MOPTI: Soldat, écolière, enseignant, djihadiste... Piégés dans le cercle vicieux des violences qui meurtrissent le centre du Mali depuis 2015, ils ont dû apprendre à survivre, se défendre ou se battre. Chacun représente une facette du conflit.
Pendant un an et demi, pour documenter une réalité humaine souvent délayée dans le décompte des morts, l'AFP a recueilli le témoignage et fait le portrait de huit personnes qui ont dû changer de vie.
Les interviews ont été menées à différents moments à Bamako ou à la faveur de déplacements à Mopti et Sévaré, dans une zone d'accès compliqué et dangereux. Les noms de ces témoins ont été changés pour préserver leur sécurité.
Ils ont accepté de raconter une réalité donnée à un moment précis afin de montrer la complexité du conflit dans le centre du Mali, cercle vicieux fait d'amalgames, de cycles de représailles et d'embrigadement.
Dans cette région sahélienne du "centre du Mali", désignée ainsi par opposition aux déserts sahariens du nord, les violences ont débuté en 2015 avec l'apparition d'un groupe djihadiste emmené par le prédicateur peul Amadou Koufa.
Affilié à la nébuleuse Al-Qaïda, il refuse tout Etat, veut imposer une société islamique. Il a largement recruté à l'époque parmi sa communauté peule, marginalisée, avant de diversifier.
"J'étais convaincu que ces gens qu'ils appellent djihadistes avaient plus de respect pour l'humain que l'armée", raconte Bilal, Bambara de 37 ans, revendeur de poisson embrigadé un temps avec eux parce que dit-il il ne s'en sortait pas financièrement.
Avec l'émergence de ce groupe ont été ranimés ou avivés de vieux antagonismes entre communautés, autour de la terre notamment.
Hommes, femmes, enfants, personne n'est épargné, comme l'a vécu la pêcheuse bozo Rokia, la cinquantaine, dont la famille a été enlevée sur les rives du fleuve Niger un jour de 2018. "Je leur ai dit qu'on n'était pas là pour autre chose que pêcher. Ils m'ont dit qu'eux étaient là pour Dieu", se souvient-elle.
Des groupes proclamant assurer la défense de leur communauté se sont formés, comme Dan Nan Ambassagou au sein des Dogons.
Quand "les Peuls-à-problèmes (djihadistes, ndlr) sont arrivés chez nous (...) comme j'étais l'aîné, j'avais hérité des grigris de protection et du fusil de chasse de mon père. J'avais la responsabilité, je devais aller combattre dans le groupe", explique Georges, ex-milicien dogon d'une quarantaine d'années.
Réunion de villageois soucieux de protéger leurs foyers avant de devenir une milice, Dan Nan Ambassagou a été accusée de crimes contre l'humanité. Elle a été officiellement dissoute mais continue d'opérer. L'écolière peule Fatoumata, 14 ans, a survécu à une attaque de son village parce que, dit-elle, après les tirs "ils ont dû croire que j'étais morte".
Dans le centre du Mali, l'Etat central est peu présent. Ses symboles sont pris pour cible par les djihadistes. "On savait que la situation n'était pas bonne. On avait des échos des écoles fermées mais on continuait, pour les enfants", se remémore l'enseignant Sidiki, 36 ans.
Quant au terrain militaire, "ça manque souvent de nourriture, de médicaments et de munitions", relate le soldat Malick, la trentaine affirmée.
L'armée y a été accusée par des ONG de collaborer ponctuellement avec Dan Nan Ambassagou contre les djihadistes. Kassim, commerçant peul de 42 ans, raconte comment il a passé 28 jours en détention parce que "ils pensent que nous les Peuls sommes tous d'accord avec le djihad".
Certains villages ont signé, parfois sous la contrainte, des accords de paix avec le groupe djihadiste de Koufa, la Katiba Macina.
Le journaliste peul Bachir, 42 ans, explique lui être victime d'"amalgames", accusé d'être un informateur de l'armée par les djihadistes, d'être un djihadiste par les Dogons.
Près de 200 000 personnes ont fui la violence, des milliers ont été tuées.