BRUXELLES : L'Union européenne a adopté lundi un nouvel instrument afin de pousser ses partenaires commerciaux, en particulier la Chine et les Etats-Unis, à ouvrir davantage leurs marchés publics, sous peine de voir leurs propres firmes entravées dans l'UE.
"L'Europe naïve, c'est du passé", a commenté le ministre français délégué au Commerce extérieur, Franck Riester, après l'accord trouvé entre les 27 Etats membres et le Parlement européen pour mettre sur pied le nouveau mécanisme.
Si l'UE donne accès à 95% de ses marchés publics au reste du monde, les entreprises européennes n'ont accès qu'à 50% des marchés publics mondiaux, voire moins de 30% aux Etats-Unis et au Japon, et quasiment rien en Chine, avait-il récemment indiqué à l'AFP.
Proposé par Bruxelles depuis 2012 et objet de longs pourparlers entre les Ving-Sept, cet instrument vise à décourager la discrimination à l'encontre des entreprises européennes dans les marchés publics des pays tiers.
La Commission européenne sera autorisée à ouvrir des enquêtes publiques en cas de soupçons de discrimination, et le cas échéant, engagera des consultations avec le pays en question pour qu'il ouvre son marché, sans quoi l'UE pourra pénaliser ses entreprises dans les appels d'offre européens.
Leurs offres pourraient alors se voir fortement majorées, ce qui les empêcheraient de facto d'être compétitives face aux entreprises candidates, a précisé la Commission dans un communiqué.
Il s'agira d'une "mesure de dernier ressort" que les pays tiers pourront éviter "en mettant fin à leurs pratiques restrictives", a-t-elle souligné.
La sanction pourra aller jusqu'à "une exclusion totale de ces entreprises des marchés publics européens dans le secteur concerné", et, afin d'éviter tout contournement, les lauréats d'un marché public dans l'UE devront "limiter leurs approvisionnements" auprès d'un pays tiers visé par des restrictions dans le cadre de cet instrument, a expliqué le cabinet de M. Riester.
«Barrières injustes»
"Cet instrument important offrira à l'UE un levier pour éliminer les barrières injustes et promouvoir une concurrence équitable", a affirmé le vice-président de la Commission Valdis Dombrovskis, le jugeant "essentiel pour la compétitivité des entreprises européennes".
L'UE s'en cache à peine: il s'agit en particulier de répliquer au protectionnisme américain, mais aussi à la Chine, dont la plupart des marchés publics sont remportés par des entreprises locales et où de nombreux secteurs économiques sont verrouillés pour les firmes étrangères au profit de monopoles de groupes étatiques.
L'enjeu est crucial pour les entreprises.
Les marchés publics, qui peuvent aller de l'achat d'ordinateurs pour les administrations à la construction d'infrastructures routières ou à la gestion d'un réseau de transport, représentent une part importante des budgets nationaux. Ils représentent en moyenne entre 10% et 20% du PIB de chaque pays, et "totalisent plus de 8.000 milliards d'euros d'opportunités commerciales dans le monde" par an, assure la Commission.
Cependant, le sujet a donné lieu à d'âpres négociations au sein de l'Union: si l'Italie ou la France y étaient d'emblée favorables, d'autres pays - Allemagne, Suède, Pays-Bas, Danemark...- se sont longtemps montrés réticents, jugeant le mécanisme proposé trop protectionniste.
Cette opposition massive avait entraîné le gel du projet lorsque Bruxelles avait essayé de le relancer une première fois en janvier 2016, quatre ans après la proposition initiale. Les Etats avaient finalement abouti à un compromis en juillet 2021, avant des pourparlers avec les eurodéputés.
L'accord final a été scellé lundi, alors que la France, grande promotrice du projet, occupe depuis janvier la présidence tournante de l'UE.
Les pays tiers et les secteurs déjà couverts par des accords conclus par l'UE et comportant des clauses sur l'accès aux marchés publics ne seront pas concernés. Les engagements de l'UE, notamment dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et d'accords bilatéraux "ne sont pas remis en cause", a souligné la Commission.