Desert X AlUla: une deuxième édition où l’art monumental converse avec les sables

Alicja Kwade, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)
Alicja Kwade, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)
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Publié le Dimanche 13 février 2022

Desert X AlUla: une deuxième édition où l’art monumental converse avec les sables

  • À travers leurs œuvres, les artistes abordent les questions du progrès humain, de la migration, de l’histoire ancienne et, surtout, du changement climatique
  • L’expérience Desert X AlUla nous permet de ressentir l’ampleur du paysage désertique, ainsi que le vent et l’air sablonneux qui nous rappellent la force nécessaire pour habiter dans le désert

DUBAÏ: Ils ressemblent à des dizaines de châteaux de sable. Certains sont plus grands que les autres – vestiges de longues heures de jeux fondés sur l’imaginaire. Cependant, les 364 cercles concentriques de monticules de sable se situent dans les formations rocheuses à couper le souffle d’AlUla, cette ancienne région d’Arabie saoudite qui façonne les peuples et les civilisations depuis plus de 200 000 ans.

Le cercle de monticules de sable est le fruit du travail de l’artiste américain Jim Denevan. Intitulée Angle of Repose, cette œuvre est l’une des premières et des plus grandes que les visiteurs verront lorsqu’ils assisteront à la deuxième édition de Desert X AlUla, un événement lancé le 11 février et qui se poursuivra jusqu’au 30 mars.

Les travaux ont été réalisés avec l’aide de bénévoles d’AlUla. Au fur et à mesure que nous nous approchons et entrons dans le chantier, nous voyons les monticules de sable placés des plus grands aux plus petits. L’expérience est époustouflante et surréaliste, ce qui nous pousse à nous demander si les monticules existent vraiment sur la planète Terre ou plutôt dans une quelconque réalité alternative lointaine. C’est exactement le but de M. Denevan: façonner, comme ses nombreux châteaux de sable, l’expérience du visiteur dans le désert.

Ayman Zedani, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)
Ayman Zedani, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)

L’œuvre de M. Denevan fait partie des quinze œuvres actuellement présentées à Desert X AlUla, l’exposition contemporaine propre au site d’art monumental dans le désert, lancée à AlUla au début de 2020. L’événement, qui a eu lieu pour la première fois dans la vallée de Coachella en Californie en 2017, porte sur la création d’art en harmonie avec la terre qui suscite également le dialogue interculturel et l’examen des enjeux actuels pertinents.

L’événement de cette année, qui est gratuit et ouvert à tous, est organisé sous la vision curatoriale de Reema Fadda, de Raneem Farsi et du directeur artistique de Founding Desert X, Neville Wakefield.

Il prend place dans un lieu plus vaste, la vallée d’Al-Mutadil, sous le thème «Sarab», qui signifie mirage en arabe. Les artistes, qui viennent du monde entier, y compris des États-Unis, d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Ghana, ont créé des œuvres sans aucune directive de la part des organisateurs, mais qui ont été consolidées dans des idées de littérature, de nature, d’histoire et de culture inhérentes à l’environnement désertique dans lequel elles ont été placées.

Les concepts désertiques de mirage et d’oasis sont, depuis belle lurette, associés aux idées de survie, de persévérance, de désir et de richesse», déclare Reema Fadda dans un communiqué. «L’oasis est liée à l’idée de trouver la prospérité ou le paradis, tandis que le mirage est un symbole universel des mystères de l’imagination et de la réalité. Tous deux évoquent également la beauté et l’abondance incompréhensibles de la nature dans son état le plus démuni – le désert – et le désir obsessionnel des humains de saisir la nature et de la contrôler», poursuit-elle.

Claudia Comte, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)
Claudia Comte, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)

«Je pense que le désert suscite l’intérêt des gens parce que c’est un espace hétérotopique et non parce qu’il peut être englobé dans un seul thème, déclare M. Wakefield à Arab News. Pour moi, Desert X – que ce soit ici ou en Californie – n’est pas thématique. Il doit être organisé par le lieu.»

À travers leurs œuvres, les artistes abordent les questions du progrès humain, de la migration, de l’histoire ancienne et, surtout, du changement climatique.

«Il y a des tendances qui marquent les travaux et l’environnement est au premier plan», ajoute-t-il.

