PARIS : Mal aimés des Français, en grande partie éclipsés par les candidats, les partis politiques sont à la peine dans cette campagne présidentielle hors norme, nouvelle illustration pour les politologues de la crise profonde qui les frappe mais aussi des continuelles tentatives pour les renouveler.
"Les partis se crispent parce que leur aire d'influence a beaucoup rétréci et qu'il ne reste plus aujourd'hui que leur capacité de nuisance, et que cette capacité de nuisance est actuellement leur principale occupation". En annonçant le 2 mars renoncer à sa candidature hors-partis, Christiane Taubira n'avait pas mâché ses mots contre les partis de gauche, accusés de lui avoir mis des bâtons dans les roues.
Mais pour les spécialistes, la perte d'influence des partis est plus large et touche tout le spectre politique.
"Renouant avec la volonté de De Gaulle de réduire le rôle des partis dans la Ve République, Emmanuel Macron a mis en 2017 le dernier clou sur un système partisan fort", souligne le politologue Gérard Grunberg.
Partis personnels
"Les anciens grands partis qui dominaient avec la bipolarisation gauche/droite ont sombré, le PS et LR, trop divisés et sans vrai leader, ont raté le tournant des primaires ouvertes qui étaient leur dernière planche de salut", estime-t-il.
À l'exception du RN, "un des rares partis encore debout", ils sont relégués, selon lui, par des "partis personnels, où la relation entre le candidat et le parti, qui autrefois était maître de l'organisation, s'est inversée".
"À eux trois, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour, qui illustrent bien cette nouvelle tendance" avec respectivement En Marche, La France insoumise, en voie de dépassement par l'Union populaire, et Reconquête!, "totalisent 60% des intentions de vote", argumente le directeur de recherche émérite au CNRS. Selon les derniers sondages, le total est plus proche de 52 ou 53%.
Même Fabien Roussel, pourtant candidat pour redonner de la visibilité à un des plus vieux partis, fait une campagne "entièrement centrée sur sa personne, le sigle du PCF figurant en tout petit sur ses affiches", relève aussi le politologue Marc Lazar sur le site Télos.
Preuve que dans cette campagne présidentielle, plus encore que d'habitude, les candidats et leurs équipes ont pris la main, comme l'illustrent des grincements de dents chez LREM où on se plaint d'être prévenu tardivement de l'agenda d'Emmanuel Macron.
Marronnier
"La crise des partis politiques est un marronnier journalistique qui n'est pas propre à la France", met cependant en garde le politiste Michel Offerlé qui invite à ne pas les enterrer trop vite car, note-t-il avec ironie, "les partis meurent longtemps".
L'ancien professeur de l'ENS relève certes "l'effondrement du nombre des adhérents" (désormais moins de 1% des Français) ou "l'incapacité des partis à produire une offre programmatique de long terme, désormais sous-traitée à des experts autour du candidat ou à des think tanks".
Mais "ça ne veut pas dire que les partis sont extérieurs à cette campagne", insiste-t-il, pointant notamment la question du financement, pour laquelle "ils sont encore utiles", même s'il y a des "formes de financements nouveaux".
Tout en soulignant une tendance à la perte "d'ancrage des partis dans la société", le politiste relève des écarts notables, pointant par exemple l'investissement de la Manif pour tous en faveur d'Eric Zemmour ou le rôle très médiatisé de Génération Z, des "modes différents de militantisme qui permettent aussi d'exister dans une campagne électorale".
Malgré des "limites évidentes", il met plus largement en exergue les tentatives inabouties depuis 2017 de "rénover les partis politiques" à travers les expériences de "partis-mouvements, des partis-plateformes, des partis digitaux", comme LFI, ou d'une autre manière LREM, sur laquelle il se montre toutefois très critique.
"Il doit y avoir la place pour réinventer une structure de conquête (et de gestion?) du pouvoir politique qui ne soit pas seulement une étiquette ou une machine électorale personnalisée", veut-il espérer.