OTTAWA: Les Etats-Unis ont appelé jeudi le Canada à employer les "pouvoirs fédéraux" pour mettre fin aux convois de manifestants anti-mesures sanitaires qui bloquent des axes frontaliers majeurs entre les deux voisins américains depuis plusieurs jours et menacent l'économie.
Avec le blocage d'un troisième axe frontalier avec les Etats-Unis, la contestation s'est encore étendue jeudi au Canada au moment où le mouvement inspire ailleurs dans le monde, de la France à la Nouvelle-Zélande.
Les manifestants ont en effet décidé de frapper maintenant l'économie en paralysant des voies commerciales essentielles ce qui perturbe déjà certains secteurs comme l'industrie automobile des deux côtés de la frontière, depuis le blocage il y a quatre jours du pont Ambassador, entre l'Ontario et Detroit aux Etats-Unis.
Washington a proposé son "aide pleine et entière", ont fait savoir jeudi des responsables de la Maison Blanche précisant que plusieurs ministres américains étaient en contact régulier avec leurs homologues canadiens à ce sujet. Ils ont aussi assuré que l'administration Biden était "mobilisée 24 heures sur 24 pour mettre fin rapidement" à la crise.
Le Premier ministre Justin Trudeau avait de nouveau appelé jeudi à la fin des manifestations: "Il est temps que cela finisse car cela fait mal aux Canadiens" mais sans proposer un plan d'action concret.
Son gouvernement s'est contenté d'indiquer que des renforts policiers seraient envoyés aux endroits de blocage mais sans plus de précisions.
L'industrie automobile touchée au cœur par le blocage d'un pont au Canada
En bloquant un pont entre le Canada et les Etats-Unis, les manifestants anti-mesures sanitaires ont touché un nerf central pour l'industrie automobile et forcé les géants du secteur à suspendre ou ralentir temporairement les chaînes de fabrication dans plusieurs usines.
General Motors, Ford, Stellantis et Toyota ont dû soit dire à des travailleurs de ne pas venir à l'usine mercredi ou jeudi, soit réduire leur production, faute d'avoir à disposition certaines pièces détachées.
Le pont Ambassador qui relie Windsor, côté Canada, à Detroit, côté américain, est en effet le pont transfrontalier accueillant le plus de trafic en Amérique du Nord, avec plus de 40 000 travailleurs et touristes l'empruntant chaque jour.
Des camionneurs y font traverser quotidiennement 323 millions de dollars de marchandises en moyenne.
Et la zone autour du pont "est une sorte de cluster géant pour l'industrie automobile", explique Jason Miller, expert en chaîne d'approvisionnement à l'université d'Etat du Michigan. "Certaines pièces peuvent traverser jusqu'à cinq, six ou sept fois le pont."
Detroit est le berceau de l'industrie automobile américaine et de nombreux sous-traitants se sont installés dans les environs.
Or "depuis les années 1960, l'industrie automobile prend pour acquis que le trafic transfrontalier sera facile et fiable, et elle fonctionne en flux tendu avec des usines qui n'ont parfois des stocks que pour quelques heures ou quelques jours", signale Fraser Johnson, spécialiste des chaînes d'approvisionnement à l'école de commerce canadienne Ivey.
"Dès qu'on a des perturbations de ce genre, cela met en péril la continuité des opérations", ajoute-t-il.
Viser haut
General Motors a dû annuler la vacation du soir mercredi ainsi que les deux vacations jeudi à son usine de Lansing Delta Township, et la vacation du matin jeudi à l'usine de Flint a dû être raccourcie d'environ deux heures.
Ford a dû réduire jeudi la capacité de ses usines canadiennes d'Oakville et Windsor.
Plusieurs sites de Stellantis aux Etats-Unis et au Canada ont dû raccourcir la deuxième vacation mercredi soir avant de rouvrir jeudi. L'usine de Windsor a dû de nouveau raccourcir la vacation du matin jeudi.
Toyota a pour sa part indiqué que le blocage du pont affectait ses usines au Canada et son usine dans le Kentucky, aux Etats-Unis, sans préciser depuis quand ni avec quelle ampleur.
Mais l'entreprise s'attend d'ores et déjà à "des perturbations jusqu'au week-end".
En faisant de ce pont un point central de leurs protestations, les chauffeurs-routiers canadiens "visent haut pour relayer leurs revendications en frappant au coeur de l'industrie automobile", résume Karl Brauer, du site spécialisée ISeeCars.
Contournement compliqué
Il serait compliqué d'emprunter un autre chemin dans cette région parsemée de grands lacs.
Le pont est conçu pour relier directement des autoroutes majeures des deux côtés de la frontière.
Et passer par Buffalo, un peu plus à l'est, près des chutes du Niagara, "est problématique car ils n'y ont pas les infrastructures pour gérer le trafic des camions", souligne Fraser Johnson.