Dana Awartani, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)
Dana Awartani, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)

L’oeuvre Sous le même soleil de l’artiste canadienne Stephanie Deumer en est un exemple. Elle y crée une serre souterraine qui fonctionne au croisement de la nature et de la technologie.

Les visiteurs peuvent traverser le désert jusqu’à la serre de l’artiste, comme s’ils allaient dans un bunker souterrain, mais avec une toiture solaire. L’énergie solaire projette de la nourriture vivante de l’extérieur sur les plantes enfermées dans un récipient en verre à l’intérieur et crée cette lumière artificielle qui imite ce que vous voyez à l’extérieur pour nourrir et faire pousser les plantes. «Elle a créé un système complètement autonome», souligne M. Wakefield.

Les deux formes sculpturales ressemblant à du corail de l’artiste britannique Shezad Dawood, intitulées Coral Alchemy I et II, se penchent de la même manière sur les utilisations anciennes et modernes de l’environnement, en particulier la relation d’AlUla avec l’eau jadis – il y a des centaines d’années, les formations rocheuses que l’on voit étaient toutes sous-marines.

Jim Denevan, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)
Jim Denevan, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)

Les deux sculptures de M. Dawood – l’une, incontournable, sur une grande route sablonneuse et l’autre, placée en hauteur dans la formation rocheuse comme si elle était camouflée – explorent la relation géobiologique entre le sol du désert et la mer Rouge à proximité. Les surfaces des œuvres sont sensibles à la température et reflètent les effets du soleil puisque leur couleur change à certains endroits  – un moyen de refléter le résultat du changement climatique et la lutte de l’humanité pour trouver des solutions durables.

Les pièces les plus remarquables comprennent Gold Falls de l’artiste ghanéen Serge Attakwei Clottey, une œuvre d’un jaune flamboyant, semblable à une tapisserie faite de parties carrées de jerrycans d’eau trouvés dans toute l’Afrique et dont l’artiste s’est longtemps servi pour discuter des problèmes liés à la rareté de l’eau et à la migration en Afrique.

L’œuvre peut être aperçue en face de la multitude de monticules de sable de M. Denevan. M. Clottey, qui a participé à l’événement Coachella en 2021, est le premier et le seul artiste africain de l’édition de cette année à AlUla. Pour la plupart des Africains, explique-t-il, le désert évoque la peur puisqu’il est associé à la migration, à la perte et à la mort.

Serge Attukwei Clottey, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)
Serge Attukwei Clottey, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)

 «Je suis un artiste qui crée avec son cœur et non avec sa tête. Je m’intéresse à la signification de certains objets pour les Africains, confie-t-il à Arab News. Ils utilisent ces jerrycans jaunes pour transporter l’huile de cuisine de l’Ouest. Après avoir utilisé l’huile, nous nous en servons pour stocker l’eau qui est devenue problématique pour notre santé. En tant qu’artiste, je m’intéresse à l’origine des contenants et à la façon dont ils revêtent une importance symbolique dans notre vie.»

Cependant, le titre de cette œuvre, Gold Falls, est censé évoquer l’espoir. M. Clottey veut montrer comment de nouveaux liens, moins menaçants, peuvent être tissés avec le désert à travers l’art.

Ailleurs sur le site, des œuvres moins majestueuses, réalisées par Shaikha al-Mazrou et Zeinab Alhashemi, toutes deux émiraties, interagissent avec l’environnement et sont presque dissimulées, compte tenu de leurs couleurs et formes similaires aux formations rocheuses.

Dans son œuvre intitulée Camouflage 2.0, l’artiste émiratie Alhashemi utilise des peaux de chameau sur des bases géométriques abstraites – leurs formes ressemblant à celles trouvées dans le paysage d’AlUla. Measuring the Physicality of Void de sa compatriote Al-Mazrou présente plusieurs structures gonflées en acier coincées dans le vide des roches qu’il faut chercher pour pouvoir localiser.

Shadia Alem, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)
Shadia Alem, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)

Les artistes saoudiens  Shadia Alem, Abdallah al-Othman, Sultan ben Fahad, Ayman Zedani et Dana Awartani ont exploré en profondeur le paysage naturel d’AlUla et ses histoires anciennes à travers leur art.

La sculpture scintillante en forme d’origami de l’artiste Alem, I Have Seen Thousands of Stars and One Fell in AlUla, ressemble à un gigantesque joyau tombé du ciel, embellissant le paysage désertique.

