PARIS/ BRUXELLES: Bombardements massifs et destructeurs, accusations de « crimes de guerre » et d'utilisation d'armes prohibées: l'offensive russe en Ukraine commence à évoquer sinistrement pour certains les images des guerres syrienne ou tchétchène, et font craindre le déclenchement du redoutable rouleau compresseur russe.
Grozny la Tchétchène, Alep la Syrienne: ces deux villes emblématiques écrasées et réduites en cendres par les bombardements russes en 1999 et 2016 reviennent dans les esprits, même si les analystes rappellent que les situations et le contexte sont différents.
« Comme si c'était de nouveau Alep », twitte le spécialiste de la Syrie au Middle East Institute, Charles Lister, sous des images de Kharkiv bombardée.
La deuxième ville d'Ukraine, où ont débarqué des troupes aéroportées russes mardi, est sous le feu de l'artillerie depuis trois jours, et au moins vingt personnes ont été tuées dans des bombardements au centre-ville.
Plusieurs autres villes, comme Kherson ou Marioupol dans le sud, ont été ou sont toujours soumises à d'intenses bombardements et le président Volodymyr Zelensky dénonce, à l'instar de plusieurs ONG et dirigeants occidentaux, des « crimes de guerre », accusant Moscou de chercher à « effacer » l'Ukraine.
Vladimir Poutine affirme pour sa part que Kiev commet un « génocide » dans les territoires pro-russes de l'est du pays.
Des organisations comme Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent depuis quelques jours l'emploi d'armes comme les bombes à sous-munitions (interdites par la convention d'Oslo depuis 2010) dans les zones civiles, et évoquent des « crimes de guerre », photos et vidéos à l'appui.
L'usage d'armes thermobariques, extrêmement dévastatrices et très peu précises, a également été évoqué mais non confirmé de façon indépendante.
Boris Johnson accuse la Russie de «crime de guerre» en Ukraine
Le Premier ministre britannique Boris Johnson a accusé mercredi la Russie de s'être rendue coupable de « crime de guerre » en Ukraine en raison des armes utilisées contre des civils et appelé l'ONU à « exiger » un retrait russe.
« Ce que nous avons déjà vu de la part du régime de Vladimir Poutine concernant l'utilisation des munitions larguées sur des civils innocents, cela constitue déjà à mon avis un crime de guerre », a-t-il déclaré devant les députés britanniques, qui se sont levés pour une ovation à l'ambassadeur ukrainien Vadym Prystaïko, présent dans les galeries de la Chambre des Communes.
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé lundi l'ouverture « aussi vite que possible » d'une enquête sur la situation en Ukraine, évoquant des « crimes de guerre » et « crimes contre l'humanité ».
« Poutine a fait une grave erreur de calcul dans son odieuse attaque contre une nation souveraine », a déclaré M. Johnson.
« Il a sous-estimé l'extraordinaire force d'âme du peuple ukrainien ainsi que l'unité et la détermination du monde libre à s'opposer à sa barbarie », a-t-il ajouté.
Il a appelé les pays membres de l'ONU à condamner, lors du vote de l'Assemblée générale prévu mercredi, l'invasion russe de l'Ukraine et à « exiger que Poutine fasse rentrer ses tanks »: « Si, au contraire, Poutine redouble d'efforts, nous continuerons à augmenter la pression économique. »
« Bombes non guidées »
« Les crimes de guerre à échelle industrielle ne sont pas nouveau pour Poutine. Il ne s'est jamais inquiété des victimes civiles quand il bombardait il y a plus de 20 ans les citoyens russes de Tchétchénie ou (des années plus tard) des hôpitaux en Syrie », s'est indigné mardi le champion d'échecs russe en exil Garry Kasparov.
« Ca a commencé à Kharkiv. Ils poursuivent le scénario tchétchène », s'inquiète de son côté Alexandra Prys, porte-parole de l'ambassade ukrainienne en France, « comme ils ont détruit Grozny, nous craignons tous que Poutine n'ait pas de limites ».
