MAMOUDZOU: Sur l'île française de Mayotte, dans l'océan Indien, des habitants barrent les accès à leurs quartiers et tentent même de bloquer les axes de circulation pour protester contre une flambée de violence, marquée par cinq meurtres ou tentatives en deux mois.
Sur ce petit territoire situé entre Madagascar et la côte est-africaine, les affrontements récurrents entre jeunes de quartiers rivaux ou contre les forces de l'ordre, quand elles interviennent pour les séparer, nourrissent les tensions.
Automobilistes et passants font aussi les frais de ces violences. Au début du mois, un habitant du quartier de M'Tsapéré, au sud de la capitale Mamoudzou, a été tué avec un couteau. Un mineur de 16 ans a été inculpé et écroué.
En tout, ce sont cinq meurtres ou tentatives de meurtre dénombrés par la justice depuis le 1er janvier.
Un premier blocage a eu lundi lieu à Vahibe, sur une route du centre de Mayotte.
Depuis lundi, les habitants du village de M'Tsapéré ont également décidé de bloquer les accès routiers à leur quartier, en signe de protestation.
"On est en paix parce que la petite route qu'on a fermée, cet endroit-là, servait de champ de bataille pour les jeunes et donc, aujourd'hui, le fait qu'on a fermé, eh bien! on dort bien", explique Sara une habitante de M'tsapéré interrogée mercredi par l'AFP, qui n'a pas souhaité donner son nom.
"Dans quel département ou dans quelle région de la France ou peut avoir trois morts et personne qui réagit ? On ne demande pas d'argent, pas plus de policiers, on demande juste que la loi française soit appliquée sur ce territoire", souligne Banali Chams Eldine, un manifestant.
"On commence à en avoir ras-le-bol, que ces jeunes-là, qu'on appelle +jeunes+ parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a derrière, on leur permette de torturer ici et puis, on les voit le lendemain se promener comme si de rien n'était, comme s'il n'y avait pas de justice", s'emporte également Ahmed Soilhi, un habitant de M'tsapéré.
Dans la nuit de lundi à mardi, plusieurs habitants ont tenté de couper la circulation sur la route contournant la commune, entraînant une intervention des forces de l'ordre.
Selon le commissaire Laurent Simonin, directeur de la police à Mayotte, vingt-cinq grenades lacrymogènes ont été tirées pour empêcher une quinzaine de tentatives de bloquer cette route nationale.
«Utopie»
Une colère accentuée par des déclarations lundi du préfet Thierry Suquet : il a assuré que "penser qu'on peut éradiquer la violence et la délinquance, ça fait partie de l'utopie" avant d'ajouter que "lutter contre la violence et la délinquance, c'est, avec persévérance, être présent sur le terrain".
"Il y a un contexte sécuritaire sensible, la situation se tend depuis quelques semaines", reconnaît une source proche du dossier.
"Au cours des deux premières semaines de février, il y a eu 3 homicides", "une augmentation des atteintes physiques et matérielles" et "une quinzaine de cars de transport scolaire ont été dégradés, soit un par jour", selon cette source.
Les opérations de rétablissement de l'ordre mobilisent "de 20 à 50 gendarmes" tous les deux jours environ, ajoute cette source.
Déjà en 2018, une grave crise avait éclaté pour dénoncer l'insécurité dans l'île. Elle s'était traduite par sept semaines de blocage des routes et un ralentissement de l'économie locale.
Un plan de 1,3 milliard d'euros avait alors été mis sur la table, mais ses effets peinent à se faire sentir au quotidien.
En 2021, le parquet de Mamoudzou a enregistré une augmentation de 25% des saisines pour des faits criminels à Mayotte et de 21% pour des délits.
Un tiers des délits sont le fait de mineurs, selon le parquet de Mamoudzou, dans une île qui manque de classes pour prendre en charge tous les jeunes du territoire.
"Si nous n'apportons pas de solutions immédiates, ça peut inciter un certain nombre de citoyens à se rendre justice eux-mêmes, ce serait une ligne rouge et la rupture du pacte républicain", prévient le maire de Mamoudzou, Ambdil Wahedou Soumaïla.