La structure en boue de Sultan ben Fahad, réalisée avec l’aide de la communauté locale, a la forme d’un cerf-volant du désert que l’on traverse jusqu’à atteindre une pièce circulaire en plein air avec une grande urne en verre qui pointe vers le ciel. La forme, connue sous le nom de cerf-volant du désert, peut être trouvée dans tout le désert d’Arabie et les archéologues ne savent toujours pas si les anciennes structures sont des tombes ou des pièges au moyen desquels les Bédouins capturaient des animaux.

L’œuvre performative de l’artiste Zedani peut être observée lorsqu’on grimpe sur un monticule rocheux à l’aide de cordes jaunes et vertes. En atteignant la caverne rocheuse au sommet, les visiteurs entendent en arabe les noms des plantes du désert sur sons de paysage désertique environnant. L’expérience est obsédante et méditative. Le bruit des pas des visiteurs sur les rochers vient s’ajouter aux divers sons qui semblent résonner à l’unisson.

Shadia Alem, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)
Shadia Alem, Desert X AlUla, 2022. (Photo fournie)

Where the Dweller’s Lay de l’artiste Awartani – une œuvre qui a été prise en photo à maintes reprises – est fabriquée à partir de grès local. Sa sculpture géométrique concave s’inspire de l’architecture vernaculaire trouvée dans l’ancienne région d’AlUla, en particulier dans les motifs à paliers trouvés dans les tombes nabatéennes. Les spectateurs sont invités à s’asseoir à l'intérieur de la sculpture gigantesque, à faire une pause et à méditer sur l’histoire et la beauté environnantes.

Le trajet pour observer les œuvres de Desert X AlUla renforce l’expérience d’admirer l’art tout en se trouvant en pleine nature. On ressent l’ampleur du paysage désertique, ainsi que le vent et l’air sablonneux qui nous rappellent la force nécessaire pour habiter ici ou traverser de tels habitats pendant de longues périodes.

Geography of Hope de l’artiste Al-Othman se penche sur l’expérience de voir un mirage dans le désert après un voyage long et ardu. Une longue bande d’acier brillant en forme de plan d’eau reflète le paysage environnant.

«Il s’agit de la manière dont vous trouvez un mirage lorsque vous cherchez de l’eau dans le désert», déclare l’artiste à Arab News. L’œuvre reflète différentes couleurs selon l’heure de la journée à laquelle on la regarde et l’angle du soleil. «Grâce au mirage, l’espoir vous accompagne dans votre périple», conclut-il.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Kojo Marfo dévoile «HOME» à Dubaï: une immersion vibrante dans l’identité, l’esprit et l’essence du foyer

HOME: Heart of My Existence est à découvrir à la JD Malat Gallery, Dubaï, du 16 avril au 31 mai 2025. (Photo: Arab News)
HOME: Heart of My Existence est à découvrir à la JD Malat Gallery, Dubaï, du 16 avril au 31 mai 2025. (Photo: Arab News)
HOME: Heart of My Existence est à découvrir à la JD Malat Gallery, Dubaï, du 16 avril au 31 mai 2025. (Photo: Arab News)
HOME: Heart of My Existence est à découvrir à la JD Malat Gallery, Dubaï, du 16 avril au 31 mai 2025. (Photo: Arab News)
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  • Marfo qualifie «HOME» de tournant introspectif dans son parcours artistique
  • Ce n’est pas qu’une expansion géographique, mais aussi une évolution de sa démarche artistique

DUBAÏ: L'artiste ghanéen-britannique Kojo Marfo présente sa première exposition personnelle aux Émirats arabes unis, HOME: Heart of My Existence, qui se déroule à la JD Malat Gallery de Dubaï. Du 16 avril au 31 mai 2025, cette exposition réunit treize œuvres monumentales et audacieuses, invitant les spectateurs à une réflexion profonde et intime sur la signification réelle du mot «appartenir» et sur l'origine de ce sentiment.

À son arrivée à Dubaï, Marfo a partagé ses premières impressions lors d'un entretien exclusif: «Tout le monde semble très poli et discipliné», a-t-il déclaré. «Cela rend les choses très authentiques, et on se sent plus libre de faire ce que l’on souhaite. L’énergie est incroyable – tout le monde semble positif et profite pleinement de la vie.»

