TUNIS: L’échec du deuxième round des négociations entre l’actionnaire majoritaire de la Banque franco-tunisienne (BFT) et la Tunisie et la perspective d’une liquidation de cette banque risquent d’avoir de très lourdes conséquences pour ce pays.
Alors qu’il entre dans sa quarantième année, le litige qui oppose l’État tunisien à la société ABCI Investments Limited vient de prendre un virage décisif et sans doute définitif. Nous apprenons par une source proche du dossier que deux développements majeurs ont été enregistrés dans cette affaire: d’une part, l’échec des négociations entre l’État tunisien et l’actionnaire majoritaire de la BFT engagées en juin 2020 pour parvenir à une solution amiable; d’autre part, la confirmation du processus de liquidation de cet établissement, lancé depuis près de trois ans par les autorités tunisiennes.
Le black-out est total à ce sujet en Tunisie. Divers organismes étatiques concernés, de la présidence de la république à celle du gouvernement en passant par le chef du contentieux de l’État et les ministères des Finances, du Domaine de l’État et des Affaires foncières n’ont pas souhaité commenter ces développements. Pourtant, ces derniers sont avérés. En février, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) annonce en effet sur son site Internet que «l’arbitrage a repris» dans l’affaire de la BFT, dont il est saisi depuis le 6 avril 2004.
Cette annonce signifie que les négociations engagées à la demande de la partie tunisienne ont échoué. D’après nos informations, les deux parties en ont fait le constat à la fin de janvier dernier. En conséquence, elles en ont informé le Cirdi, qui, vingt mois plus tôt, avait accepté de suspendre le processus arbitral pour donner la possibilité aux parties en conflit de trouver un arrangement.
Nos sources estiment que cet échec est imputable au côté tunisien. Alors que les deux parties étaient convenues de prendre des mesures de désescalade et de rétablissement de la confiance avant les négociations, la Tunisie a refusé d’abandonner ce qu’elle considère comme la carte maîtresse qu’elle entend utiliser pour amener la société ABCI Investments Ltd à conclure un accord: les procès au pénal engagés en Tunisie.
ABCI a refusé de s’engager dans un tel marché, qui consiste à troquer son renoncement contre une très grande partie des indemnisations qu’elle va obtenir en échange de l’abandon des poursuites. Au contraire, elle a toujours demandé aux autorités tunisiennes d’aller au bout de leurs intentions en laissant la justice rendre son jugement si elles ont la preuve que l’accord de règlement amiable conclu en 2012 est entaché d’irrégularités et même de soupçons de corruption.
Si ces allégations avaient été prouvées, elles auraient permis à la partie tunisienne d’avoir gain de cause et de faire tomber la procédure d’arbitrage engagées auprès du Cirdi. Or, l’État tunisien n’a jamais pu produire devant cet organisme ne serait-ce que le début d’une preuve de ses accusations.
Ensuite, la liquidation de la BFT, qui aurait été retenue définitivement lors de la réunion du conseil des ministres du 10 février 2022, semble irrémédiablement engagée, car tout est fait pour la préparer et la rendre inévitable depuis près de trois ans – plus précisément depuis décembre 2018 avec le limogeage de Sami Jebali, dernier directeur général en date de la banque, et la nomination de Hassine Sghari au poste d’administrateur provisoire de la BFT. Mais, contrairement à son prédécesseur, ce dernier a été nommé délégué à la résolution.
En réalité, si la décision de liquider la banque a été prise dès décembre 2015 en conseil des ministres, sa mise en œuvre n’a commencé qu’après la nomination de M. Sghari. C’est ainsi que les autorités, la Banque centrale et le ministère des Finances en tête, ont arrêté l’activité du marché monétaire ainsi que son refinancement et qu’elles lui ont interdit de collecter des dépôts et d’accorder des crédits.
Le but de cette manœuvre est double: couper la route à un retour de la société ABCI Investments Ltd en Tunisie en empêchant le recouvrement des 3 milliards de dinars tunisiens (920 millions d’euros) de crédits accordés par la BFT avant 2011.
Pour deux raisons, cette décision risque fort de coûter très cher à la Tunisie. D’abord, le règlement du Cirdi donnerait droit à l’actionnaire majoritaire de cette banque, dans le cas où il serait empêché, d’en reprendre le contrôle et de créer une nouvelle banque dans le pays de son choix aux frais de l’État tunisien. Ce qui alourdirait davantage la facture des indemnisations, qu’on estime généralement à 1 milliard de dollars (1 dollar = 0,90 euro).
Ensuite, le Fonds monétaire international (FMI) n’apprécie guère l’abandon de créances par un État qui, comme c’est le cas de la Tunisie aujourd’hui, vient en même temps frapper à sa porte pour réclamer un prêt.
Pour autant, la messe est-elle dite dans cette affaire? La porte est-elle définitivement fermée à une solution amiable? Peut-être pas, d’autant que, d’après nos informations, l’échec du deuxième round des négociations entre la société ABCI Investments Ltd et la Tunisie et la perspective d’une liquidation la BFT ne semble pas du goût de tout le monde dans le pays. Au sein même de l’État, certains en redoutent les effets dévastateurs. Au mieux, l’absence de règlement amiable grèverait très lourdement d’éventuels financements internationaux, dont celui du FMI, au pire, si ces derniers ne venaient pas, cela aggraverait la situation financière, économique et sociale du pays.
Un changement d’attitude des autorités tunisiennes reste possible avant le verdict du Cirdi, et même après, surtout si les indemnisations que le centre va décider en faveur d’ABCI s’avéraient très lourdes. Mais, à supposer que les responsables de cette société de droit néerlandais acceptent alors de revenir à la table des négociations, ce serait selon leurs conditions.