L'arsenal nucléaire tactique, une option pour Moscou ?

Un drapeau russe flotte devant le croiseur lance-missiles russe Pyotr Velikiy (Pierre le Grand) amarré dans le port chypriote de Limassol, le 12 février 2014. (Photo, AFP)
Un drapeau russe flotte devant le croiseur lance-missiles russe Pyotr Velikiy (Pierre le Grand) amarré dans le port chypriote de Limassol, le 12 février 2014. (Photo, AFP)
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Publié le Mercredi 23 mars 2022

L'arsenal nucléaire tactique, une option pour Moscou ?

  • L'hypothèse est revenue sur le tapis peu après le déclenchement des hostilités, lorsque Vladimir Poutine a indiqué avoir ordonné à ses généraux de « mettre les forces de dissuasion de l'armée russe en régime spécial d'alerte au combat»
  • Certains experts et responsables militaires, en particulier à Washington, affirment que Moscou a abandonné la doctrine soviétique de ne pas utiliser l'arme suprême en premier

PARIS : La question revient régulièrement depuis le début de l'invasion de l'Ukraine. La Russie peut-elle utiliser ses armes nucléaires tactiques, sur une zone très limitée ? Le précédent serait extrêmement dangereux et briserait un tabou qui tient depuis 1945.

L'hypothèse est revenue sur le tapis peu après le déclenchement des hostilités, lorsque Vladimir Poutine a indiqué avoir ordonné à ses généraux de "mettre les forces de dissuasion de l'armée russe en régime spécial d'alerte au combat".

Et elle reste dans la liste des innombrables scénarios de cette guerre, notamment dans les possibilités de sortie par le haut pour l'armée russe, qui a besoin de gains pour négocier mais qui reste à la peine sur le terrain face à la résistance tenace des forces ukrainiennes depuis un mois. 

Une arme nucléaire tactique, plus petite en charge explosive que l'arme nucléaire stratégique, est en théorie destinée au champ de bataille et transportée par un vecteur ayant une portée inférieure à 5 500 km.

"Au niveau vertical, il y a un vrai risque. Ils ont désespérément besoin de remporter des victoires militaires pour les transformer en levier politique", explique à l'AFP Mathieu Boulègue, du centre de réflexion britannique Chatham House.

"L'arme chimique ne changerait pas la face de la guerre. Une arme tactique nucléaire qui raserait une ville ukrainienne, oui. C'est improbable mais pas impossible. Et là ce serait 70 ans de théorie de dissuasion nucléaire qui s'effondrent".

Du risque à la réalité, le pas reste immense. 

La doctrine russe est sujette à débat. Certains experts et responsables militaires, en particulier à Washington, affirment que Moscou a abandonné la doctrine soviétique de ne pas utiliser l'arme suprême en premier. Moscou aurait désormais dans ses options la théorie de "l'escalade pour désescalader": utiliser l'arme dans des proportions limitées pour forcer l'OTAN à reculer.

1 588 têtes déployées

Mais les récentes déclaration russes ont jeté le doute sur cette interprétation. Moscou n'utilisera l'arme nucléaire en Ukraine qu'en cas de "menace existentielle" contre la Russie, a ainsi assuré mardi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov sur CNN, citant un des points de la doctrine officielle russe.

"Nous n'avons rien vu qui nous conduise à conclure que nous devons changer notre posture stratégique de dissuasion", a réagi son homologue du Pentagone, John Kirby. 

Techniquement, Moscou est équipée. Selon le très respecté Bulletin of the Atomic Scientists, "1 588 têtes nucléaires russes sont déployées", dont 812 sur des missiles installés à terre, 576 sur des sous-marins et 200 sur des bombardiers.

Un peu moins de 1 000 autres têtes sont stockées. 

Pour Pavel Luzin, analyste du groupe de réflexion Riddle basé à Moscou, la Russie pourrait utiliser une arme nucléaire tactique "pour démoraliser un adversaire, pour empêcher l'ennemi de continuer à se battre". 

L'objectif est d'abord "démonstratif", ajoute-t-il à l'AFP. "Mais si l'adversaire veut toujours se battre ensuite, elle peut être employée de manière plus directe".

De fait, les menaces ont beau être relativisées en haut lieu, elles font leur effet: le risque ne peut pas être totalement écarté. 