Un cadre qui correspond parfaitement à HOME, une série que Marfo qualifie de tournant introspectif dans son parcours artistique. Célèbre pour son style vibrant, qu'il désigne sous le nom d'AfroGenesis, l'artiste mêle les influences de son héritage ghanéen – en particulier les artefacts et sculptures Akan – avec des courants artistiques occidentaux comme le cubisme et les techniques des grands maîtres. Cela donne naissance à un langage visuel unique, où des figures monumentales et colorées, à la fois énigmatiques et profondément expressives, prennent forme.

Une conversation en couleurs et en formes

Si les couleurs éclatantes et les formes stylisées captivent au premier regard, c’est le message profond de l’exposition qui demeure. «Il s’agit de lancer des conversations», explique Marfo. «On pense qu’on sait tout, mais ce n’est pas vrai. Nous vivons constamment dans nos pensées – c’est notre esprit qui nous guide, qui nous dicte nos émotions. L’espace physique devient insignifiant lorsque l’esprit est en chaos.»

L’idée de HOME ne se limite pas à un lieu physique. Pour Marfo, le foyer est une notion intérieure, façonnée par l’émotion, l’expérience et la mémoire. «Peu importe ce qu’on fait, on pense que notre “chez soi”, ce sont quatre murs, un toit et une serrure – mais ce n’est pas ça», dit-il. «Cette exposition est une invitation à regarder en soi. Il faut apprendre à se connaître, à s’accepter, et à en tirer des leçons.»

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Kojo Marfo - Fury and Freedom, 2025. (Photo: Arab News) 

L’une des œuvres phares de l’exposition, intitulée Fury and Freedom, illustre ce tumulte intérieur. «On voit à quel point tout est chaotique», commente Marfo. «Il y a un bouclier – c’est ce que la société appelle porter un masque. Il nous protège des agressions inutiles. C’est notre manière de vivre.» Pour l’artiste, ce masque symbolise les identités changeantes de l’humanité, ses mécanismes de défense émotionnels, et l’équilibre délicat entre expression de soi et protection de soi.

Une évolution artistique

Bien que Marfo ait exposé dans des villes majeures comme Paris, Tokyo ou Londres, cette exposition à Dubaï représente un moment charnière. «Quand la galerie m’a contacté, je me suis dit que j’allais apporter quelque chose de différent ici», se souvient-il. «La plupart de ces œuvres n’ont jamais été exposées. Mon objectif principal était de créer un dialogue à Dubaï.»

Ce n’est pas qu’une expansion géographique, mais aussi une évolution de sa démarche artistique. Puisant son inspiration dans les interactions humaines et les comportements, Marfo crée avec une histoire à l’esprit. «Parfois je peins d’abord, puis j’essaie de construire une histoire – mais c’est plus difficile. Je préfère m’inspirer des échanges, les faire miens, puis peindre.»

Bien qu’il ait été influencé à ses débuts par Picasso, Marfo a su se détacher des modèles pour forger son propre univers esthétique. «Avec le temps, j’ai développé mon propre style, mes propres idées – je l’appelle AfroGenesis. Ça sonne comme un mouvement, mais pour moi, c’est juste ma façon de dire que je suis original. Je ne cherche pas à lancer un mouvement – je suis juste là pour dire: “Je suis authentique.”»

Un échange culturel

HOME ne met pas seulement en lumière la maîtrise technique et la voix créative de Marfo – elle crée un pont. Entre les continents, entre les traditions culturelles, entre paysages intérieurs et réalités extérieures. Cette première immersion dans le monde de l’art moyen-oriental est à la fois une célébration et une invitation: une méditation universelle sur l’identité, le foyer et la condition humaine.

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Kojo Marfo - Stranger, 2023. (Photo: Arab News) 

«Je crée des œuvres vivantes et colorées pour capter l’attention», explique-t-il. «Mais mon but n’est pas que les gens se contentent de les observer – je souhaite qu’ils s’approchent et découvrent l’histoire qui se cache derrière. »

Et avec HOME, les amateurs d’art à Dubaï sont invités à bien plus qu’une simple visite de galerie – c’est une exploration réfléchie, intensément humaine, de ce que signifie être au monde.


