PARIS: Après deux ans d'absence, le Salon de l'agriculture va fêter les "retrouvailles" de la ville et de la campagne, samedi à Paris, avec l'espoir d'un changement dans le regard du public.
Alors que le terme d'"agribashing" était encore en vogue avant que le virus n'abrège la durée du salon en 2020, la pandémie a promu les paysans au rang de gardiens de la "souveraineté alimentaire", érigée comme priorité au sommet de l'Etat.
Cette édition s'annonce d'ailleurs très politique à six semaines du premier tour de la présidentielle.
Comme le veut la tradition, le président Emmanuel Macron, qui ne s'est toujours pas déclaré candidat à un nouveau mandat, est annoncé dès le premier jour sur le salon.
En amont, plusieurs rendez-vous entre le chef de l'Etat et des responsables du monde agricole sont prévus dans un agenda présidentiel largement consacré à la crise russo-ukrainienne.
Jusqu'ici, le président a pris l'habitude de passer la journée entière Porte de Versailles: 12 heures en 2020, plus de 14 en 2019.
Avant l'arrivée du virus, à l'hiver 2019, le salon avait accueilli 630.000 visiteurs, soit "1% de la population française", se plaisent à rappeler les organisateurs.
Cette année, la tête d'affiche est une vache de race Abondance prénommée Neige, dont la robe acajou a commencé à couvrir les panneaux publicitaires du métro parisien.
La tenue de cette 78e édition est demeurée longtemps incertaine, au gré de l'évolution de la courbe épidémique et des restrictions sanitaires.
Le Salon de l'agriculture ou la "grande machine" du monde rural français
PARIS: Le Salon de l'agriculture fait figure de "grande vitrine du monde rural" et de trait d'union entre les agriculteurs et les citadins, quasiment sans interruption depuis 58 ans, retrace son président Jean-Luc Poulain dans un entretien accordé à l'AFP.
La grande manifestation agricole se tient tous les ans Porte de Versailles à Paris depuis 1964, sauf l'an dernier où elle a été annulée en raison de l'épidémie de Covid-19.
L'événement prend racine dans l'histoire du Concours général agricole, créé en 1870 pour faire "progresser l'agriculture" dans le pays, explique M. Poulain, "notamment avec la génétique animale".
À l'époque, le concours ne concernait que les animaux, sélectionnés puis utilisés comme reproducteurs. Des vaches pour le lait, des cochons pour la viande... mais aussi des chevaux de trait ou destinés à la cavalerie, ou encore des moutons dont la laine servait, entre autres, à confectionner les habits militaires.
Peu à peu, le Concours général agricole s'ouvre aux produits régionaux français et essentiellement aux vins, qui représentent à ce jour près de la moitié des 12.000 produits en compétition, au milieu des fromages, charcuteries mais aussi des miels, confitures ou encore du piment d'Espelette.
Des agriculteurs de tout l'Hexagone s'y pressent, l'événement prend de l'ampleur et éveille la curiosité du reste de la population.
Le premier Salon international de l'agriculture ouvre ses portes à Paris en 1964, sous l'égide du ministre de l'Agriculture Edgard Pisani, créateur du Ceneca (Centre national des expositions et concours agricoles), que Jean-Luc Poulain préside aujourd'hui.
L'année de son inauguration, on dénombre environ 300.000 visiteurs. Des producteurs français pour la plupart, "mais aussi tout l'environnement économique autour: la compagnie d'omnibus de Paris pour les chevaux ou bien les grands restaurants parisiens pour le champagne médaillé d'or", précise M. Poulain.
«Choc des générations»
Au fil des années, le salon grossit (jusqu'à plus de 700.000 visiteurs en 2014), attire de plus en plus de curieux non issus du monde agricole.
Il devient aussi le rendez-vous incontournable des politiques, qui se prêtent volontiers à des visites aux allures de marathon (plus de 14 heures pour Emmanuel Macron en 2019).
Jean-Luc Poulain se souvient en riant du "Casse-toi, pauvre con", lancé en 2008 par le président Nicolas Sarkozy à un agriculteur ayant refusé de lui serrer la main.
Mais il retient surtout les visites de Jacques Chirac, l'homme qui selon lui a donné du souffle au Salon de l'agriculture.
"C'était un de nos plus fervents supporters", se rappelle-t-il. "Il y passait beaucoup de temps, tutoyait tout le monde et serrait des centaines de mains."
Le salon, "c'est un choc des générations, entre les nostalgiques et ceux qui découvrent", estime Jean-Luc Poulain. "Les gens ont envie de montrer à leurs enfants ce qu'est une vache, un poussin ou un poulet. La proximité avec les agriculteurs manque beaucoup aux Français."
"Autrefois, vous alliez acheter votre beurre et votre poulet à la ferme mais tout ça, c'est terminé. Le monde rural est de plus en plus isolé", déplore-t-il. Les gens n'ont plus aucune notion du travail agricole, ils sont déconnectés."
"La substantifique moelle du salon c'est de goûter, être collés serrés, toucher des animaux... On va respecter tout cela mais différemment", explique à l'AFP la directrice du salon, Valérie Le Roy.
"Il y avait une très forte attente du secteur [agricole]. On a estimé que le jeu en valait la chandelle" même s'il y aura "un peu moins d'exposants" et "peut-être moins de visiteurs".
Ces derniers devront présenter un pass vaccinal et porter le masque - au moins les prochains jours. A partir du 28 février, le masque n'est plus censé être obligatoire dans les lieux clos soumis au pass vaccinal, transports exceptés, mais les organisateurs attendent les dernières consignes préfectorales sur le sujet.