«Rubicon initial franchi»

"En cas d'enlisement ou d'humiliation, on peut imaginer une escalade verticale. Cela fait partie de la culture stratégique russe d'aller dans l'intimidation et l'escalade pour obtenir la désescalade", rappelle un haut gradé français sous couvert de l'anonymat. "Poutine n'est pas entré dans cette guerre pour la perdre". 

Mais d'autres veulent croire que le tabou absolu demeure. Si Vladimir Poutine décide d'anéantir ne serait-ce qu'un village ukrainien pour montrer sa détermination, la zone serait potentiellement exclue de toute vie humaine pour des décennies.

"Le coût politique serait monstrueux. Il perdrait le peu de soutien qui lui reste. Les Indiens reculeraient, les Chinois aussi", assure à l'AFP William Alberque, de l'International Institute for Strategic Studies (IISS). "Je ne pense pas que Poutine le fera".

Reste qu'en dehors même du dossier ukrainien, la Russie ne jouirait pas aujourd'hui d'une telle stature sans l'arme nucléaire.

Elle ne constituerait pas une menace d'une telle ampleur avec ses seules forces conventionnelles, qui témoignent depuis un mois d'une immense capacité de destruction mais aussi de réelles faiblesses tactiques, opérationnelles et logistiques.

Dans les chancelleries occidentales, les certitudes n'ont plus cours.

"Nous n'avons aucune raison de penser que Poutine n'a pas l'intention d'aller au bout et qu'il ne va pas utiliser tous les moyens pour y parvenir (...), éventuellement par l'emploi d'armes interdites", estime un diplomate occidental, évoquant les armes chimiques.

"Le rubicon initial a été franchi" lors de l'invasion de l'Ukraine, "il n'y a plus vraiment de limites", admet-il. Mais il espère que tienne ce "tabou qui dure depuis le 9 août 1945" et la bombe sur Nagasaki.


L'Allemagne aux urnes, sous pression de l'extrême droite et de Trump

Le chancelier allemand Olaf Scholz, candidat principal à la chancellerie du parti social-démocrate allemand SPD, vote pour les élections générales dans un bureau de vote à Potsdam, dans l'est de l'Allemagne, le 23 février 2025. (Photo par RALF HIRSCHBERGER / AFP)
Le chancelier allemand Olaf Scholz, candidat principal à la chancellerie du parti social-démocrate allemand SPD, vote pour les élections générales dans un bureau de vote à Potsdam, dans l'est de l'Allemagne, le 23 février 2025. (Photo par RALF HIRSCHBERGER / AFP)
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  • Surveillé dans le monde entier, ce scrutin va doter la première puissance européenne d'un nouveau parlement afin d'affronter les défis qui ébranlent son modèle de prospérité et inquiètent la population.
  • Selon les sondages, l'extrême droite de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) peut espérer obtenir au moins 20 % des voix, soit deux fois plus qu'en 2021 et un résultat record.

BERLIN : Alors qu'elle est déstabilisée par les crises, l'Allemagne vote dimanche pour des élections législatives où l'opposition conservatrice part largement favorite après une campagne bousculée par le retour au pouvoir de Donald Trump et l'essor de l'extrême droite.

Surveillé dans le monde entier, ce scrutin va doter la première puissance européenne d'un nouveau parlement afin d'affronter les défis qui ébranlent son modèle de prospérité et inquiètent la population.

« Nous traversons une période très incertaine », constatait Daniel Hofmann, rencontré à la sortie d'un bureau de vote à Berlin.

Selon cet urbaniste de 62 ans, qui se dit préoccupé par la « sécurité européenne » sur fond de guerre en Ukraine, le pays a besoin d'un « changement, une transformation ».

Récession économique, menace de guerre commerciale avec Washington, remise en cause du lien transatlantique et du « parapluie » américain sur lequel comptait Berlin pour assurer sa sécurité : c'est le « destin » de l'Allemagne qui est en jeu, a déclaré samedi le chef de file des conservateurs Friedrich Merz.

Ce dernier semble très bien placé pour devenir le prochain chancelier et donner un coup de barre à droite dans le pays, après l'ère du social-démocrate Olaf Scholz. D'après les derniers sondages, il recueillerait environ 30 % des intentions de vote.

Visiblement détendu, souriant et serrant de nombreuses mains, le conservateur de 69 ans a voté à Arnsberg, dans sa commune du Haut-Sauerland, à l'ouest.