Pour planter son blé, l'Irak puise dans les nappes phréatiques

Face aux pénuries, l'Irak cherche à mettre fin à ce gaspillage mais pompe les eaux souterraines. (AFP)
Face aux pénuries, l'Irak cherche à mettre fin à ce gaspillage mais pompe les eaux souterraines. (AFP)
Depuis des millénaires, pour cultiver les régions du Croissant fertile arrosées par le Tigre et l'Euphrate, on inonde les champs en conduisant l'eau des fleuves vers les parcelles grâce à des canaux. (AFP)
Depuis des millénaires, pour cultiver les régions du Croissant fertile arrosées par le Tigre et l'Euphrate, on inonde les champs en conduisant l'eau des fleuves vers les parcelles grâce à des canaux. (AFP)
Loin de l'Euphrate, ces champs verdissent grâce à des systèmes d'irrigation modernes permettant d'économiser jusqu'à 50% d'eau. (AFP)
Loin de l'Euphrate, ces champs verdissent grâce à des systèmes d'irrigation modernes permettant d'économiser jusqu'à 50% d'eau. (AFP)
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  • L'enjeu est capital dans ce pays de 46 millions d'habitants souffrant de précipitations en recul et d'une baisse du débit des fleuves
  • Loin de l'Euphrate, ces champs verdissent grâce à des systèmes d'irrigation modernes permettant d'économiser jusqu'à 50% d'eau

NAJAF: Hadi Sahib contemple ses épis de blé poussant en plein désert, dans le sud de l'Irak, grâce à l'eau pompée dans les nappes phréatiques, ultime recours du pays face à la sécheresse mais qui risque d'épuiser les réserves souterraines.

Vus du ciel, des cercles verdoyants se dessinent au milieu du désert de Najaf, irrigués par une imposante structure métallique tournante dotée d'arroseurs.

Loin de l'Euphrate, ces champs verdissent grâce à des systèmes d'irrigation modernes permettant d'économiser jusqu'à 50% d'eau.

"Année après année, la sécheresse empire et la désertification s'intensifie", confie à l'AFP M. Sahib, 46 ans, un agriculteur père de 12 enfants. "Les arroseurs ont permis un succès phénoménal. On n'a qu'à les mettre en marche et à s'asseoir", ajoute-t-il.

L'enjeu est capital dans ce pays de 46 millions d'habitants souffrant de précipitations en recul et d'une baisse du débit des fleuves.

Depuis des millénaires, pour cultiver les régions du Croissant fertile arrosées par le Tigre et l'Euphrate, on inonde les champs en conduisant l'eau des fleuves vers les parcelles grâce à des canaux.

Face aux pénuries, l'Irak cherche à mettre fin à ce gaspillage mais pompe les eaux souterraines.

M. Sahib se souvient qu'il exploitait dix donums de terre, soit 2,5 hectares selon une unité de mesure utilisée au Moyen-Orient.

Aujourd'hui, grâce aux facilités proposées par les autorités locales, il loue à l'Etat 50 hectares à un prix symbolique et récolte 250 tonnes.

"On ne pourrait pas continuer sans les nappes phréatiques, difficile d'avoir l'eau sans creuser des puits", confie à l'AFP l'agriculteur en jellabah, dans son champ balayé par une tempête de sable.

Cet hiver, 3,1 millions de donums ont été cultivés grâce aux eaux souterraines et aux "systèmes d'irrigation modernes", selon les autorités. Contre deux millions de donums grâce aux fleuves et barrages.

"Réserve stratégique" 

A Najaf, cette méthode se pratique depuis plus d'une décennie.

Le gouvernement loue des terres aux agriculteurs pour un dollar annuel par donum, achète les récoltes à tarif préférentiel et permet d'acquérir à prix subventionné des systèmes d'irrigation remboursables sur dix ans.

Couplés à des engrais pour sols arides et des semences importées plus résistantes, ces systèmes augmentent le rendement, souligne le responsable des autorités agricoles de Najaf, Moneim Chahid.

Cette saison, un donum près du fleuve devrait produire 1,3 tonne de blé contre au moins 1,7 tonne dans le désert, prévoit-il.

En 2024, l'Irak a ainsi dépassé l'autosuffisance avec 6,4 millions de tonnes de blé récoltées.

Les autorités se disent conscientes du risque de surexploitation des eaux souterraines.

"Les nappes phréatiques constituent une réserve stratégique importante pour les générations à venir", reconnaît M. Chahid. "Nous devons être vigilants, l'eau doit être rationnée", dit-il en soulignant que les arroseurs "aident à réguler la consommation des eaux souterraines".