Lancée le 24 février, l'offensive russe sur l'Ukraine a commencé de façon inhabituelle pour la doctrine stratégique russe, rappelle le chercheur Elie Tenenbaum, de l'Institut français des relations internationales, estimant que Moscou avait « retenu ses coups » et évité des dommages collatéraux.
« Les premiers jours, les Russes ont utilisé leurs capacités modernes, des frappes à distance avec des missiles de croisière, des missiles balistiques Iskander », des armes testées des années auparavant dans « le laboratoire syrien ».
« Mais, outre que ce sont des équipements onéreux et dont ils ne disposent pas en quantité infinie, ils se sont heurtés à la résistance ukrainienne », explique le chercheur, constatant que l'armée russe revient à ses « fondamentaux »: appui d'artillerie et appui aérien massifs.
« Le gros de leur puissance de feu, c'est des bombes non guidées. Ca risque d'écraser les forces ukrainiennes, ça va provoquer des victimes civiles en très très grand nombre et accroître l'exode. Les choses vont tourner à la guerre dans ce qu'elle a de plus brutal et de plus violent », prévoit-il.
Parallèles à nuancer
« Iront-ils jusqu'aux extrémités utilisées à Alep ou à Grozny ? Je ne pense pas qu'il y ait de réticence particulière au sein de l'état-major russe à provoquer des victimes civiles, mais c'est plus discutable si on parle des soldats, qui ont une proximité avec la population ukrainienne et peuvent s'interroger sur la légitimité » de l'invasion, estime M. Tenenbaum.
« L'Ukraine, pour les Russes, ce n'est pas comme la Syrie, c'est beaucoup plus compliqué pour eux de faire des tapis de bombes, ce sont des gens qui leur sont proches, certains ont des parents. C'est d'ailleurs pour cela que Poutine les traite de nazis, parce que les Russes ne perçoivent pas initialement les Ukrainiens comme des ennemis », analyse un diplomate européen.
Les parallèles avec la Tchétchénie - Grozny fut rasée lors de la deuxième guerre (1999-2009) - et la Syrie - où l'aviation russe est intervenue massivement à partir de 2015 pour sauver son allié Bachar al-Assad face à la rébellion - doivent être fortement nuancés, souligne le chercheur.
« En Tchétchénie, la Russie était chez elle et son armée n'avait rien à voir avec ce qu'elle est aujourd'hui, professionnalisée à 50%. En Syrie, le contingent terrestre russe était extrêmement limité et sur le terrain c'étaient les forces syriennes, le Hezbollah ou les milices qui étaient la chair à canon », rappelle-t-il.
Rien de tel en Ukraine où des dizaines de milliers de soldats russes sont engagés et où l'adversaire ukrainien dispose de moyens et d'un soutien international massif, ce qui n'était pas le cas en Tchétchénie ou en Syrie.
Plus de 350 civils ont été tués depuis le début de la guerre, selon les chiffres ukrainiens, et plus de 800 000 personnes ont fui le pays, selon l'ONU.
Bélarus: l'UE sanctionne 22 officiers supérieurs pour avoir aidé Moscou à envahir l'Ukraine
L'Union européenne a ajouté mercredi 22 officiers supérieurs des forces armées du Bélarus à sa liste noire des personnes sanctionnées pour leur soutien à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, selon un communiqué.
« Compte tenu de la gravité de la situation et du fait que le Bélarus participe à une invasion russe non provoquée contre l'Ukraine en autorisant une agression militaire à partir de son territoire, le Conseil estime qu'il convient d'ajouter vingt-deux personnes à la liste des personnes physiques et morales, entités et organismes faisant l'objet de mesures restrictives », indique le communiqué publié avec la liste des noms, leurs grades et leurs fonctions au Journal officiel de l'UE.
Ces sanctions « ciblées » consistent en un gel des avoirs et une interdiction de voyager et de séjourner dans l'UE.