Son rival social-démocrate, visage plus fermé, a lui aussi glissé son bulletin dans l'urne, à Potsdam, à l'est de Berlin.

Les électeurs ont jusqu'à 18 heures (17 heures GMT) pour voter. Les premiers sondages sortie des urnes seront publiés dans la foulée.

Selon les sondages, l'extrême droite de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) peut espérer obtenir au moins 20 % des voix, soit deux fois plus qu'en 2021 et un résultat record.

Le parti anti-migrant et pro-russe a imposé ses thèmes de campagne, suite à plusieurs attaques et attentats meurtriers perpétrés par des étrangers sur le territoire allemand.

L'AfD a également bénéficié du soutien appuyé de l'entourage de Donald Trump pendant des semaines.

Son conseiller Elon Musk, l'homme le plus riche du monde, n'a cessé de promouvoir la tête de liste du parti allemand, Alice Weidel, sur sa plateforme X.

« AfD ! » a encore posté M. Musk dans la nuit de samedi à dimanche, accompagnant son message de drapeaux allemands.
Les élections législatives anticipées ont lieu la veille du troisième anniversaire de l'invasion russe en Ukraine, un événement particulièrement marquant en Allemagne.

Le conflit a mis fin à l'approvisionnement en gaz russe du pays, qui a accueilli plus d'un million d'Ukrainiens. La perspective d'une paix négociée « dans le dos » de Kiev et des Européens inquiète tout autant.

Interrogé sur ces élections allemandes, le président américain a répondu avec désinvolture qu'il souhaitait « bonne chance » à l'allié historique des États-Unis, qui ont leurs « propres problèmes ».

Le discours de son vice-président JD Vance à Munich, dans lequel il exhortait les partis traditionnels allemands à mettre fin à leur refus de gouverner avec l'extrême droite, a creusé un peu plus le fossé entre Washington et Berlin.

Friedrich Merz souhaite que l'Allemagne puisse « assumer un rôle de leader » en Europe.

Dans le système parlementaire allemand, il pourrait s'écouler des semaines, voire des mois, avant qu'un nouveau gouvernement ne soit constitué.

Pour former une coalition, le bloc mené par les conservateurs CDU/CSU devrait se tourner vers le parti social-démocrate (SPD), excluant ainsi toute alliance avec l'AfD, avec laquelle il a entretenu des relations tendues durant la campagne, notamment sur les questions d'immigration.

Les sondages lui attribuent 15 % des voix. Ce score serait son pire résultat depuis l'après-guerre et signerait probablement la fin de la carrière politique d'Olaf Scholz. Mais auparavant, le chancelier devra assurer la transition.

« J'espère que la formation du gouvernement sera achevée d'ici Pâques », soit le 20 avril, veut croire Friedrich Merz.

Un objectif difficile à atteindre si les deux partis qui ont dominé la politique allemande depuis 1945 sont contraints, faute de majorité de députés à eux deux, de devoir trouver un troisième partenaire.

La fragmentation au Parlement dépendra notamment des résultats de petits partis et de leur capacité ou non à franchir le seuil minimum de 5 % des suffrages pour entrer au Bundestag.


Sécurité européenne, Ukraine : réunion des ministres européens de la Défense lundi

Drapeaux de l'Union européenne et l'Ukraine (Photo i Stock)
Drapeaux de l'Union européenne et l'Ukraine (Photo i Stock)
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  • Une douzaine de ministres européens de la Défense tiendront lundi une réunion par visioconférence afin de définir une réponse coordonnée à l'offensive diplomatique américano-russe concernant le dossier ukrainien
  • Cette réunion des ministres de la Défense s'inscrit dans le ballet diplomatique provoqué par l'annonce de pourparlers bilatéraux américano-russes visant à mettre fin au conflit.

PARIS : Une douzaine de ministres européens de la Défense tiendront lundi une réunion par visioconférence afin de définir une réponse coordonnée à l'offensive diplomatique américano-russe concernant le dossier ukrainien et de renforcer la sécurité du Vieux continent, a-t-on appris dimanche auprès du ministère français des Armées.

Cette réunion, qui se tiendra dans l'après-midi à l'initiative de l'Estonie et de la France, rassemblera également les ministres de la Défense de Lituanie, de Lettonie, de Norvège, de Finlande, de Suède, du Danemark, des Pays-Bas, d'Allemagne, d'Italie, de Pologne et du Royaume-Uni, selon cette source.