Dans le désert de Kerbala, dans le centre du pays, la prestigieuse institution administrant le mausolée de l'imam Hussein, capable d'endosser des investissements colossaux, pratique depuis 2018 l'agriculture désertique.

L'institution vise 3.750 hectares de blé, contre un millier d'hectares actuellement.

 "Ressources éternelles"?

Le désert occidental d'Irak, qui chevauche la province de Najaf, abrite dans ses profondeurs une partie des réservoirs stratégiques d'Al-Dammam et Oum al-Radhuma, s'étendant sous l'Arabie saoudite et le Koweït qui ont aussi exploité ces ressources.

Dès 2013, l'ONU reconnaissait que les réserves de ces deux bassins s'épuisaient.

Avec une "extraction à grande échelle des eaux souterraines pour l'irrigation", l'Arabie saoudite s'est hissée dans les années 1990 au rang de sixième exportateur mondial de blé, selon un rapport de l'ONU en 2023.

Cette surexploitation massive a épuisé plus de 80% des ressources, contraignant le royaume à arrêter ses cultures de blé en 2016, ajoute ce rapport.

En Irak, "les gens creusent des puits et pensent ces ressources éternelles. C'est faux", assène Sameh al-Muqdadi, expert en gestion de l'eau.

"Avant on pouvait creuser des puits de 50 mètres ou 100 mètres de profondeur pour atteindre la nappe phréatique. Maintenant c'est 300 mètres", dit-il à l'AFP.

Les autorités ne disposent en outre d'aucun chiffre sur les eaux souterraines de l'Irak, les dernières statistiques publiques remontant aux années 1970, dit-il. "Sans estimations, on ne peut pas gérer nos ressources", résume l'expert.

"Une sécurité alimentaire durable ne peut jamais être assurée avec des eaux souterraines. Cette ressource, accumulée au cours de milliers d'année, est limitée", souligne-t-il.

Il plaide pour l'exploitation des nappes phréatiques uniquement "en cas d'urgence, pendant les sécheresses" et non "pour une expansion commerciale des terres agricoles".

Or, regrette-t-il, "c'est le cas aujourd'hui."

 


Au Maroc, des bénévoles traquent les déchets qui empoisonnent le désert

 Aux portes du "Grand Désert", dans le sud du Maroc, des bénévoles traquent les déchets incrustés dans le sable: bouteilles, sacs plastiques, "il y en a de toutes sortes", constate l'un d'entre eux lors d'une initiative de nettoyage aux abords d'un village en plein Sahara. (AFP)
Aux portes du "Grand Désert", dans le sud du Maroc, des bénévoles traquent les déchets incrustés dans le sable: bouteilles, sacs plastiques, "il y en a de toutes sortes", constate l'un d'entre eux lors d'une initiative de nettoyage aux abords d'un village en plein Sahara. (AFP)
 Aux portes du "Grand Désert", dans le sud du Maroc, des bénévoles traquent les déchets incrustés dans le sable: bouteilles, sacs plastiques, "il y en a de toutes sortes", constate l'un d'entre eux lors d'une initiative de nettoyage aux abords d'un village en plein Sahara. (AFP)
Aux portes du "Grand Désert", dans le sud du Maroc, des bénévoles traquent les déchets incrustés dans le sable: bouteilles, sacs plastiques, "il y en a de toutes sortes", constate l'un d'entre eux lors d'une initiative de nettoyage aux abords d'un village en plein Sahara. (AFP)
 Aux portes du "Grand Désert", dans le sud du Maroc, des bénévoles traquent les déchets incrustés dans le sable: bouteilles, sacs plastiques, "il y en a de toutes sortes", constate l'un d'entre eux lors d'une initiative de nettoyage aux abords d'un village en plein Sahara. (AFP)
Aux portes du "Grand Désert", dans le sud du Maroc, des bénévoles traquent les déchets incrustés dans le sable: bouteilles, sacs plastiques, "il y en a de toutes sortes", constate l'un d'entre eux lors d'une initiative de nettoyage aux abords d'un village en plein Sahara. (AFP)
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  • A l'occasion de la 20e édition du Festival international des nomades, organisée mi-avril dans la localité de M'Hamid El Ghizlane, environ 50 personnes, gantées et munies de sacs poubelle, s'activent sous une pluie fine
  • En cinq heures, elles ont récolté entre 400 et 600 kilos de déchets, selon les organisateurs

M'HAMID EL GHIZLANE: Aux portes du "Grand Désert", dans le sud du Maroc, des bénévoles traquent les déchets incrustés dans le sable: bouteilles, sacs plastiques, "il y en a de toutes sortes", constate l'un d'entre eux lors d'une initiative de nettoyage aux abords d'un village en plein Sahara.

