MOSCOU:Le parquet russe a requis mardi 13 ans de prison contre l'opposant Alexeï Navalny, ennemi juré du Kremlin et victime de la répression exacerbée des voix critiques du président Vladimir Poutine à l'oeuvre en Russie.
Ce militant pourfendeur de la corruption, âgé de 45 ans, est jugé depuis mi-février dans l'enceinte même de sa colonie pénitentiaire à 100 km à l'est de Moscou pour des accusations d'"escroquerie" et d'"offense" à un magistrat qu'il juge fictives.
C'est depuis ce tribunal improvisé derrière les barreaux que la procureure Nadejda Tikhonova a requis une nouvelle lourde sentence contre l'opposant, qui a de justesse survécu en 2020 à un grave empoisonnement dont il accuse le Kremlin.
"Je demande que soit infligée une peine de privation de liberté de 13 ans", a déclaré la procureure, citée par les agences de presse russes.
Elle a également requis une sanction de "deux ans de limitation de liberté" supplémentaire et une amende de 1,2 million de roubles (9 500 euros au taux actuel).
"Vous ne mettrez pas tout le monde en prison ! Allez-y, demandez même 113 ans, vous ne me faites pas peur, ni à moi, ni aux gens comme moi", a rétorqué M. Navalny pendant l'audience, cité par son équipe sur les réseaux sociaux.
Depuis février 2021, Alexeï Navalny purge une peine de deux ans et demi de prison pour une autre affaire de "fraude" datant de 2014.
Opposition au conflit en Ukraine
L'un des lieutenants en exil de l'opposant, Léonid Volkov, a réagi immédiatement en affirmant que le pouvoir voulait, avec ce réquisitoire, qu'il reste en prison "jusqu'à la mort de Vladimir Poutine ou de Navalny".
"C'est un homme absolument innocent qui est jugé parce qu'il dit la vérité sur le régime criminel de Poutine", a renchéri sur Twitter Lioubov Sobol, une autre alliée en exil de M. Navalny.
Les enquêteurs l'accusent d'avoir détourné des millions de roubles de dons versés à ses organisations de lutte contre la corruption et d'"outrage au tribunal" au cours d'une de ses précédentes audiences.
En 2020, l'opposant, réputé pour ses enquêtes virales dénonçant l'incurie et la corruption des élites russes, a passé plusieurs mois en convalescence en Allemagne après avoir survécu de justesse à un empoisonnement par un puissant agent innervant, dont il tient Vladimir Poutine pour responsable.
Il a été arrêté en janvier 2021 à son retour en Russie et condamné à deux ans et demi de prison dans une vieille affaire de "fraude". Une condamnation qui a provoqué un tollé dans les pays occidentaux et des sanctions contre Moscou.
En juin 2021, les principales organisations de M. Navalny ont, quant à elles, été qualifiées d'"extrémistes", une décision qui a entraîné leur fermeture et des poursuites contre nombre de leurs militants. Beaucoup d'entre eux sont désormais en exil.
Dans la foulée, les autorités russes ont accentué leurs pressions sur des médias d'opposition et des ONG critiques du pouvoir.
M. Navalny s'est prononcé contre l'offensive de l'armée russe en Ukraine et a appelé ses soutiens à manifester pour la paix malgré les risques d'arrestation et de graves poursuites judiciaires.
"La Russie est grande, beaucoup de gens y vivent, et tous ne sont pas prêts à abandonner leur avenir et celui de leurs enfants comme des lâches", a lancé mardi M. Navalny.
"Tout le monde doit agir. À sa manière, du mieux qu'il le peut, compte tenu des circonstances, mais agir", a-t-il ensuite martelé sur Instagram toujours à propos de l'intervention russe en Ukraine.
"La guerre est l'œuvre du despotisme. Ceux qui veulent combattre la guerre ne doivent combattre que le despotisme", a-t-il conclu, disant citer le grand écrivain russe Léon Tolstoï.
Depuis le début de l'intervention russe en Ukraine le 24 février, près de 15 000 manifestants pacifistes ont été interpellés en Russie, selon l'ONG spécialisée OVD-Info.
En parallèle, le pouvoir russe a encore serré la vis, faisant voter deux lois punissant de lourdes peines de prison toute dénonciation du conflit.
Sur internet, l'un des derniers espaces d'expression libre en Russie, les autorités poursuivent aussi leurs efforts et ont bloqué les réseaux sociaux Twitter, Facebook, Instagram, ainsi que plusieurs médias indépendants russophones.