À cette occasion, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, se rendra à Tallinn aux côtés de son homologue estonien Hanno Pevkur, après avoir participé aux célébrations de la fête nationale estonienne.

La France déploie environ 350 militaires en Estonie dans le cadre d'un bataillon multinational de l'OTAN.

Cette réunion des ministres de la Défense, trois ans jour pour jour après l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie, s'inscrit dans le ballet diplomatique provoqué par l'annonce de pourparlers bilatéraux américano-russes visant à mettre fin au conflit.

La semaine passée, plusieurs chefs de gouvernement européens avaient été conviés à Paris par le président Emmanuel Macron. D'après un résumé obtenu de sources parlementaires, ils se seraient accordés sur la nécessité d'un « accord de paix durable s'appuyant sur des garanties de sécurité » pour Kiev, et auraient exprimé leur « disponibilité » à « augmenter leurs investissements » dans la défense.

Plusieurs pays membres avaient en revanche exprimé des réticences quant à l'envoi de troupes européennes en Ukraine, dans l'hypothèse d'un accord mettant fin aux hostilités.


Le ministre russe des Affaires étrangères effectue une visite en Turquie lundi

Cette photo prise et diffusée par le ministère russe des Affaires étrangères montre le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, donnant une conférence de presse après la réunion avec le secrétaire d'État américain, le conseiller à la sécurité nationale et l'envoyé pour le Moyen-Orient au palais de Diriyah à Riyad, le 18 février 2025. M. (Photo by Handout / RUSSIAN FOREIGN MINISTRY / AFP)
Cette photo prise et diffusée par le ministère russe des Affaires étrangères montre le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, donnant une conférence de presse après la réunion avec le secrétaire d'État américain, le conseiller à la sécurité nationale et l'envoyé pour le Moyen-Orient au palais de Diriyah à Riyad, le 18 février 2025. M. (Photo by Handout / RUSSIAN FOREIGN MINISTRY / AFP)
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  • La Turquie, membre de l'OTAN, souhaite jouer un rôle de premier plan dans la fin des hostilités, comme elle avait tenté de le faire en mars 2022 en accueillant par deux fois des négociations directes entre Moscou et Kiev.
  • Le président turc Recep Tayyip Erdogan a de nouveau affirmé que son pays serait un « hôte idéal » pour des pourparlers sur l'Ukraine associant Moscou, Kiev et Washington.

ISTAMBUL : Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, est attendu en Turquie lundi, jour du troisième anniversaire du déclenchement de l'invasion russe de l'Ukraine, ont annoncé dimanche des sources diplomatiques turques.

M. Lavrov doit s'entretenir à Ankara avec son homologue turc Hakan Fidan, ont indiqué ces mêmes sources, précisant que les deux hommes discuteraient notamment d'une solution au conflit ukrainien.

Dimanche, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a confirmé à l'agence Tass qu'une délégation menée par Sergueï Lavrov devait se rendre prochainement en Turquie pour y discuter d'« un large éventail de sujets ».

La Turquie, membre de l'OTAN, souhaite jouer un rôle de premier plan dans la fin des hostilités, comme elle avait tenté de le faire en mars 2022 en accueillant par deux fois des négociations directes entre Moscou et Kiev.

Mardi, en recevant son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, le président turc Recep Tayyip Erdogan a de nouveau affirmé que son pays serait un « hôte idéal » pour des pourparlers sur l'Ukraine associant Moscou, Kiev et Washington.

Toutefois, ces dernières semaines, Moscou et Washington ont entamé un dialogue direct, alors que les relations se réchauffent entre Donald Trump et Vladimir Poutine.

Mardi, Russes et Américains se sont rencontrés en Arabie saoudite pour entamer le rétablissement de leurs relations, une réunion dénoncée par Volodymyr Zelensky qui redoute un accord sur l'Ukraine à leur insu.

M. Lavrov, dont la dernière visite en Turquie remonte à octobre, doit se rendre dans la foulée en Iran, un allié de la Russie.

La Turquie, qui est parvenue à maintenir ses liens avec Moscou et Kiev, fournit des drones de combat aux Ukrainiens mais n'a pas participé aux sanctions occidentales contre la Russie.

Ankara défend parallèlement l'intégrité territoriale de l'Ukraine et réclame la restitution de la Crimée du Sud, occupée par la Russie depuis 2014, au nom de la protection de la minorité tatare turcophone de cette péninsule.