blanche et jaune, des portraits au pochoir d'Yvan Colonna sur des planches en bois encadraient jeudi la porte d'entrée, accompagnés d'une cinquantaine de cierges.
Une foule d'habitants et de défenseurs de l'indépendantiste corse est attendue pour lui rendre un dernier hommage.
"Il jouait au foot avec mes enfants, c'est lui qui les entraînait au stade. Il était comme un membre de ma famille", a témoigné auprès de l'AFP une vieille femme du village, requérant l'anonymat: "Quand j'ai appris ce qui lui était arrivé en prison, j'étais au volant. Je me suis arrêté et me suis dit: +c'est pas possible+".
En témoignage de "solidarité", le parti Femu a Corsica, de Gilles Simeoni, président autonomiste du conseil exécutif de l'île, a appelé à mettre tous les drapeaux en berne et à observer une minute de silence et cesser toute activité à 15h00.
«Insulte pour la famille Erignac»
La mise en berne mardi par la collectivité de Corse des trois drapeaux --corse, français et européen-- ornant sa façade avait été sévèrement critiquée par le président-candidat Emmanuel Macron, qui avait dénoncé "une faute". Jeudi soir, sur France 5, Gérald Darmanin, désormais "Monsieur Corse" du gouvernement, y a vu lui "une sorte d'insulte pour la famille Erignac, pour l'Etat français, pour les représentants de l'Etat".
De son côté, l'association du corps préfectoral a appelé jeudi "au respect" et à "la retenue en ce temps de deuil".
L'agression en prison d'Yvan Colonna, le 2 mars, par un détenu condamné pour "association de malfaiteurs terroriste", alors qu'il demandait depuis des années à purger sa peine en Corse mais se heurtait à une fin de non-recevoir de l'Etat, a soulevé une vague de colère dans l'île.
Le drame a aussi fait ressurgir la question de l'autonomie pour cette île-région de 340.000 habitants.
Au plus fort de la mobilisation contre l'"Etat français assassin", le principal mot d'ordre des manifestants, 7.000 personnes selon les autorités, 15 000 selon les organisateurs, ont manifesté à Bastia, le 13 mars. Loin des 40.000 qui avaient envahi les rues corses après l'assassinat du préfet Erignac.
Ces manifestations émaillées de violences et qualifiées d'"émeutes" par les autorités avaient finalement poussé le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin à venir en Corse, où il s'est engagé à ouvrir des discussions "vers un statut d'autonomie restant à préciser". Une démarche qui a permis de ramener le calme.
Mais pas forcément d'éteindre la colère. Au centre du village de Cargèse, qui surplombe la mer, une grande banderole "Statu Francese assassinu" avait encore été déployée jeudi.