LONDRES : En Ukraine, les cryptomonnaies jouent un rôle jamais vu auparavant, permettant au gouvernement de récolter des millions de dollars pour financer sa réponse à l'invasion russe.
Pourquoi l'Ukraine s'est-elle tournée vers les cryptomonnaies, et comment ce secteur encore très jeune va en sortir changé ?
Combien de cryptomonnaies ont été récoltées ?
Dès les premières heures du conflit, le gouvernement ukrainien a ouvert des adresses et des portefeuilles de cryptomonnaies lui permettant de recevoir ces devises décentralisées directement.
Toute personne possédant des cryptomonnaies peut donc les envoyer vers ces adresses. Bitcoin, ethereum, mais également tether, ce «stablecoin» dont le cours est adossé au dollar: depuis le début de l'effort de guerre, les cryptomonnaies affluent.
Plus de 100 millions de dollars ont été récoltés en cryptomonnaies par le gouvernement ou par le «Fonds crypto pour l'Ukraine», créé par la principale plateforme ukrainienne du secteur Kuna et depuis fusionnée avec le fonds gouvernemental.
«Nous récoltons toujours des cryptomonnaies, et nous les dépensons pour acheter des rations» pour les soldats, «des gilets pare-balles ou des casques», explique Michael Chobanian.
A 37 ans, le créateur et patron de la plateforme Kuna s'occupe désormais exclusivement de la levée de fonds en cryptomonnaie pour son gouvernement.
Quels avantages aux dons en crypto?
Les montants récoltés en cryptomonnaies sont minimes par rapport aux milliards d'aides débloqués par les États-Unis, les pays de l'Union européenne ou les grandes organisations internationales, mais permettent à des particuliers de s'impliquer.
L'ONG américaine «The giving block» («Le bloc qui donne»), qui lève des cryptomonnaies à travers le monde pour les envoyer en Ukraine, estime que c'est «une option que les donneurs les plus jeunes utilisent de plus en plus pour soutenir de multiples causes».
Par ailleurs, les Ukrainiens s'étaient tournés vers ces devises décentralisées pour se protéger de la baisse de leur devise.
Si pour l'instant, la banque centrale ukrainienne est parvenue à stopper l'effondrement de son cours, les conséquences de l'invasion risquent de faire perdre de sa valeur au hryvnia local.
En utilisant des stablecoins, ces cryptomonnaies adossées au dollar, les donateurs évitent ainsi autant que possible les fluctuations du marché des changes.
Un autre avantage des dons en cryptomonnaies est la rapidité des transferts. Là où une transaction bancaire peut prendre jusqu'à 24 heures pour être validée entre deux pays, les envois en cryptomonnaies prennent généralement moins d'une heure.
Quels inconvénients ?
Dans un secteur encore en pleine construction, les dons en crypto ne se font pas sans accrocs.
Le ministre ukrainien de l'industrie numérique voulait récompenser les donateurs avec une cryptomonnaie symbolique créée pour l'occasion, mais y a renoncé.
Pire, des anonymes en ont profité pour émettre une fausse version de cette cryptomonnaie ukrainienne, cherchant à récolter une partie des fonds destinés à l'effort de guerre.
«Il y a eu un manque de communication» au sein du gouvernement, balaye M. Chobanian qui travaille désormais étroitement avec le ministère.
«C'était le premier jour de la guerre», rappelle-t-il.
Par ailleurs, encourager à l'utilisation de cryptomonnaies pourrait se retourner à long terme contre le gouvernement, incitant les Ukrainiens à utiliser un système monétaire parallèle.
Selon le cabinet Chainalysis, les transactions en Europe de l'Est sont particulièrement élevées vers des adresses situées en dehors de la région, «ce qui pourrait indiquer des sorties illégales de fonds», par exemple pour de l'évitement fiscal, estiment-ils.
Quelles conséquences ?
M. Chobanian, malgré le conflit, se montre confiant. «Quand nous aurons gagné la guerre, nous allons reconstruire l'Ukraine en utilisant la technologie blockchain», à la base des échanges en cryptomonnaies, assure-t-il.
Une vision pour le moins ambitieuse. Mais le président Zelensky a pris le temps mercredi de légaliser les cryptomonnaies, donnant un cadre législatif aux plateformes et aux utilisateurs dans un pays où ils existaient pour l'instant uniquement dans l'économie parallèle.
Et au-delà des frontières ukrainiennes, le conflit «force les gouvernements à développer leur compréhension des cryptomonnaies et leur encadrement ».
Nous espérons que cela amènera des politiques de régulations proportionnées et efficaces», affirme Caroline Malcolm, de Chainalysis.
Aux États-Unis, le président Joe Biden a lancé par décret début mars les travaux en vue d'un «dollar numérique», et demande à plusieurs agences gouvernementales d'identifier et de combattre la multitude de risques liés aux cryptomonnaies.