PARIS: La 3e édition du prix cheikh Abdelkrim-Dali s’est terminée en apothéose avec la programmation de l’opérette De Bagdad à Cordoue. L’événement s’est déroulé le 25 février dernier à l'opéra d'Alger Boualem-Bessaih en présence du ministre de la Culture et des Arts, Soraya Mouloudji, et du ministre de la Communication, Mohamed Bouslimani.
Promouvoir les jeunes interprètes
Programmé cette année du 21 au 25 février, le prix cheikh Abdelkrim-Dali a été créé en 2016. Il porte le nom d’un maître algérien de la musique andalouse. Son objectif est de promouvoir les jeunes interprètes de cette musique qui appartient au riche patrimoine culturel algérien.
EN BREF
Le spectacle, composé de chant, de musique, de poésie et de danse, rassemblait une pléiade d’artistes de renom: Lila Borsali, Karim Benghazi, Lamia Maadini, Beihdja Rahal, Hasna Hini, Sihem Arafa Kennouche (conteuse), accompagnés par l’Orchestre de la fondation Abdelkrim-Dali, l’Orchestre féminin de l’opéra d’Alger et le Ballet de l’opéra d’Alger, dirigé de main de maître par Naguib Kateb.
Opposer les modes
Imaginée par ce dernier et écrite avec Sihem Arafa Kennouche, cette opérette joue à opposer les modes de la musique arabo-andalouse, le zidan et le ghrib. Avec les orchestres qu’il a dirigés, Naguib Kateb n’en est pas à sa première expérience dans la conception et la direction des spectacles autour de la musique andalouse. La prise d’Alger par les Ottomans et Belkadi, l’histoire d’amour tumultueuse entre Barberousse et l’épouse du prince Toumi figurent ainsi parmi les spectacles qu’il a créés avec le Ballet de l’opéra d’Alger, qu’il dirige.
«L’idée de créer ce spectacle sous forme d’opérette a été retenue avec l’intention de raconter la contribution des poètes, mais aussi des auteurs et des mathématiciens qui ont établi le canon de la nouba [forme musicale du chant arabo-andalou], qu’ils appartiennent à l’époque des omeyyades, à Damas, ou à celle des Abbassides, à Bagdad. Le but est de représenter tous les fleurons de la création des modes et des rythmes de la musique classique andalouse», confie Naguib Kateb, initiateur, concepteur et chef d’orchestre du spectacle, à Arab News en français. Il rappelle que la structure de la nouba, qui se caractérise par cinq mouvements, fut déposée en Andalousie.
«Les musicologues et les poètes de cette époque sont considérés comme les précurseurs de la musique européenne qui a fait naître les opéras et les musiques symphoniques», précise-t-il. «Les grandes académies de Cordoue ont accueilli des étudiants de toutes les nationalités afin de les former aux techniques de la musique arabo-andalouse. Ces acquis ont favorisé la naissance de la musique baroque et de celle des troubadours; certains opéras – ceux qui intègrent, par exemple, des extraits du mode zidan – ont subi l’influence de cette musique», explique-t-il encore.
À ce propos, Naguib Kateb nous fait savoir que l’Algérie a accueilli, que ce soit avant et après la prise d’Alger, plusieurs maîtres de la musique européenne. Ils se sont inspirés du mode zidan de la musique classique algérienne. En effet, il a été plusieurs fois introduit dans leurs œuvres. On peut penser à l’opéra de Rossini L’Italienne à Alger, ou encore à la bacchanale de Samson et Dalila de Saint-Saëns, dans laquelle il introduit une nouba zidan.
De Bagdad à Cordoue a permis au public d’assister à un spectacle qui associe musique, chant et danse – des disciplines dans lesquelles s’illustrent des stars de la musique classique andalouse algérienne ainsi que des danseurs du Ballet de l’opéra d’Alger. «Nous avons créé cette opérette en imaginant la rencontre amoureuse, dans le palais du calife Haroun al-Rachid, entre Hibatou Allah ben Mouad el-Habachi, le créateur du mode zidan, et Leila Ghriba al-Mouharrara, cette esclave affranchie qui a inventé le mode ghrib, que l’on retrouve dans Les Mille et Une Nuits», nous explique Naguib Kateb.
«Vérité et fiction»
Il ajoute: «Ce conte, qui mêle vérité et fiction – une première en Algérie –, a amené le public à découvrir l’origine et le développement du patrimoine de la musique andalouse classique à travers les époques. En réalité, les deux créateurs des modes andalous, zidan et ghrib, ne sont jamais rencontrés. Nous les avons associés et rassemblés dans cette opérette afin de raconter l’évolution de la musique classique arabo-andalouse en évoquant pour finir le mezj, c’est-à-dire l’association des deux modes qui existent dans nos traditions musicales et qui sont largement pratiqués aujourd’hui», ajoute-t-il.
Pour faire voyager le public à travers les âges, les concepteurs de l’opérette ont adopté le décor et les costumes des différentes époques. Les tenues de Leila Borsali et de Beihdja Rahal évoquent Bagdad ou l’Empire ottoman.
Nassima Haffaf, la lauréate du concours
Le jury, présidé par le chercheur, musicologue et interprète de chanson andalouse Nour Eddine Saoudi, a décerné le premier prix du concours à la violoniste Nassima Haffaf pour son interprétation de Noubet Leghrib dans différentes variations mélodiques et rythmiques. L‘artiste bénéficiera d’un soutien financier pour l’orchestration et l’enregistrement de son premier album studio. Asma Hamza et Youcef Nouar ont reçu, quant à eux, les 2e et 3e prix pour leur interprétation des noubas Sika et Rami el-Maya.
Selon Nour Eddine Saoudi, les sept candidats du concours ont été évalués sur leur connaissance de la nouba, leur interprétation, leur diction, l’esthétique et les ornements vocaux qu’ils présentaient, leur sens du rythme, la maîtrise de leur instrument et leur tenue.
«Génie musical et créatif»
De son côté, Soraya Mouloudji, ministre de tutelle, a mis en avant, lors de son intervention, la contribution de l’artiste cheikh Abdelkrim Dali à la sauvegarde du patrimoine musical et culturel algérien. «Je suis heureuse d'être présente pour rendre hommage à Abdelkrim Dali, un pilier de la musique andalouse et une icône de la culture algérienne. Il a marqué l’histoire de la musique nationale par son génie musical et créatif», déclare-t-elle. «Ce prix s’impose comme un rendez-vous incontournable entre cet art noble et les ceux que passionne cette musique envoûtante, qui traverse le temps et l'espace», conclut-elle.