DUBAÏ: Des journalistes du monde arabe ont évoqué l'impact de la pandémie de la Covid-19 sur le secteur lors d'une conférence virtuelle ce mardi.
Lors de la table ronde «Les médias d'information après l'impression?», organisée dans le cadre du sommet digital où participaient les médias phares de la région, des experts ont analysé la façon dont la crise sanitaire a changé la donne journalistique au Moyen-Orient.
Abdelsalam Haykal, président de Majarra aux Émirats arabes unis, a proposé plusieurs manières d'adapter le contenu médiatique à l'époque actuelle.
«Ca a forcé les gens à vivre dans la solitude», a-t-il révélé. «Ainsi, ce nouvel état d'esprit et ce nouveau cadre de ‘travail à domicile’ ont placé la technologie au rang de partenaire. La technologie était un outil stratégique que nous utilisions, mais maintenant c'est un partenaire sur lequel nous comptons et dont nous dépendons. La vie se déroule à présent par le biais des technologies.»
Ce changement a entraîné chez les consommateurs un besoin accentué d'obtenir instantanément informations et connaissances. Pour Haykal, une approche collaborative a aussitôt émergé dans le but de combattre la pandémie, conjuguée au besoin de comprendre le rôle de chacun dans cette approche.
«Nous voulions savoir comment les autres faisaient face à la situation, quelles étaient leurs compétences et leurs outils, sans oublier que nous avons appris des choses au fur et à mesure que nous les vivions», a-t-il expliqué.
La Covid-19 a ainsi accéléré l'adoption de modèles digitaux qui profitent des améliorations en termes d'infrastructure technologique, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Cela a aussi permis l’introduction de nouvelles pratiques telles que le modèle par abonnement.
Selon Haykal, ces éléments combinés constituent une occasion en or pour les médias de la région de se tourner vers une telle formule.
Toute évolution dans cette direction nécessitera pourtant selon lui un haut degré de confiance entre le média et le consommateur.
«La confiance dans notre secteur consiste à disposer d’informations, de connaissances et de nouvelles fiables, à offrir une expérience utilisateur permettant aux gens d’avoir accès à ces connaissances et ces informations de manière fluide et cohérente», a-t-il développé.
«Il est nécessaire pour nous, en tant que journalistes et créateurs de contenu, de développer également notre propre contenu et notre expérience utilisateur à ce même niveau.»
Pour Haykal, l'information est une marchandise. De par le monde, les journalistes aident leur public à aller au-delà des nouvelles brutes et à mieux comprendre l' impact de celles-ci sur leur vie quotidienne. La combinaison d'actualités et d'analyses en ligne accessibles par des partenariats inter-médias permettent selon lui une expérience exhaustive.
«Le défi réside dans le fait que les consommateurs nous comparent à n'importe quelle application où ils ont une meilleure expérience», a-t-il ajouté.
«Les attentes du monde en ligne sont beaucoup plus élevées. C'est une occasion pour chaque journaliste, dans la région en particulier, de faire ce bond dans ce qui est une opportunité presque inexploitée.»
Mohamed K Alayyan, président et contributeur du journal Al-Ghad (Demain) en Jordanie, a indiqué que le monde moderne s'apparente à un village où «tout est à disposition» et où la comparaison entre les offres disponibles est devenue facile pour les consommateurs. Ce défi a obligé les journalistes à améliorer leur style, a-t-il ajouté.
«La sonnette d'alarme tirée par la Covid-19 est que la publication ne paie plus les factures. Elle ne peut plus nous soutenir et nous aider à prospérer dans ce secteur», a déclaré Alayyan.
«Mais ce qui nous aide, c'est d'avoir une marque connue pour son contenu de qualité. Quoi qu'il en soit, le besoin de contenu de qualité reste fort; les gens veulent un contenu de bonne qualité et c'est là que le point de départ devrait être.»
L'utilisation d'un contenu et de marques de bonne qualité aidera, sans doute, les organisations à surmonter tout retard technologique.
Le journal d'Alayyan a actuellement un plan en place pour une telle transformation en diversifiant ses revenus grâce à la publicité et à la télévision.
«C'est seulement dans le but de compenser la perte de revenus du journal», a-t-il clarifié. «Ensuite, nous sommes passés en ligne, et nous avons rejoint d'anciens éditeurs en Jordanie pour vendre de la publicité en ligne. Après avoir assuré le moins de dommages possible dans ce que la covid-19 a fait aux revenus du journal, nous devons maintenant examiner quel paywall (mur de paiement) nous devrions faire.
Le journal cherche à savoir comment ses données peuvent lui apporter des précisions sur les préférences des lecteurs. Alayyan estime que cette étude permettra de jeter les bases d'un paywall.
Pour Ahmed al-Hammadi, PDG du secteur de la presse chez Dubaï Media Incorporated aux Émirats arabes unis, la relation entre la Covid-19 et les médias est très compliquée. La pandémie a complètement modifié le secteur dans son ensemble, de l'offre à la demande.
«Il y a trois ou quatre ans, nous disions qu'un jour, le journal disparaîtrait, et que nous passerions à l’étape suivante sur le plan technologique», a-t-il dévoilé.
«La question était là, et nous ne prenions aucune mesure. Soudain, la Covid-19 est apparue, et nous nous sommes dit que nous devions tenter l'expérience, même si nous devions échouer.»
Dubaï Media Incorporated (DMI) a interrompu l'impression de journaux pendant la pandémie, après plus de 40 ans sur le marché. Bien qu'elle ait rencontré quelques difficultés, l'équipe de DMI était persuadée qu’elle pouvait passer à l'étape supérieure et s’autogérer.
«Mais les revenus étaient au plus bas», a déclaré Al-Hammadi. «Vous ne pouvez pas comparer les revenus, qui sont le moteur de l'entreprise. Notre plate-forme numérique est de loin le numéro un sur le marché dans notre catégorie, mais la Covid-19 a tout à fait changé nos états d'esprit au sein de l'entreprise.»
Les revenus du numérique dans la région n’atteignent toujours pas selon lui le niveau désiré par les journalistes. Parmi difficultés auxquelles le marché est confronté, Al-Hammadi cite notamment la mentalité du public, le manque de formation journalistique, le faible nombre de rédacteurs disponibles et l’insuffisance des revenus.
Le contenu payant est selon lui nécessaire au succès de l'entreprise. Le groupe est actuellement en train de suivre cette voie.
«Tous ces obstacles sont là, et les gens essaient de changer», a-t-il avisé.
«L'industrie des media est suffisamment mature; nous devons avoir un plan et ne pas nous blâmer ou jeter le blâme les uns sur les autres. Nous devons essayer de trouver une solution à ce problème. Tout le monde essaie, les gens sont sur la bonne voie s'ils croient que le numérique est du passé, pas l'avenir.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com