En attendant Macron

Le président français Emmanuel Macron (Photo, AFP).
Le président français Emmanuel Macron (Photo, AFP).
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Publié le Dimanche 20 février 2022

En attendant Macron

En attendant Macron
  • À gauche, sept candidats jouent un jeu à somme nulle pour un maximum de 25 % de l'électorat
  • À droite, une compétition similaire se joue entre le centre et l'extrême, avec trois candidats se disputant au final environ 45 % de l'électorat

Alors que l'élection présidentielle française est prévue dans deux mois, on a toujours l'impression que la campagne n'a pas vraiment commencé. À droite comme à gauche, les candidats sont occupés à marquer leurs territoires par rapport à leurs proches rivaux. Chacun semble plus concentré sur le règlement de comptes internes que sur la confrontation avec le président sortant, Emmanuel Macron.
À gauche, sept candidats jouent un jeu à somme nulle pour un maximum de 25 % de l'électorat. À droite, une compétition similaire se joue entre le centre et l'extrême, avec trois candidats se disputant au final environ 45 % de l'électorat. Les sondages d'opinion montrent actuellement que M. Macron remporte le premier tour avec 25 % des voix et qu'il sera réélu au second tour, qu'il affronte Marine Le Pen du Rassemblement national, parti d'extrême droite, ou Valérie Pécresse du parti traditionnel de centre-droit, Les Républicains.
En attendant, Macron semble satisfait de voir ses concurrents se battre entre eux. Il a repoussé l'annonce officielle de sa candidature jusqu'à la dernière minute et a clairement indiqué qu'il ne participerait pas aux débats du premier tour.
L'emprise remarquable de Macron sur la vie politique française est anormale. Dans la plupart des grandes démocraties, la politique est de plus en plus polarisée, la gauche et la droite étant confinées dans une sorte de haine mutuelle. Comment Macron a-t-il réussi à maintenir une ligne centriste modérée ? Une partie de la réponse réside dans les circonstances exceptionnelles dans lesquelles il a été élu en 2017.
Lors de cette élection, le principal candidat de la gauche, le président sortant François Hollande, était si impopulaire - sa cote de popularité n'était que de 4 % un an avant la fin de son mandat - qu'il a finalement choisi de ne pas se présenter. Dans le même temps, le candidat de la droite dominante, François Fillon, a été plongé dans un scandale financier et a été condamné à cinq ans de prison pour détournement de fonds.
Au-delà de ces circonstances uniques, Macron a également bénéficié de la radicalisation croissante de la gauche et de la droite, ce qui lui a permis de consolider son contrôle sur un large bloc d'électeurs inquiets de l'extrémisme des deux côtés. Sa campagne a suivi une stratégie classique de « l'électeur médian », attirant les électeurs de gauche modérés, dont beaucoup lui restent fidèles, ainsi qu'une part importante de la droite modérée.
Aujourd'hui, une nouvelle analyse des tendances électorales françaises, basée sur un échantillon de près de 10 000 électeurs collecté par Ipsos, met en lumière la trajectoire des électeurs de gauche qui soutenaient précédemment Hollande. En 2012, cette tranche représentait 28,5 % de l'électorat. En 2017, 46 % des anciens électeurs de Hollande ont voté pour Macron. Désormais, ce segment de l'électorat est divisé en trois tiers : 36 % continuent de soutenir Macron, 34 % se préparent à voter à nouveau pour un candidat de gauche, et 29 % ont l'intention de s'abstenir de voter.

Le problème, tant pour la gauche que pour la droite, est que cette élection intervient à un moment où les électeurs sont avant tout préoccupés par des questions basiques plutôt que purement idéologiques.

Daniel Cohen

La part des électeurs engagés à gauche a ainsi diminué de quelque 18 points de pourcentage. Non seulement la gauche modérée a fait défection, mais une part croissante des électeurs de la classe ouvrière a décidé de s'abstenir ou de soutenir l'extrême droite. Comme la gauche a clairement besoin d'un redémarrage idéologique, ses candidats à cette élection se concentrent largement sur la préparation du terrain après le départ de Macron.
Mais le macronisme a également eu un effet spectaculaire sur la droite. Le même sondage montre que le soutien à Pécresse est plus faible qu'il ne l'était pour Fillon à peu près à la même époque en 2017, ce qui reflète la migration des électeurs de droite ailleurs. Environ 29 % des électeurs de Fillon se préparent à voter pour Macron, et 16 % soutiennent Éric Zemmour, le nouveau rival d'extrême droite de Le Pen.
Pécresse ne représente donc que 48 % de l'électorat de Fillon. Dans ses efforts pour revendiquer à la fois le centre-droit et la droite radicale, elle semble dernièrement plus intéressée par la conquête de cette dernière, allant jusqu'à mettre en avant la théorie raciste du « grand remplacement » développée par le penseur d'extrême-droite Renaud Camus. Comme pour la gauche, la droite traditionnelle peine à s'affirmer face aux extrémistes.
Le problème, pour la gauche comme pour la droite, c'est que cette élection intervient à un moment où les électeurs sont avant tout préoccupés par des questions basiques plutôt que d’idéologie pure. Le sondage Ipsos montre que les deux préoccupations les plus fréquemment citées par les électeurs sont la baisse du pouvoir d'achat (44 %) et le Covid-19 (35 %).
Ces questions - qui concernent principalement la vaccination et le prix des carburants - ne sont guère propices aux démonstrations idéologiques. La droite ne peut pas accuser Macron de gaspillage fiscal, car les électeurs veulent davantage de soutien pour financer le déficit et la dette. Mais la gauche ne peut pas non plus tirer parti de la situation. Les électeurs français protesteront avec véhémence contre la hausse des prix de l'énergie, ce qui rendra beaucoup plus difficile de faire pression en faveur de nouvelles taxes sur les combustibles fossiles (même si des mesures sont également prévues pour contribuer à renforcer un nouveau modèle de consommation).
Mais la politique française ne sommeille jamais longtemps, comme l'ont découvert Charles de Gaulle et Valéry Giscard d'Estaing. En 1965, de Gaulle pensait que la victoire électorale était assurée, mais contre toute attente, il a dû mener une campagne de second tour contre François Mitterrand, qui avait été soutenu par la gauche, y compris le parti communiste. De même, Giscard d'Estaing, le président sortant de centre-droit, était certain d'être réélu en 1981. Mais en raison des retombées du deuxième choc pétrolier mondial, il a perdu face à Mitterrand.
La campagne de cette année pourrait également nous surprendre. Après tout, le principal protagoniste n'est pas encore entré en scène.

Daniel Cohen, président du conseil d'administration de l'École d'économie de Paris, est l'auteur, tout récemment, de « The Inglorious Years : The Collapse of the Industrial Order and the Rise of Digital Society » (Princeton University Press, 2021). Copyright : Project Syndicate
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com