«Impatients»
A l'approche du premier tour de la présidentielle, le 10 avril, les candidats devraient défiler, le salon représentant une exposition pour eux comme pour les revendications du monde agricole.
"Nous voulons peser dans cette campagne électorale", a prévenu lundi la patronne du syndicat majoritaire FNSEA, Christiane Lambert.
Le président de la Fédération nationale bovine (FNB, section spécialisée de la FNSEA), Bruno Dufayet, s'attend à des échanges pas toujours sincères.
"Un salon électoral, c'est toujours le plus chiant, tout le monde va nous aimer, on aura raison sur tout ce qu'on va dire", sourit l'éleveur de vaches Salers du Cantal.
L'agriculture française en chiffres
PARIS: À la veille du Salon international de l'agriculture qui ouvre ses portes samedi à Paris, tour d'horizon de la "Ferme France", premier producteur agricole de l'Union européenne.
Vins, vaches, cochons
La France produit environ 47 millions d'hectolitres de vin, 24 millions de litres de lait de vache ou encore plus de 15 milliards d'oeufs par an.
Premier exportateur mondial de vin en valeur, l'Hexagone est le premier producteur européen de céréales, d'oeufs et de viande bovine, le deuxième pour le lait et le troisième pour le porc.
Côté pêche et aquaculture, la France est le 3e producteur de l'UE.
L'industrie agroalimentaire, nourrie par les produits agricoles, est la première industrie française en termes d'emplois, avec près de 450.000 travailleurs, dont 100.000 dans la filière viande.
Les produits issus de l'agriculture et de l'agroalimentaire forment le troisième poste excédentaire de la balance commerciale de la France derrière l'aéronautique et spatial, et l'industrie chimique, parfumerie et cosmétique.
Cet excédent est toutefois en recul depuis une quinzaine d'années, et avant tout porté par les vins et spiritueux ainsi que les céréales.
Environ 20% de la consommation alimentaire des Français est importée (plus de la moitié pour les fruits et légumes).
Secteur vieillissant cherche bras
Selon le ministère de l'Agriculture, les "métiers du vivant" (agriculture, agroalimentaire, filière bois-forêt, pêche) représentent 3,4 millions d'emplois et entre 70.000 et 100.000 postes à pourvoir chaque année.
Selon les résultats provisoires du recensement agricole, la France métropolitaine compte 389.000 exploitations agricoles (et 26.600 dans les départements d'Outre-Mer) - 100.000 de moins qu'en 2010 et quatre fois moins qu'en 1970.
A leur tête, la sécurité sociale agricole (MSA) recense près de 436.000 chefs d'exploitation (seuls ou associés). Un quart sont des femmes.
En 2020, un million de personnes ont été employées dans les fermes françaises, dont plus de 600.000 saisonniers.
58% des agriculteurs-exploitants sont âgés de 50 ans ou plus et donc susceptibles de prendre leur retraite dans les années qui viennent, posant la question du devenir des fermes et de l'attractivité du métier.
En 2020, la profession comptait 19.359 nouvelles installations pour 25.316 départs: un taux de remplacement de 76,5%.
Selon l'INSEE, près d'un ménage agricole sur cinq vit sous le seuil de pauvreté (18% contre 13% pour l'ensemble des ménages ayant des revenus d'activité).
On constate une grande disparité selon les productions: 25% de pauvreté chez les éleveurs bovins et 13,4% chez les viticulteurs.
Le monde agricole est largement dépendant des aides publiques, et notamment des neuf milliards d'euros annuels de la politique agricole commune (PAC) dont la France est le premier bénéficiaire.
Le bio progresse
La surface agricole utile française (SAU) s'étend sur 26,7 millions d'hectares, soit près de 50% du territoire métropolitain en 2020, contre 63% en 1950.
En 2016, en France, 5% des surfaces agricoles étaient irriguées (jusqu'à 14% en Provence-Alpes-Côte d'Azur).
La surface cultivée en bio couvrait 9,5% de la surface agricole utile française fin 2020, soit 2,5 millions d'hectares. L'objectif d'atteindre 15% des surfaces en bio en 2022 ne sera pas atteint, a reconnu le gouvernement.
En 2020, près de 6.000 fermes se sont tournées vers l'agriculture biologique, portant le total d'exploitations bio à plus de 53.000 dans le pays.
En cinq ans, le marché du bio a doublé et atteint dorénavant 13 milliards d'euros.
Sources: Insee, ministère de l'Agriculture, ministère de la Mer, MSA, Agence bio
La tension ne sera pas pour autant absente: le salon coïncide avec la clôture, le 1er mars, des négociations commerciales entre les agroindustriels et les supermarchés qui déterminent le prix des produits mis en rayon pendant l'année et, in fine, le revenu des agriculteurs.
Ces derniers, comme les industriels, se battent pour répercuter sur les consommateurs l'inflation qu'ils subissent (notamment sur l'alimentation des animaux), tandis que le gouvernement s'efforce de préserver la part revenant aux agriculteurs.
Promulguée en octobre, la loi Egalim 2 est l'ultime tentative du quinquennat pour que des agriculteurs n'en soient pas réduits à vendre à perte. En 2019, 16% d'entre eux n'ont eu aucun revenu voire été déficitaires, selon les chiffres les plus récents de l'Insee.
Mais le salon, c'est aussi le théâtre du Concours général agricole qui voit l'élite du cheptel français, des vins, bières ou miels soumis à l'avis de jurés professionnels et consommateurs.
"Les producteurs et viticulteurs sont impatients. Une médaille c'est entre 18% et 40% d'augmentation du chiffre d'affaires", souligne le commissaire général du concours, Olivier Alleman.
Seuls animaux absents cette année: les volailles, confinées en raison de la grippe aviaire.