Il n'est pas non plus envisageable de s'approvisionner facilement auprès d'autres sous-traitants, nombre d'entre eux fabriquant des pièces très spécifiques, voire configurées pour un véhicule particulier.
Et "il ne faut pas oublier que cette crise arrive dans un contexte déjà pas facile, avec la pénurie de semi-conducteurs qui ne semble pas s'arranger", relève Karl Brauer.
Le secteur automobile est en effet secoué depuis plus d'un an par le manque de ces éléments devenus indispensables dans la fabrication des voitures, obligeant périodiquement certains constructeurs à suspendre temporairement les chaînes d'assemblage.
La situation pourrait rapidement s'aggraver si le pont reste bloqué, avec éventuellement le licenciement temporaire de salariés chez les constructeurs.
"Pour un poste sur une chaîne d'assemblage, 10 postes environ sont touchés dans l'ensemble de l'économie", rappelle Bernard Swiecki, du centre de recherche spécialisé CAR, en mentionnant les sous-traitants ou les restaurants les accueillant.
Le blocage pourrait progressivement affecter les usines plus éloignées, vers lesquelles des camions étaient déjà en route avant le blocage du pont, souligne-t-il aussi.
Les prix des voitures d'occasion, qui ont grimpé à des records l'an dernier aux Etats-Unis, pourraient continuer à monter, avance de son côté Jason Miller.
Et "l'impact pourrait s'étendre à d'autres secteurs si les matières premières viennent à manquer", ajoute-t-il en faisant remarquer que les Etats-Unis importent beaucoup d'aluminium et le Canada de plastique.
L'inquiétude est montée d'un cran ces derniers jours car en bloquant le pont Ambassador, les manifestants ont touché un nerf central pour l'industrie automobile et forcé les géants du secteur - Ford, Stellantis et Toyota - à suspendre ou ralentir temporairement les chaînes de fabrication dans plusieurs usines.
Estimant que la situation représentait une "crise nationale", le maire de la ville de Windsor Drew Dilkens a annoncé son intention d'"expulser" les manifestants par la force s'il obtient l'autorisation d'un tribunal.
"Le préjudice économique que cette occupation cause au commerce international ne peut pas durer et doit cesser", a-t-il ajouté.
La zone autour du pont est cruciale pour l'industrie automobile, explique Jason Miller, expert en chaîne d'approvisionnement à l'université d'Etat du Michigan. "Certaines pièces peuvent traverser jusqu'à cinq, six ou sept fois le pont."
Ce pont transfrontalier voit passer chaque jour plus de 40 000 travailleurs et touristes et les camionneurs y font traverser quotidiennement 323 millions de dollars de marchandises en moyenne.
"Il est impératif que les gouvernements locaux, provinciaux et nationaux du Canada désamorcent ce blocus économique", a déclaré jeudi la gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer, les appelant à prendre "toutes les mesures nécessaires".
«Nous n'aimons pas faire d'histoires»
Le mouvement s'étend sur les routes et semblait dans une impasse dans les rues de la capitale fédérale Ottawa, a constaté une journaliste de l'AFP. Des centaines de camions bloquent toujours les rues, installés devant le Parlement et les bureaux de Justin Trudeau.
La police de la ville a une nouvelle fois expliqué qu'elle n'était "pas en mesure" de "mettre un terme" à la manifestation sans renforts. Son chef Peter Sloly a expliqué "ne pas avoir les ressources suffisantes" pour "empêcher l'approvisionnement en essence des camions" qui bloquent les rues, ou pour "procéder à des arrestations".
De fait, malgré un avertissement lancé mercredi aux manifestants, la police n'a procédé qu'à deux nouvelles arrestations portant le nombre à 25 depuis le début du mouvement.
"Vous savez que vous avez fait quelque chose de mal lorsque les Canadiens s'en indignent. Nous sommes connus pour être très pacifiques, nous n'aimons pas faire d'histoires", estime Naomi Gilman, habitante d'Ottawa d'une trentaine d'années.
Pour Ed Humphrey, tatouages dans le cou, boucle d'oreille et chapeau sur la tête, qui nettoie les rues occupées, "les gens ordinaires parlent enfin, c'est exactement ça ce mouvement!". Venu du Manitoba, cet ouvrier se réjouit "du soutien qui grandit".
En Europe, les autorités ont pris les devants: des rassemblements prévus pour la fin de semaine ont été interdits, notamment à Paris et Bruxelles.
Ce mouvement, baptisé comme au Canada "convois de la liberté", semble prendre de l'ampleur, notamment dans l'Hexagone pour protester contre le pass vaccinal.
Ses partisans se réclament des "gilets jaunes", la mobilisation populaire de 2018-2019, déclenchée par une hausse des prix de l'essence qui avait tourné à la révolte contre le président Emmanuel Macron.
En Nouvelle-Zélande, où des manifestants anti-vaccin sont rassemblés depuis trois jours près du Parlement à Wellington, des heurts ont éclaté jeudi entre la police et les manifestants. Plus de 120 personnes ont été arrêtées.