A l'occasion de la 20e édition du Festival international des nomades, organisée mi-avril dans la localité de M'Hamid El Ghizlane, environ 50 personnes, gantées et munies de sacs poubelle, s'activent sous une pluie fine.

En cinq heures, elles ont récolté entre 400 et 600 kilos de déchets, selon les organisateurs.

"Habituellement, les initiatives de nettoyage se concentrent sur les plages et les forêts. Pourtant, le désert souffre également de la pollution", indique à l'AFP Noureddine Bougrab, fondateur du Festival et habitant de M'Hamid El Ghizlane, village de quelque 6.600 âmes.

Cette campagne, qui a réuni artistes, militants associatifs et touristes étrangers, est un "appel" à la "protection des déserts du monde", poursuit M. Bougrab, 46 ans.

Elle a commencé à l'entrée nord de M'Hamid El Ghizlane, "une zone particulièrement touchée par la pollution", affirme-t-il, puis s'est poursuivie jusqu'à l'autre extrémité de la commune, marquant le début du "Grand Désert".

Les origines de cette pollution sont essentiellement "liées à la production massive de produits en plastique, à son faible taux de recyclage", sans compter les "polluants atmosphériques transportés par le vent", explique l'anthropologue Mustapha Naimi.

Le Maroc et ses quasi 37 millions d'habitants génèrent chaque année environ 8,2 millions de tonnes de déchets ménagers, d'après le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable.

"Cela représente l'équivalent de 811 fois le poids de la Tour Eiffel, ou encore de quoi remplir 2.780 piscines olympiques de déchets tassés", illustre Hassan Chouaouta, expert international en développement stratégique durable.

Sur ce volume, "entre 6 et 7%" sont recyclés, précise-t-il.

"Partout" 

Le réveil a sonné "tôt", confie un bénévole français, Ronan Le Floch. Pour ce photographe, qui habite New York, le but de l'opération est "de montrer que c'est important de prendre soin de ce type d'environnement".

"Ce matin, on a trouvé essentiellement des déchets plastiques", qui, avec "le temps", se sont dégradés en "petits morceaux" répandus "partout", décrit cet homme de 35 ans, affirmant avoir aussi trouvé des vêtements et conserves.

Cette initiative est cruciale pour protéger "les animaux" et la population locale, souligne Ousmane Ag Oumar, un Malien de 35 ans, membre de Imarhan Timbuktu, un groupe de blues Touareg. Il pointe un danger direct pour les troupeaux, essentiels à la subsistance des communautés nomades.

"Les déchets plastiques ont des effets néfastes sur l'environnement saharien puisqu'ils contaminent les terres, les pâturages, les rivières, les aires de nomadisation", abonde l'anthropologue Naimi.

Le nomadisme pastoral, un mode de vie millénaire reposant sur la mobilité au gré des saisons et des pâtures du bétail, tend à disparaître au Maroc, fragilisé par le dérèglement climatique qui bouleverse les itinéraires de transhumance et pousse les communautés nomades vers la sédentarisation.

Les dernières données officielles sur le recensement des nomades remontent à 2014, avec un total de 25.274 personnes, soit une baisse de 63% par rapport à 2004.

En outre, cette population n'a "pas bénéficié de beaucoup de soutien de l'Etat, comparativement aux subventions accordées à l'agriculture par exemple, surtout pour les produits destinés à l'exportation", affirme Mohammed Mahdi, professeur de sociologie rurale.

"Pour les éleveurs (nomades), on donne très peu et comme ils n'arrivent pas à se maintenir, un bon nombre a fait faillite et quitté l'activité d'élevage", ajoute l'expert.

Mohamed Oujâa, 50 ans, leader du groupe "Les pigeons du sable", spécialiste de musique gnaoua (style pratiqué au Maghreb par les descendants d'esclaves noirs) insiste pour sa part sur l'importance d'"un environnement propre" pour "les générations futures".

Cette initiative n'est "que la première d'une série de campagnes à venir de nettoyage du désert", espère-t-il.